Divines et Innocentes

Divines et Innocentes

Le Château des Tribades 9.

Fanny arpente vivement le long couloir, se dirigeant sans hésitation vers une chambre qu’elle ouvre sans préambule. Surprise, Patricia se retourne, lui jetant un regard mauvais en la reconnaissant.

-     Hé ! Faut pas vous gêner ! On ne vous a jamais appris à frapper ?

 Le visage de Fanny reste imperturbable. Elle ne prend même pas la peine de répondre. Patricia pose son livre sur la table de chevet et sort du lit. Apparemment, elle était trop anxieuse pour pouvoir s’endormir alors que la nuit est déjà bien entamée. Ce qui n’est pas le cas de Corinne qui, profondément endormie, ne bouge toujours pas sous les draps. Ces derniers temps, elle avait de plus en plus de mal à se remettre de ses ébats torrides avec sa jeune maîtresse, déposant vite les armes et criant grâce avant que Patricia ne soit totalement satisfaite. Alors que Corinne s’endormait vite après l’amour, totalement vidée et épuisée, Patricia restait sur sa faim, frustrée et énervée de ne pouvoir assouvir ses appétits démesurés à sa guise. Cette fringale sexuelle, loin de l’effrayer, était devenue un besoin naturel qu’il lui était nécessaire de combler dans ses excès et sa fureur. Aucun tabou, aucune limite, elle s’adonnait à ses pulsions avec la même innocence et insouciance qu’une enfant qui obéit avec égoïsme aux caprices de sa nature. Avec le désir profond de rencontrer un jour l’âme sœur, une femme qui serait capable de lui tenir tête, dépassant ses espérances dans une quête toujours plus effrénée du plaisir absolu. Des espoirs que Corinne avait brisés assez vite, et la déception allait de pair avec des sentiments qui s’effilochaient de façon insidieuse. Corinne, ne répondant plus à ses attentes, n’était plus la femme idéale et serait vite remplacée à la première occasion. Patricia ne lui jette même pas un regard alors qu’elle se redresse. Inutile de la réveiller et, de toute façon, elle était au courant du plan qui se tramait. Corinne n’y avait opposé aucune objection, trop heureuse de l’opportunité qui s’offrait à son amante et avec l’assurance d’en profiter par la suite lorsque la fortune viendrait. Une sérénité que Patricia ne partageait pas. Jusqu’ici, rien ne se passait comme prévu et elle détestait ne pas maîtriser les événements… Et cette visite tardive sent mauvais. Elle redoute de comprendre et c’est avec appréhension qu’elle s’enquiert d’une voix blanche :

-     C’est donc fait ?

Les yeux de Fanny s’éclairent d’une joie mauvais en annonçant :

-     Tout à fait. Et tout s’est déroulé de façon surprenante, beaucoup plus vite que ne le pensait Monsieur Vernier. A l’heure où je vous parle, la romancière est lancée à corps perdu dans des étreintes lesbiennes très tortueuses, elles font ça à trois et ne semblent pas s’en lasser… Monsieur Vernier sollicite maintenant votre présence.

Le visage de Patricia, au lieu de s’éclairer, prend une expression sordide. Pour dissimuler sa déception, elle pousse un soupir exaspéré en enfilant à la hâte une robe de chambre. Ses doigts tremblent alors qu’elle noue la ceinture autour de sa taille. Puis, à contre-cœur, elle suit Fanny. Toutes les deux semblent se perdre dans un dédale de longs couloirs avant d’atteindre une pièce étroite, plongée dans l’obscurité. Jean Vernier s’y trouve, un sourire satisfait sur le visage. Il trépigne d’excitation, prenant un air théâtral en effectuant de grands gestes pour écarter des rideaux de velours rouge qui dissimulent un miroir sans tain.

-     Surprise ! annonce t- il d’une voix rauque.

