Divines et Innocentes

Divines et Innocentes

Nuit de Lesbos 2.

Trois heures plus tôt...

La soirée du jeune et richissime Anthony Donovan est le premier grand événement mondain de cet été. Il est le maître des nuits folles et branchées de la Côte d’Azur, l’heureux propriétaire de la boite de nuit la plus rentable de la Riviera. Gay extraverti, il sait exploiter mieux que quiconque les mots fête et démesure, spectacle et sens du délire. Il est une valeur sûre dans le milieu de la nuit, organisateur des soirées les plus réussies de la jet-set. Celle-ci est en effervescence, avide de gloire et de célébrité. La communauté homosexuelle, principalement concernée, est en émoi. Anthony fête ses vingt cinq ans. Et, fait exceptionnel, il reçoit chez lui. On dépense donc des fortunes en habits de haute couture, les gens usent de toute leur influence pour obtenir une invitation. Le soir de la réception, une foule nombreuse se presse, bourdonnante, curieuse et excentrique. Pour faciliter la sécurité, deux agents d’une société privée sont postés devant l’immense portail en fer forgé, et un troisième, intraitable, ne laisse entrer que les personnes munies de leur carte d’invitation. Leurs consignes sont strictes, sans appel. Une allée éclairée se perd entre les pins parasols, et débouche dans un vaste jardin à la Française, rigoureusement entretenu, avec ses plates-bandes symétriques, ses haies de buis et son labyrinthe de charme taillés à la perfection. L’allée de gravier traverse cette impressionnante architecture végétale, passe sous une arche en charmille, et s’ouvre devant une imposante demeure de style américain, inspirée des modèles de Louisiane, avec une longue terrasse couverte qui court le long de la façade et d’épaisses colonnes. Devant l’entrée, alignés de chaque côté, de délicieux éphèbes accueillent les invités d’un chant mélodieux, simplement vêtus d’un pagne. Ils ont été sélectionnés pour leur perfection physique, tous sont minces et légèrement musclés. Au-dessus de leur tête des lumières vives étincellent à chaque fenêtre, et une musique discrète se fait entendre, mêlée à des cris et des rires. La fête a commencé très tôt, et promet d’être mémorable.

La file d’invités diminue, les premiers arrivés commencent à trépigner d’impatience tandis que les derniers se présentent. Un couple vient de faire son apparition, leur nom crié haut et fort est totalement inconnu et ne provoque aucun commentaire. L’homme est très grand, maigre, habillé d’un costume mal coupé, ce qui le rend gauche et déplacé parmi les autres invités qui rivalisent de mode et d’audace pour se faire remarquer. Une très belle femme le suit de près comme si elle avait peur de se perdre. Tous deux semblent nerveux en attendant leur tour, la jeune femme contemple le somptueux décor et les costumes extravagants avec un mélange d’émerveillement et de crainte.

Deux femmes qui contemplent et commentent l’assemblée avec verve et ironie les remarquent. L’une secoue doucement l’épaule de l’autre

- Tu l’as vue celle-là ? On dirait la provinciale qui découvre le monde ! A croire qu’elle sort tout juste de sa campagne ! Je me demande qui les a invités ces deux bouseux !

Anne, une jolie brune admirablement proportionnée, éclatante de joie et de bonne humeur, sourit avec une certaine indulgence. C’est avec tendresse qu’elle commente

- Je vous présente tout d’abord Jean-Christophe, ami d’enfance de Christelle. C’est elle qui leur a envoyé des invitations. Il est vrai qu’il ne doit pas se sentir à sa place ici, Jean-Christophe est professeur de philosophie et…

- On s’en fout du mec ! la coupe sa voisine de droite, Julie, sur un ton hilare. C’est sa femme qui nous intéresse ! Elle est terriblement mignonne, je ferai bien des galipettes avec elle… Aie !

Elle pousse un cri de douleur, jetant un regard furibond à sa compagne, Stéphanie qui, jalouse, vient de la pincer. Celle-ci la prévient d’un air faussement menaçant :

- Si tu l’approches je te quitte !

Puis se tournant vers Anne :

- Et toi si tu la lui présentes je te tue !

Anne proteste en rigolant :

- Stéphanie, laisse donc Julie se rincer l’œil, elle ne fait de mal à personne ! Laisse-la s’exciter, c’est toi qui sera dans son lit cette nuit, et c’est à toi que ça va profiter !