Patricia pousse une exclamation abasourdie. Elle a l’impression qu’une main de fer enserre son cœur alors que son visage reflète la plus grande stupéfaction. Jean tourne la tête et regarde à son tour, constatant que les choses ont pas mal évoluées en si peu de temps. La scène se passe toujours sur le sol, au pied du lit. Inès, étendue en croix, offerte dans une exhibition choquante, subit avec un plaisir évident l’assaut volcanique des deux femmes qui l’assaillent impitoyablement de toutes parts. Sans répit, elle gémit à en rendre l’âme. La sueur mouille son front et inonde son visage, un visage si creusé qu’il en paraît désagrégé, figé dans un masque de volupté excessif. Elle échange avec Gabrielle un baiser féroce, affamé. Cette dernière y met toute sa fougue, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle ou ses esprits, l’affolant d’une langue vorace, comme pour lui faire oublier la présence d’une Florence survoltée qui la dévore de partout, tantôt le visage enfoui à l’intérieur des cuisses, tantôt agaçant les seins en vrillant les pointes érigées d’un bout de langue expert.

Inès fond littéralement, elle râle, soupire, se tord, fouillée et explorée sans qu’aucune partie intime ne soit épargnée. Sa peau dorée et mate contraste magnifiquement avec les corps nacrés comme de la porcelaine des deux femmes qui se contorsionnent sur elle avec furie, et elle répond aux ardeurs avec un zèle qui mérite toute admiration. Elle se soulève un instant avec une telle violence que ses partenaires risquent d’en prendre un mauvais coup. Elle a de brusques tressaillements, les yeux écarquillés, la bouche ouverte sur une plainte étranglée. Patricia, fascinée, en comprend la raison, car Florence écarte un instant son visage d’entre les cuisses, laissant entrevoir une vulve mouillée sur toute sa longueur, et elle y fait pénétrer plusieurs doigts, enfonçant sa main dans une profondeur humide et brûlante. Inès accueille la pénétration avec gourmandise, ouvrant et écartant davantage les jambes. Florence prend cela pour une invitation, et replonge à l’intérieur tête la première. Inès a un orgasme d’une puissance inouïe qui la fait crier sans discontinuer. Florence interrompt sa double caresse et remonte le long de son corps. Elle fait vraiment l’amour comme une tigresse déchaînée, griffant, mordant, feulant, avec une sensualité sauvage et dominatrice. Elle vire carrément Gabrielle, prenant activement possession des lèvres de la romancière. Tout en l’embrassant, ses mains partent en découvertes fébriles, glissant, rampant, allant de corps en corps, provoquant partout où elles passent des soupirs ravis. De temps à autre, elle affronte Gabrielle qui semble ne pas vouloir lâcher prise. Toutes deux ressemblent à deux rivales qui se disputent les faveurs de la belle. Inès est la première ravie, continuant de se laisser faire. Un instant, elle se voit prise à parti lorsqu’une main autoritaire prend la sienne pour la guider vers un sexe déjà ouvert et trempé. Elle sursaute, plonge vivement sa main, détournant en même temps le visage pour se refuser au baiser électrisant de Florence et préférer celui de Gabrielle. Ce petit duel sensuel ravive les désirs des deux intriguantes qui, encore plus excitées, redoublent d’efforts avec frénésie. Elles se montrent si habiles et opiniâtres que Inès se retrouve vite dans un état de surexcitation incontrôlé, comme possédée, et porte d’elle-même la main entre les premières cuisses qui s’offrent à ses avances. Cette découverte lui monte à la tête, et elle s’enfonce davantage dans un tourbillon de stupre et de luxure qui laisse Patricia estomaquée. Cela lui laisse un goût amer dans la bouche, car elle aurait tant aimé partager ces moments magiques avec la délicieuse Inès. Elle commençait à ressentir des sentiments sincères pour la romancière fleur bleue, et ses espoirs de la conquérir venaient de voler en mille morceaux. Le cœur lourd, elle détourne la tête. Jean est conscient de son humeur maussade et se délecte de remuer le couteau dans la plaie.

    -     Notre vierge effarouchée a mieux résister pour mieux céder ! Il fallait la voir se débattre dans ses problèmes de conscience alors que les deux femmes s'acharnaient sur elle pour la faire basculer de l'autre côté ! C'était vraiment un duel intime très intense... Vous avez l’air attristée, ma chère enfant ?

     -     Non, non, pas du tout…

     -     Gabrielle a été plus rapide que vous. Elle a rempli son contrat et je respecterai donc le mien. Il ne tient qu’à vous de vous montrer aussi maligne pour gagner les faveurs de Claire. Et, comme promis, vous verrez alors votre nom en tête d’affiche dans ma prochaine production Alors faites preuve d’un peu d’imagination.

     -    Excusez-moi, Monsieur Vernier, mais cela me sera plus difficile de séduire Claire. Au cas où vous l’auriez oublié, elle est mariée – contrairement à Inès – et semble très attachée à son mari. Et elle a une fille aussi, pour qui elle voue comme toute mère pour son enfant un amour aveugle. Un lien très fort les lie à sa famille que personne ne pourra détruire. Toutes les heures, elle est pendue à son portable pour prendre de leurs nouvelles, et chaque appel la met en larmes. C’est une hétéro heureuse et épanouie qui n’a pas sa place dans notre monde, et je ne vois pas comment j’arriverai à la faire basculer de l’autre côté.

     Jean secoue la tête d’un air exaspéré. Il fixe sur elle un regard qui n’a rien d’humain, si froid qu’elle sent la peur la submerger. Un instant, elle avait oublié qu’elle avait en face un homme redoutable qui avait cette aptitude de cacher ses émotions sous un masque glacial, n’élevant jamais la voix, tenant toujours des propos mesurés et n’ayant aucun scrupule à punir ceux qui avaient le malheur de le décevoir. Il n’accepte jamais la défaite et ses paroles le confirment aussitôt.

    -    Ne commencez pas à justifier votre échec… Je n’ai jamais dit que ce serait une mince affaire. Mais justement, il faut saisir la faille et mettre à profit la moindre faiblesse. Or Claire est totalement déstabilisée ici, et c’est un avantage pour vous. Déjà, n’oubliez pas que c’est une femme comme tout le monde, avec des désirs, des envies, et qu’elle a l’habitude de les satisfaire avec un mari qui est justement absent. L’éloignement et l’abstinence sont des armes dont vous devez tirer profit. Chez elle, elle vit dans un cocon plein d’amour et de chaleur, un univers sécurisant où elle a ses marques et ses repères. Plus ici, où elle ressemble à une petite fille perdue et exilée au pays des fantasmes et des tentations, et c’est à vous de combler ce gouffre, de lui offrir tout ce qui lui manque, de l’influencer pour qu’elle cherche ses émotions ailleurs.

     -    Et comment je vais m’y prendre ?

     -    Faites-vous en une amie, gagnez sa confiance…

     -    C’est déjà fait.

     -    Bien. Usez et abusez de votre air angélique. Claire est fragilisée loin des siens et elle n’aura aucune peine à reporter son manque affectif sur la personne la plus jeune et la plus vulnérable de toutes, alors donnez-lui l’envie de vous protéger. Jouer avec ses sentiments maternels pour vous l’attacher sans réserve, cela vous laisse ensuite une jolie marge de manœuvre pour passer à l’étape supérieure.

     -   Pas de problème, je suis là en terrain connu. J’ai l’art et la manière de jouer la petite fille ingénue et paumée… Mais de là à ce que ses câlins deviennent plus intimes, il y’ a un sacré fossé à franchir !

    -    Sauf si vous l’attirez dans un piège si habilement ficelé qu’elle n’y verra que du feu. Et quand elle s’en rendra compte, c’est elle qui aura le feu au corps. Il suffit juste d’attiser le brasier.

     Elle lève vers lui un regard qui mêle scepticisme et intérêt.

    -    Et je vais l’allumer avec quoi le brasier ? Par la seule volonté du Saint esprit ?

     Un sourire démoniaque étire les lèvres de Jean Vernier. Il en jubile par avance.

    -    Déjà, son envie de jouer dans mon prochain film avec vous est l’atout majeur de notre réussite. Laissez-moi vous suggérer la suite et nous aviserons des détails ensuite.