Stéphanie fait semblant de réfléchir.

- Exact, vu sous cet angle… Bon, parle-nous de cette délicieuse inconnue.

- Voici donc Mélanie, sa femme. Si belle, si jeune… Avec des origines diverses, un peu de Chine, de Mongolie, du côté de sa mère il me semble, et avec un père corse, bref un cocktail détonnant !  Mélanie est une mère et une épouse modèle, bonne catholique aussi pratiquante que vertueuse. Bref, en résumé, sa vie est un modèle d’ennui, une routine réglée comme du papier à musique. Sa journée de labeur terminée- elle est vendeuse dans un magasin de fleurs que gère sa belle-mère, imaginez la galère pour ne pas dire votre pire cauchemar !- notre jolie Mélanie rentre chez elle pour s’occuper de ses enfants, de la maison, et du mari qui comme tous les hommes ne doit pas en glander une sitôt ses pantoufles enfilées ! Cette nuit est donc pour elle une grande aventure, la découverte de nouveaux horizons !

- Et que fait-elle ici ? Elle n’est vraiment pas à sa place.

- C’est une amie de Christelle. Elles jouent au tennis ensemble…

Mélanie et son mari font la révérence à leurs hôtes. La robe à fleurs qu’elle porte est démodée et surannée mais, même vêtue avec mauvais goût, rien ne semble pouvoir l’enlaidir. Elle est ravissante, une beauté qui se passe d’artifices, d’une simplicité rafraîchissante. Avec ses grands yeux en amande qui trahissent des origines asiatiques, limpides et curieux, ses airs timides et effarouchés, elle n’a pas besoin de se forcer pour jouer la provinciale fondamentalement conservatrice, douce et pudique.

Elle ne paraît pas avoir conscience de sa beauté exceptionnelle, que sa modestie rehausse encore. Une grande femme d’une cinquante d’années la dévore des yeux, ce qui n’échappe pas à Anne.

-  Regardez cette vieille pie se lécher les babines, elle va nous faire une attaque cérébrale à s’exciter de la sorte !

Julie renchérit :

- La baronne De Santis la mange aussi du regard, juste à côté… La concurrence est rude. Attention, la chasse est ouverte, l’hallali général va bientôt sonner !

Elles éclatent de rire en même temps, les larmes aux yeux. Elles ont du mal à s’interrompre lorsque, soudain, une voix criarde se fait entendre :

- S’il vous plait, je demande votre attention, ce ne sera pas long, merci.

C’est Anthony qui vient de se lever, imposant le silence d’un geste théâtral. Maître de la cérémonie, il prend son rôle très au sérieux, ravi d’être le centre d’intérêt, ce qui flatte son égo démesuré.

- Merci mes amis, merci du fond du cœur d’avoir répondu présent à mon invitation, et d’être venu si nombreux. Je suis persuadé que personne ne manque à l’appel. Vous êtes tous là ?

Un « oui » général se fait bruyamment entendre. Satisfait, Anthony sourit:

- Très bien. Alors amusez-vous, buvez, riez, baisez, aimez-vous les uns les autres sans distinction de sexe, chez moi tout est permis, le premier qui me parle d’interdit je le vire à coups de pieds au cul ! Que la fête commence !

Un tonnerre d’applaudissements éclate, aussitôt noyé par de la musique techno jouée par un groupe de musiciens déchaînés. Les invités se pressent au milieu du salon, dansent et s’agitent avec frénésie. Anne et ses amies se joignent à la cohue et se trémoussent énergiquement. Anne est poussée à son tour, elle cherche le rythme, le trouve, et se laisse gagner par l’ambiance électrique, en état de transe.

Dix minutes après, Anne, hors d’haleine, gagne avec peine le buffet. Elle est bousculée, et doit jouer des coudes pour retrouver Julie et Stéphanie. Toutes trois se reposent un peu. Les mets et les boissons sont d’excellente qualité, elles reprennent des forces en silence, observant avec attention tout ce qui se passe autour d’elles. Les couples homosexuels sont aussi nombreux que les couples hétérosexuels. Leur présence n’étonne pas Anne, ils sont de toutes les fêtes, des habitués des soirées « Gay Friendly » qu’organise régulièrement Anthony. Ce sont des hétéros branchés, avec un look et un physique qui en imposent à leurs amis gays. Ils apprécient ces derniers pour leur sens de la fête, du spectacle, et ne ratent pas une occasion pour s’amuser en leur compagnie.

Son attention est dirigée vers un couple de femmes qui viennent vers elles.

- Anne, ma chérie, comment vas-tu ?

- Très bien, merci. Et vous ? Toujours amoureuses comme au premier jour à ce que je vois…

Les deux nouvelles venues se prennent la main avec tendresse.

- Plus que jamais. Surtout étant donné l’heureux événement qui nous attend. J’attends notre deuxième bébé, c’est prévu pour fin Décembre.

- C’est formidable ! Toutes mes félicitations ! C’est Guillaume qui va être content, il aura enfin le petit frère ou la petite sœur dont il avait tant envie… Il doit-être aux anges ?

- Oui, il est dans tous ses états, il compte déjà les jours.

Anne va poser une autre question lorsqu’une main légère se pose sur son épaule.

- Bonjour, Anne.

C’est une voix douce, timide, et Anne a reconnu à qui elle appartenait avant même de se retourner.

- Mélanie ! Jean-Christophe ! Je suis contente de vous voir. Christelle m’avait prévenu de votre présence. Attendez, je vais vous présenter. Voici Julie et Stéphanie. Catherine et Florence.

Tous s’embrassent. Les filles remarquent à peine Jean-Christophe, lui adressant une attention tout juste polie, mais tombent sous le charme de sa jeune épouse. Surtout Catherine qui, en l’embrassant, se met à l’étudier avec une attention soutenue, sans réaliser qu’elle la maintient toujours par les épaules, comme perdue dans sa contemplation muette. Cette jeune femme est dotée d’une séduction délicate qui la touche d’emblée, un mélange de fragilité et de grâce enfantine dans un corps délicieusement sensuel. Mais c’est son visage qui la fascine le plus, les yeux en amande, expressifs et vifs, la bouche joliment dessinée, aux lèvres charnues et appétissantes, les pommettes légèrement saillantes, sur une peau dorée et satinée de métisse exotique. Troublant mélange qui laisse Catherine rêveuse. Mélanie, avec douceur, se dégage de son étreinte, l’observant avec une curiosité amusée. C’est avec stupéfaction que Catherine sent un flot de sang lui monter au visage. Elle rougit, et cette constatation lui fait perdre ses moyens, comme si cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Elle jette un regard désemparé autour d’elle, heureusement personne ne semble avoir remarqué son trouble, chacune étant toute à sa joie de se retrouver. Après les banalités d’usage les filles reviennent vite à Mélanie, c’est un visage nouveau qui attise leur curiosité. Cette dernière est ravie d’être soudain le centre d’intérêt, pour la première fois depuis bien longtemps elle se sent importante. On la harcèle de questions, on étudie ses réponses, comme un examen de passage pour être acceptée. Elles paraissent satisfaites du résultat. Mélanie est une femme sincère, spontanée, avec l’innocence des êtres neufs qui sont incapables du moindre mal. Test réussi. Catherine la mange des yeux, incapable de détourner son regard. Elle reste là, bouche béante, stupide et fascinée. C’est maintenant à Mélanie de poser des questions. Elle s’adresse à Florence :

- Excusez mon indiscrétion, mais en m’approchant tout à l’heure je vous ai entendu parler d’enfants ?

- Oui, nous avons un fils de trois ans, et j’attends le deuxième avant Noël.

- C’est génial ! Bientôt vous aurez deux enfants, comme moi ! J’ai deux garçons, ils sont fantastiques ! Six ans et quatre ans. Je présume que vous aimeriez maintenant avoir une fille, non ?

- Sans importance, un autre garçon me ferait également plaisir. Pourvu qu’il soit en pleine santé, c’est tout ce qu’on demande.

- Bien entendu. C’est votre mari qui doit-être content, j’imagine son bonheur. Il n’est pas ici ?

Un silence pesant plane sur le groupe, où chacun se regarde avec incrédulité. Mélanie se sent tout d’un coup observée comme si elle venait d’une autre planète. Catherine, jusqu’alors silencieuse, sort brusquement de sa torpeur et s’approche avec un petit sourire narquois, enlaçant Florence d’un geste tendre.

- C’est moi son mari. Catherine. 28 ans. 1m.73. Signe particulier : lesbienne et fière de l’être.