     Il lui dévoile son plan et Patricia, au fur et à mesure de sa stratégie, se dit que Jean Vernier est décidément l’homme le plus retors et pervers qu’elle connaisse. Il n’est pas étonnant qu’il a réussi à se bâtir un véritable empire, jouant d’intelligence, de sang froid et d’habiles manœuvres pour accéder au pouvoir. C’est un homme qui pouvait devenir le plus précieux des alliés ou le plus dangereux des ennemis et Patricia, si elle réussissait, préférait de loin se trouver dans la première catégorie. Elle avait signé un pacte avec le diable et avait tout intérêt à le satisfaire. Son avenir en dépendait. C’est inquiète et soucieuse qu’elle quitte la pièce. A peine est-elle partie qu’une cloison coulisse et qu’une autre femme apparaît comme par magie. Jean est conscient de sa présence mais ne se retourne pas, occupé à installer un camescope sur trépied.

    -    Vous filmez encore ?

    -     Je ne veux rien louper du spectacle. Et Patricia n’avait pas besoin de voir le matériel, comme il est inutile qu’elle apprenne que tout ce qui se passe ici est filmé dans la mesure du possible.

    La femme est vite fascinée par les ébats qui se déroulent de l’autre côté du miroir. C’est d’une voix rauque qu’elle avoue :

    -    Je suis surprise qu’elle se soit laissée piéger aussi facilement… Et qu’elle ait craqué aussi vite.

     -    Réjouissez-vous. Il vous sera plus facile de la conquérir maintenant. Depuis le temps que vous fantasmez sur elle.

    Julie lui adresse un regard vitreux. Bon sang, elle n’en revenait toujours pas que la douce et romantique Inès se découvre aussi impudique et déchaînée dans les amours saphiques, comme si toutes les digues de sa vraie nature se rompaient brutalement et laissaient déverser des flots de luxure. Elle en avait rêvé jour et nuit, assouvissant ses fantasmes dans des caresses solitaires, s’enfonçant dans des délires obsessionnels à l’en rendre folle, et voilà que la défaite d’Inès lui permettait maintenant d’avoir une chance de la posséder à son tour. Son statut de directrice de maison d’édition la mettait souvent en relation avec Inès, la romancière qui lui apportait le plus d’argent, et l’avenir lui permettrait peut-être de gagner d’autres faveurs bien plus intimes… Décidément, elle ne regrettait pas de l’avoir poussée à se rendre dans ce château cathare, flattant son esprit créatif pour lui tendre ce piège tortueux qui avait réussi au-delà de tout espoir… La toile avait été si tissée si habilement que la romancière s’était laissée engluer de façon irrémédiable, se perdant dans les affres du lesbianisme pour ne plus jamais s’en remettre… Julie essaie de calmer son esprit enfiévré, se concentrant sur la conversation à suivre.

    -    Et votre mystérieuse femme au tatouage de fleurs ? Toujours aucune trace d’elle ?

     -    Non, aucune. On peut rayer de la liste la plupart des invitées… Mais je ne désespère pas, je finirai par la retrouver.

     -    Et prévoir une autre semaine avec d’autres personnes qui ont connues également votre défunte femme ?

     -    Exactement. Je n’aurai de repos que le jour où je démasquerai la traînée qui est responsable de sa mort.

     -    Je ne vois aucun inconvénient à ce que cela s’éternise. Organiser ce genre de semaine entre filles réserve bien des surprises. Ou comment joindre l’utile à l’agréable…

     Le visage de Jean se durcit alors que ses yeux s’illuminent d’une lueur féroce.

    -    Il n’y aura rien d’agréable pour celle qui l’a poussée au suicide. Je lui réserve un tel sort que sa seule issue sera aussi de mettre fin à ses jours.

    La menace est déclarée si froidement que Julie en frémit d’horreur, oubliant un instant la scène torride qui se déroule dans la pièce voisine.