Mélanie se met à rougir jusqu’aux oreilles, et balbutie :

- Je suis désolée, je…je ne savais pas, je croyais que…enfin je pensais…

- T’en fais pas, tu n'étais pas censée être au courant.
J’imagine que tu te demandes qui est le père maintenant ? lui demande Florence pour la mettre à l’aise.

- Oui. Heu, non…

- Père inconnu. Insémination artificielle avec donneur anonyme. J’ai la nationalité belge, il y’ a de nombreuses cliniques spécialisées dans mon pays, certaines pratiques interdites en France sont là-bas possibles et les démarches administratives sont tellement moins rigides. Voilà, tu sais tout.

Catherine ajoute, s’adressant plus particulièrement à Mélanie.

- Comme quoi il n’est pas nécessaire de s’emmerder avec des mecs pour faire des gosses ! Même pour ça ils ne sont plus indispensables !

Mélanie les écoute attentivement, littéralement fascinée. Un monde nouveau s’ouvre à ses yeux, elle découvre un univers riche et foisonnant qui la subjugue. Elle a tant à apprendre avec eux, et comprend leurs problèmes et leurs revendications. Elle veut en savoir plus, s’approche plus prés. Elle oublie son mari qui, lui, opte pour une retraite stratégique. Il n’a pas sa place au milieu de ces féministes convaincues. Il leur laisse Mélanie puisque  toutes ces femmes prennent un plaisir certain à satisfaire sa curiosité, Mélanie leur pose mille questions, excitée comme une enfant qui s’éveille à la vie. Si certaines de ses interrogations sont pertinentes, d’autres relèvent d’une ignorance et d’une inexpérience surprenantes. Aucune femme présente ne semble lui en tenir rigueur, l’innocence et la fraîcheur font partie intégrantes de son charme irrésistible. Elle est intriguée par l’alliance que porte Julie. Celle-ci satisfait sa curiosité.

- Stéphanie et moi sommes passées à la mairie pour signer notre PACS. Cela fait six mois maintenant.

- Sept, rectifie son amie.

Elles s’enlacent amoureusement, se dévorant des yeux. Mélanie les contemple avec émotion. C’est la première fois qu’elle voit des femmes ensemble qui expriment leur amour naturellement, et cela ne l’offusque pas, au contraire cela lui procure une étrange sensation.

- Je dois reconnaître que le PACS est une bonne chose, dit Catherine. C’est pour nous un grand bond en avant, la reconnaissance de l’existence des couples homosexuels. Mais il y’ a encore beaucoup à faire.