     

     

    Ses chaussures claquent sur le marbre, et c’est d’un pas mal assuré que Claire traverse l’immense hall de l’aile ouest du château. Elle se sent plus nerveuse qu’elle n’est disposée à l’admettre, et la panique ne cesse de s’accroître alors qu’elle approche de son rendez-vous. Elle compte les portes qu’elle dépasse, redoutant le moment où elle atteindra celle qu’il lui faudra ouvrir. Deux jours plus tôt, lorsque Jean Vernier lui avait parlé de cette séance photo, cette contrainte lui paraissait facile à subir, mais ce matin toute son assurance vole en fumée. Maintenant qu’elle est au pied du mur, elle aurait voulu se trouver à des milliers de kilomètres de ce maudit château perdu dans l’arrière pays catalan, avec son hôte cynique et manipulateur qui tirait les ficelles comme maître et seigneur, avec ses invitées hypocrites et vénales qui, entre intrigues et manigances, passaient leur temps à coucher les unes avec les autres. Jamais Claire ne s’était retrouvée dans un tel climat de licence et de corruption, une ambiance sensuelle et électrique qui finissait par jouer sur ses nerfs. Tout cela au nom de la réussite et de l’ambition, toutes étant ici pour assouvir leur envie de gloire et de fortune, rêve inaccessible que leur hôte pouvait justement leur apporter sur un plateau d’argent. Et Claire, comme les autres, avait cédé à la facilité, dans l’incapacité de refuser l’opportunité incroyable qu’il lui offrait. Elle avait la chance incroyable d’obtenir le premier rôle dans la future grosse production de Jean Vernier, un film à gros budget où semblait souffler une magie lyrique et flamboyante, entre histoire épique et drame passionnel, entre aventure et érotisme. Claire aimait prendre des risques, mais jusqu’ici avait fait de mauvais choix en se lançant dans des films d’auteur qui, excepté le premier qui avait connu un gros succès, avait essuyé surtout de cuisants échecs. Le public ne suivait plus son parcours atypique et finissait même par l’oublier. Certes, elle avouait elle-même qu’elle ne courait pas après la gloire et la fortune, tournant le dos aux grosses productions, aux grosses machines commerciales qui broyaient les acteurs dans un système impitoyable, mais elle attendait tout de même un minimum de reconnaissance et d’estime. Or, maintenant, à s’obstiner à sortir des sentiers battus dans des films indépendants, elle ne valait plus rien sur le marché.

    Il était donc temps pour elle de reconnaître ses erreurs et de changer son fusil d’épaule, d’où ce défi à relever dans un film qui sentait déjà le souffre et le scandale avant qu’il ne soit tourné. L’histoire se passe pendant l’occupation nazie à Paris, où une jeune et jolie juive va infiltrer par vengeance, suite à la déportation de toute sa famille, le service de renseignements allemands. Elle va se faire engager comme bonne à tout faire chez un officier de la gestapo, et nouer avec la femme de celui-ci une tendre relation. Tiraillée entre ses sentiments qu’elle refuse et son désir de faire mal, elle va contraindre l’allemande à ouvrir les yeux sur les horreurs de la guerre, à lui dévoiler la vraie nature de son mari au service d’une armée totalitaire et sadique, à renier son identité et ses origines, jusqu’à l’utiliser et l’obliger à trahir son propre mari. Ambiguïté de la frontière entre le bien et le mal, trahison et cruauté des deux côtés de la barrière où chacun se bat pour ses convictions, passion exacerbée et sulfureuse entre deux femmes que tout sépare, le film semblait combiner violence et poésie, sauvagerie et érotisme, entre faits historiques et histoire d’amour interdite.