Elle parle avec la fougue d’une ardente porte-parole des droits de la femme. Catherine est une grande fille blonde aux yeux de braise, avec un visage rond aux traits mous et une trop grande bouche prête à mordre, sensuelle, aux lèvres épaisses, dont les coins remontent avec une expression agressive. Une lueur brillante, gourmande, éclaire ses yeux très noirs, soulignés de larges sourcils, très arqués. Ses yeux, comme la bouche, semblent trop larges dans le cercle de son visage, mais accentuent son air vorace. Elle dégage une sensualité impétueuse, virulente, qui a quelque chose de très autoritaire. Elle a corps somptueux, sa robe ne peut dissimuler ses seins opulents, la finesse de sa taille, la fermeté de ses fesses et les lignes gracieuses de ses longues jambes. Des courbes merveilleuses dont elle est fière, et qu’elle met en évidence avec une certaine arrogance lorsqu’elle veut séduire. Mais il irradie d’elle surtout une colère tenace, une blessure qui l’a meurtrie et l’a endurcie farouchement. Ses manières sont alors sèches, énergiques, ses opinions radicales et extrémistes, le genre à désarçonner les hommes les plus coriaces. Jean-Christophe trouve cela dommage, son instinct lui dit que cette femme possède une forte sexualité, mais aucun homme ne pourra jamais en profiter, celle-ci les détestant d’une haine implacable. Elle se sent un instant observée, et adresse à Jean-Christophe son regard le plus glacial, lui interdisant de s’approcher davantage. Elle l’ignore ensuite avec dédain, et reporte toute son attention sur sa femme, lui adressant mille compliments. Mélanie rougit avec plaisir, toute excitée, ravissante et adorable, certainement inconsciente que l’intérêt qu’on lui porte dépasse sans doute le stade de la simple courtoisie. Jean-Christophe sourit avec indulgence, l’innocence de sa femme l’étonnera toujours. Cette naïveté la rend maladroite, souvent gaffeuse, mais si attachante. Elle ne voit le mal nulle part, vivant dans son petit cocon où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ! Il est un peu responsable de cette vie trop sereine et pépère, l’usure du temps les a cloîtrée dans une routine insidieuse, où fantaisies et passions sont depuis longtemps des mots exclus de leur vie de couple. Cette monotonie a évidemment des répercussions sur leur vie sexuelle, ils font l’amour de moins en moins souvent, et cela est d’autant plus grave que leurs ébats amoureux n’ont jamais été un modèle de folie érotique. Il donnerait cher pour que la passion revienne, comme avant la naissance de leur premier enfant, époque où Mélanie était une jeune fille expansive, et se livrait sans retenue à certains jeux sensuels. Cela fut malheureusement très bref. Il fronce les sourcils avec désapprobation en constatant les manières démonstratives et caressantes qu’affiche Catherine en prenant sa femme par les épaules. Toutes deux rient de bon cœur, comme les meilleures amies du monde. Le courant semble très bien passer, un peu trop même. Il se demande encore si sa femme n’est pas en train de se faire draguer, et cette idée le fait sourire. Catherine n’a aucune chance, elle perd inutilement son temps. Toutefois un fantasme violent le trouble, il imagine brusquement Mélanie nue et tremblante, offerte et soumise, étendue sur un lit, et Catherine qui se glisse sur elle, souple, lascive, pour lui faire goûter à des plaisirs interdits. Elle lui ferait des choses qui la rendrait folle, la ferait délirer, la ferait se tordre de désir. Mélanie résisterait peut-être un peu, excitant davantage sa partenaire, et finirait par s’abandonner, ouverte à tous ses caprices, cédant à toutes ses exigences, réclamant d’autres caresses et d’autres voluptés toujours plus intenses. Honteux, Jean-Christophe cesse d’y penser. Anne vient le rejoindre, un verre à la main. Il l’interroge sur l’absence de Christelle.

- Aucune idée, répond-elle. Personne ne l’a vue, mystère total. Avec elle on peut s’attendre à tout, je ne m’inquiète donc pas. Elle aime les entrées triomphales, elle finira bien par se manifester.

Catherine les bouscule légèrement, tenant par la main Mélanie qu’elle entraîne vers la piste de danse. Florence les suit de prés, le visage renfrogné. Toutes trois commencent à se déhancher sur le rythme effréné de la musique. Un rock endiablé casse le tempo, la plupart des danseurs en profitent pour aller se désaltérer. Florence quitte également la piste, à regret. Elle laisse son amie qui a vite entrepris Mélanie pour danser avec elle. C’est Catherine qui la guide, donnant le rythme comme un homme le ferait. Mélanie suit le mouvement qu’on lui impose, légère, souple, tourne et pivote gracieusement. Un instant Catherine l’attire à elle, et Mélanie arque les reins pour s’abandonner dans ses bras, puis repart en tournoyant, sans lui lâcher les mains. Elles sont en communion parfaite. Mélanie ne cesse de rire, un rire frais et cristallin. La musique s’achève trop vite, elles restent face à face, essoufflées, heureuses, et s’observent avec un certain trouble, sensibles à cette impression d’osmose et d’harmonie qui les fait soudain se sentir si proches. Elles se tiennent toujours la main, sans s’en rendre compte.

Catherine est comme subjuguée. Ses yeux suivent la courbe douce de la gorge, la troublante naissance des seins qui, accrochés hauts, pointent avec insolence sous la robe. Tout cela fait circuler dans ses veines un sang brûlant, qui lui donne des bouffées de chaleur. Elle comprend qu'elle désire cette femme avec une ardeur si impulsive que cela en est effrayant. Malgré tout, elle se laisse emportée par cette sensation grisante, trop impérieuse pour lui résister. Mélanie, gênée, la lâche enfin, le visage plus grave, consciente de l'attirance qu'elles ressentent l'une pour l'autre. Elle en éprouve une honte insupportable, chasse vite toutes ces pensées  absurdes. Elle a trop bu, trois verres de punch et elle est déjà à moitié saoule ! Elle s'efforce de sourire en  remerciant sa cavalière d'une révérence. Laurence, bousculée par une fille hystérique qui saute comme un cabri, n'a pas remarqué ce qui vient de se passer, et slalome entre les danseurs pour les rejoindre. Brusquement un cortège de personnages extravagants fait son apparition, brisant la marée humaine et traversant bruyamment la foule de danseurs, dans une sorte de folle farandole. Tous, ivres d’alcool et de joie, trébuchent sans cesse, provoquant rires et cris moqueurs. Mélanie est comme happée, entraînée dans le flot. Mais, avec des éclats de rire, réussit à se dégager.