    Le sujet était fort et intense, avec un morceau d’anthologie : une scène d’amour torride entre les deux femmes sans plan de coupe, alors que la gestapo effectue une rafle dans la planque des résistants. Patricia devait jouer le rôle de la femme allemande, naïve et soumise, refusant d’admettre la réalité du shoa. Et Claire serait la juive en proie à sa haine et ses doutes, refusant ses attirances et s’enfonçant dans une lente et insidieuse destruction morale. Mais avant de se lancer dans ce projet ambitieux, Claire devait se plier à la promotion du film, et le sujet scabreux l’obligeait maintenant à se rendre à cette séance photo très particulière, où apparemment elle avait à se déshabiller dans quelques postures lascives. C’est bien cela qui lui provoque une boule au creux de l’estomac. Bon sang ! Elle devait être folle, complètement folle, pour se croire capable de réussir une telle entreprise ! Les risques ne lui faisaient pas peur, sauf lorsqu’il s’agissait de décence et de mœurs… Là, elle devrait se faire violence pour briser des règles de bienséance et de réserve qui avaient jusqu’ici régis toute sa vie. Élevée de manière stricte par une mère puritaine qui avait vécu son veuvage toute sa vie dans la dignité et le respect d’une religion catholique qui frôlait le fanatisme, on lui avait enseigné à avoir honte de son corps nu. Heureusement, cette honte s’était en grande partie atténuée, d’abord dans les vestiaires qu’elle avait partagés avec ses copines en pratiquant le hand-ball durant de nombreuses années, puis ensuite au contact de son mari – le seul et unique amour de sa vie – qui lui avait appris, à force de patience, à briser un peu ses inhibitions. L’épreuve qui l’attendait serait donc encore éprouvante. Son cœur est prêt à exploser lorsqu’elle frappe à la porte.

    -    Entrez.

    Elle s’exécute. Le majestueux salon en acajou est imposant mais, d’emblée, elle est impressionnée par les moyens mis en œuvre dans l’installation d’un studio intégré pour la photographie professionnelle : diffuseurs et réflecteurs de lumière, lampes et flashes sur pieds, parapluies translucides et argent, reflex numérique sur trépied, télécommandes et divers accessoires dont l’usage lui échappe… Le souffle coupé, elle en oublie son appréhension lorsqu’une femme surgit brusquement derrière d’un paravent et s’exclame sèchement :

    -    Enfin, vous voilà ! J’ai failli attendre… Dépêchons-nous !

    -    Désolée mais je ne pense pas être en retard.

     -    Peu importe car le temps nous est compté ! En deux heures je ne peux pas faire des miracles ! Allez, déshabillez-vous ! Vite !

    Son ton autoritaire fige Claire sur place. La femme qui aboie ses ordres est âgée d’une soixantaine d’années, vive et masculine, exubérante et hargneuse, au regard agressif derrière d’épaisses lunettes rouges. Son costume alpaga est coupé de façon exquise, avec un foulard violet qui parvient à peine à dissimuler les rides de son cou flasque. Son expression devient plus mauvaise lorsqu’elle constate que Claire n’a toujours pas bougé.

    -    Ma petite, c’est pas en prenant racines sur place que le travail va avancer ! Allez, on se bouge !

    Claire hésite. Elle est sur le point de s’enfuir comme une voleuse lorsque Patricia apparaît comme par magie.

    -    Laissez, Françoise… Je m’en occupe.

     Vêtue d’un short ultra court de couleur bleu et d’un débardeur assorti, elle est précédée par une agréable bouffée de parfum exotique, frais et grisant comme son allure enjouée et pétillante.

    D’un air protecteur, elle prend Claire par les épaules et la guide au fond de la pièce.

    -   Qu’elle crève cette vieille peau ! lui murmure Patricia en serrant les dents d’un air méchant.

    Elle sourit d’un air complice, repousse ses longs cheveux blonds en arrière et se penche vers elle pour lui déposer un baiser sur la joue.

    -    Claire, je suis si heureuse de travailler avec toi. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai crû m’évanouir de joie ! C’est merveilleux ce qui nous arrive ! Je n’y crois toujours pas !

    -    J’ai du mal aussi à réaliser. Mais on est vraiment obligées d’en passer par là.

     -    Passer par quoi ?