Mélanie a l’air de drôlement s’amuser, constate Anne.

— Les occasions sont plutôt rares, elle a raison d’en profiter. Ton amie Catherine semble beaucoup l’apprécier, elle la suit comme son ombre. On dirait que sa petite amie n’approuve pas trop cette soudaine amitié, elle fait une tête d’enterrement !

— Oh, Florence a toujours été trop possessive, et ses jalousies ne sont jamais justifiées. Cela leur donne un prétexte pour s’engueuler, et surtout se réconcilier ensuite au lit. Toutes les deux ont une trop forte personnalité pour se contenter d’un amour paisible, leur liaison ressemble plus à une rivière tumultueuse qu’à un long fleuve tranquille. Mais ne t’inquiète pas, leur couple est solide, je ne pense pas vraiment pas que Cathy ait des vues sur Mélanie, ou du moins je l’espère…

Elle appuie le sous-entendu d’un sourire taquin, mais cet humour lui échappe.

— Je ne m’en fais pas du tout, j’ai une totale confiance en ma femme. Ce n’est pas son genre. L’idée de me tromper avec un homme ne l’a sans doute jamais effleurée, alors avec une autre femme, n’en parlons même pas !

Anne le regarde du coin de l’œil, avec un petit air ambigu. Encore un macho certain de la supériorité de l’homme sur la femme, imbu de sa virilité ! Comme si la nature qui leur avait attribué un pénis leur assurait d’office un avantage incontestable sur le sexe dit faible. S’il connaissait vraiment Catherine, il ne serait pas aussi sûr de lui, et l’idée de lui faire ravaler son orgueil de mâle lui paraît soudain attrayante. Mais elle s’abstient, par amitié. Et le doute s’installe dans son esprit, peut-elle être vraiment certaine de ce qu’elle vient d’affirmer avec autant de conviction ? Se pourrait-il que Catherine se sente attirée par la jeune et timide Mélanie ? Rien n’est impossible, l’amour ne reconnaît aucune logique et aucune limite, sans frontière… Rien ne prédestinait la passion qui allait naître il y a quatre ans entre Catherine et Florence, et pourtant… Catherine était une jeune femme instable et incomprise, une fille gâtée par des parents milliardaires qui cédaient régulièrement à ses caprices financiers, pour avoir la paix et s’en occuper le moins possible, trop investis dans le monde des affaires pour gérer le caractère fantasque de leur fille. À vingt ans, Catherine s’ennuyait fermement, ayant déjà tout ce qu’une jeune fille pouvait désirer à son âge. Elle souffrait surtout du manque d’amour de ses parents et accumulait les provocations pour attirer leur attention. Elle jouait cruellement avec tous les garçons qui lui plaisaient et se grisait de tous les plaisirs de la vie, jusqu’au jour où elle rencontra dans une boîte de nuit la délurée et explosive Florence, lesbienne de son état, issue d’un milieu défavorisé. Par jeu et par provocation, Catherine décida de la séduire, persuadée que ses parents allaient enfin réagir s’ils apprenaient la dernière folie de leur fille. Et ce qui ne devait être qu’un simple jeu, un défi, s’est transformé en véritable amour. Catherine a totalement assumé cette liaison, heureuse comme elle ne l’a jamais été, et elle a longtemps mené un combat acharné pour faire accepter son amie au sein de son entourage qui, évidemment, voyait cette idylle d’un très mauvais œil. Sa famille n’a jamais voulu admettre son homosexualité et, en réalisant enfin que ce n’était ni une fantaisie ni une passade, l’a reniée purement et simplement. Catherine a dû alors interrompre ses études pour travailler, et l’emploi qu’elle exerce n’est pas pour faciliter la moindre réconciliation avec ses parents.