     -    Cette séance photo. C’est pas trop mon truc de m’exposer comme ça, et encore moins s’il faut le faire dans des tenues légères. Tu sais, je suis plutôt pudique…

     -    Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer… Et ne t’effraie pas trop vite… Françoise a des manières brutales, mais c’est une vraie pro, la meilleure…

    Sans être vraiment convaincue, Claire hoche la tête en pénétrant dans une vaste chambre aux murs lambrissés de chêne. Elle y jette un bref regard circulaire avant que son attention ne se porte sur la tenue qui est délicatement posée sur le lit, apparemment posée sciemment à son attention. Elle en reste paralysée d’effroi. Un simple top en soie noire, porte-jarretelles et bas résille, avec un string assorti. Son sang se retire de son visage lorsqu’elle se tourne vers Patricia d’un air affolé.

    -    Jamais je ne pourrai mettre ça ! C’est obscène ! J’aurai l’air d’une pute là-dedans !

     -    Désolée, je n’y suis pour rien. Allez, c’est pas la mort après tout… Tu veux que je reste pour t’aider ?

     -    Non, ça ira…

    Elle prend une profonde inspiration comme pour s’armer de courage. Elle attend que Patricia soit sortie pour se déshabiller.

    La colère la transforme en bloc de glace. Après tout, l’humiliation sera de courte durée, un moment difficile à passer pour accéder ensuite à la réussite professionnelle. La vie n’est-elle pas faite d’épreuves à surmonter ? Malgré ses bonnes résolutions, ses mains tremblent alors qu’elle fait glisser sa jupe à ses pieds, et tremblent davantage lorsqu’elle se rhabille ensuite avec cette tenue déshabillée. Il lui faut un certain moment pour oser affronter son reflet dans la glace, prise de frissons incontrôlables en contemplant une femme qui ne lui ressemble plus du tout. Malgré elle, au lieu de se trouver ridicule, la ligne sexy du top en soie fait ressortir sa poitrine à son avantage, exhibant ses seins dans toute leur splendeur et leur agressivité, soulignant la finesse de sa taille.

    Les bas et porte-jarretelles accentuent la longueur de ses jambes et mettent en valeur la douceur satinée de sa peau. Jamais elle ne s’est sentie si femme, si audacieuse et espiègle, une sensation nouvelle qui la laisse un instant rêveuse. Devant la glace, elle tente d’amoindrir la gravité de la situation en faisant la grimace, se tirant la langue, roulant de gros yeux, puis mimant la femme fatale en affichant une moue à la fois sensuelle et boudeuse.

    Une légèreté qui ne dure pas longtemps alors que l’inquiétude revient au galop. Son esprit fonctionne à plein régime mais elle ne trouve aucune réponse à ses questions. Jusqu’où était-elle prête à aller pour décrocher le rôle de sa vie ? Pouvait-elle tourner le dos à tous ses principes et abandonner toute dignité pour se prêter à cette mascarade de photos osées ? Son esprit n’est que confusion alors qu’elle se décide à regagner le salon. C’est dans un état second qu’elle obéit à Françoise, prenant poses lascives et airs langoureux alors que celle-ci la mitraille de photos de façon ininterrompue. D’abord, Claire se montre gauche et figée, ne sachant pas trop quelle attitude adopter alors que tout cela va à l’encontre de sa vraie nature. Puis, peu à peu, elle se détend, prenant confiance en son pouvoir de séduction. Françoise, pour l’aider, lui donne même un pistolet en plastique, la dirigeant vers un terrain connu qu’elle maîtrise mieux : le métier d’actrice. Claire se met alors dans la peau de son personnage, une juive blessée et humiliée par les horreurs de la guerre, pleine de haine et de rancœur, criant justice alors qu’une arme en sa possession peut l’aider à assouvir sa vengeance. 

    Elle se tient immobile, les bras tendus, les deux mains serrées sur la crosse de l’arme factice, l’air farouche et déterminé. Puis adopte d’autres positions où toute la tension dramatique se ressent dans chacun de ses gestes. Transportée par son rôle, elle s’affranchit de toutes barrières en osant s’afficher ensuite, sur les ordres de Françoise, dans un rôle plus sensuel et narcissique, jouant de sa beauté à la fois pure et lumineuse, cassant son image de femme trop sage et pudibonde.