Elle est strip-teaseuse, se partageant entre boîtes de nuit, peep-show, et louant ses services pour des soirées privées. Ses amies sont persuadées qu’elle pratique ce métier par bravade, dans un acte désespéré de rébellion, pour couper définitivement les ponts avec une famille conventionnelle, comme un doigt d’honneur qu’elle leur adresserait avec mépris. Par contre, sa participation bénévole pour tous les idéaux qu’elle défend farouchement est guidée par de véritables convictions. Elle milite pour les droits des gays et lesbiennes, leur droit à l’adoption, s’investit dans une association pour enfants de couples homos, lutte contre l’homophobie en général, et organise la révolte entre pancartes et banderoles, crachant son venin et dénonçant toutes formes de discrimination dans de violentes manifestations. Anne n’apprécie pas trop cette rage dont elle fait preuve pour mener à bien ses combats, elle l’a vue une fois à l’œuvre lors d’une altercation et s’est promis de ne plus jamais se laisser embrigader là-dedans. Anne est plus proche de Florence que de Catherine, elle a connu cette première bien avant. Florence lui fait souvent des confidences, même les plus intimes. C’est ainsi que Anne apprit vite le tempérament volcanique de Catherine, une véritable tornade, survoltée et insatiable. Pour elle, l’amour est absolu, indissociable de la perfection sexuelle, une quête de jouissance toujours plus aiguë, une communion charnelle totale qui se consomme lentement, savamment, pour repousser toujours plus loin les limites. Cette exigence sexuelle est difficile à assumer pour Florence, une remise en question permanente, avec la peur d’être larguée, de ne plus être à la hauteur et d’être remplacée par une autre…


C’est pour cette raison que Anne est persuadée du danger que peuvent représenter certaines femmes débordantes de sexualité, habiles et charmeuses ; elles peuvent être beaucoup plus persuasives que certains hommes, une  vérité qui n’est pas souvent bonne à entendre. Quand une femme tient une autre femme dans ses bras, elle détient un pouvoir considérable qui peut bousculer et détruire des valeurs hétérosexuelles profondément ancrées. Cette fascination pour des plaisirs nouveaux, interdits, exerce souvent une attraction fatale, et des femmes comme Cathy pourraient profiter de leur avantage et évincer les hommes dans un domaine où ils s’estiment imbattables. Aussi Anne préfère-t-elle laisser Jean-Christophe dans l’ignorance, c’est là un sujet qui dépasserait de toute façon son entendement.

 

Dans la cohue, elle aperçoit Mélanie qui se fait attraper une nouvelle fois par la chaîne humaine. Catherine se raccroche également à la procession, Florence n'est pas assez rapide et elle suit d'un regard désespéré son amie s'éloigner. Se tenant par la main, les garçons et les filles qui forment le cortège se dirigent vers l'extérieur.

A SUIVRE...

Mélanie va de nouveau  affronter la fougue et les appétits démesurés d’une femme folle amoureuse d’elle.

Puisant ses forces dans son amour pour sa famille et ses convictions hétérosexuelles, Mélanie va se révéler indécise et éperdue, se débattant comme une naufragée qui s’accroche à la raison.

Mais c’est sans compter sur l’impétuosité et l’acharnement de Catherine. Celle-ci va tenter de l’immerger dans son monde, entre voluptés et licences effrénées, là où plus aucune frontière n’existe…

 

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Bonne lecture...

Extrait : Sa voix se meurt quand le visage replonge vers ses seins et quand une main s’insinue entre ses jambes, frôlant son sexe. La sensation est exquise, si aiguë qu’elle en est presque douloureuse. Les auréoles de ses seins s’érigent en pointes violacées, et elle se cambre violemment, écartant davantage les jambes, soulevant les fesses, offrant son pubis avec un mouvement d’une grâce voluptueuse, se mettant à soupirer plaintivement pendant de longues minutes. Son corps se casse en arc tendu avec une souplesse surprenante lorsque les doigts féminins se faufilent au centre même du satin de boucles brunes, dans une vallée de chair intime, s’enfonçant doucement, divisant la fente humide. Catherine la caresse ardemment, avec un mélange de délicatesse raffinée et de fougue contenue. Elle modifie imperceptiblement la position de ses doigts, menant le jeu à sa guise. Mélanie accueille ce changement par un cri animal. Une grande ride verticale apparaît au milieu de son front et une veine gonflée bat nerveusement le long de son cou.

 

 

 

 

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