    Elle s’enflamme dans des poses mutines et espiègles de femme-fatale. En cet instant, le plaisir et l’admiration que son corps lui procure la rend vivante et vibrante d’une énergie nouvelle. Un frisson voluptueux lui donne la chair de poule, faisant pointer ses seins transparents sous la soie du top. Un souffle de liberté qui l’enflamme. Elle en oublie la présence de Patricia qui, silencieuse et discrète derrière une panoplie de réflecteurs, l’observe avidement comme une proie à dévorer. Son visage est figé dans un masque presque bestial, une faim incoercible qui la fait ressembler à un fauve tourmenté par ses instincts primaires. Le désir qui la consume est intense et insupportable. Ses yeux fixes sont comme hypnotisés par ceci : un longs corps brun et doré, déhanché et élancé, aux fesses rondes et cambrées au-dessus d’interminable jambes de statue grecque. Le ventre lisse est légèrement bombé, la taille souple et fine s’évase sur des hanches rondes et fermes, avec ce délicieux triangle sombre qu’elle devine sous le string, enflé et impertinent d’une volupté contenue. Elle est beauté et désir. Patricia en est si excitée que son souffle s’accélère. A cet instant, Claire se tourne vers elle et leurs regards se croisent. Patricia ne se dérobe pas, la regardant droit dans les yeux, comme pour lui communiquer ce feu intense qui la dévore de l’intérieur. Claire, confuse, les joues en feu, détourne aussitôt son regard. Elle ressent comme une boule de feu dans l’estomac en croyant comprendre l’origine du trouble chez son amie. Dans l’embarras, elle perd son assurance et ébauche quelques mouvements maladroits. Le charme finit d’être définitivement rompu lorsque la voix de Françoise claque comme un coup de fouet.

    -    Bon, déshabillez-vous maintenant.

     

    Les mots la frappent au visage comme une bouffée d’air glacé et elle en reste paralysée. La tension qui la possède empêche tout d’abord son cerveau de démêler l’écheveau de cet ordre grotesque. Elle croasse difficilement :

      -    Quoi ?

       

        -    Vous avez très bien entendu. Vous devez être totalement nue pour faire quelques séances photos avec Patricia qui, dans le film, devient votre amante je vous le rappelle…

         

          -    Je suis obligée de… de tout retirer ?

           

            -    Oui et c’est sans appel. Vous devez vous habituer à partager une certaine complicité et intimité avec votre partenaire. Avec elle, il y’ aura une longue scène d’amour plutôt torride, alors autant vous y faire maintenant ma petite… Ce que vous faîtes ici sont de doux préliminaires comparé à ce qui vous attend sur le tournage. On a rien sans rien, il faut savoir payer de sa personne pour réussir, ma petite…

            Son ton s’est radouci et Claire réalise brusquement que cette femme odieuse n’a malheureusement pas tort. Elle dissimule son inquiétude derrière une moue d’enfant capricieuse, se tournant vers Patricia pour quêter un soutien ou un encouragement. Celle-ci, d’un hochement de tête et un sourire chaleureux, acquiesce en silence. Alors Claire se lance à l’eau. Rejetant ses cheveux en arrière d’un brusque mouvement de tête, elle lève les yeux et toise Françoise avec un mélange de défi et de colère. Pourtant, ses doigts tremblent lorsqu’elle fait glisser la bretelle du top en soie sur ses épaules. Les émotions qui couvent en elle depuis cette séance photo éclatent dans toute sa contradiction , puis se fondent pour former une boule dure au creux de son estomac. Bon sang ! Il était hors de question qu’elle donne à cette vieille harpie le spectacle humiliant de la lâcheté et de la déroute, et c’était à elle de la surprendre. Elle se penche en avant dans une attitude délibérément provocante, creusant les reins et gonflant la poitrine.

            Elle fait lentement glisser le déshabillé par-dessus sa tête, jouant des épaules d’un mouvement gracieux. Ses seins tressautent délicatement lorsqu’ils sont libérés de l’étreinte de la soie. Elle garde les bras en l’air, se passant les mains dans les cheveux d’un air langoureux, faisant ressortir le galbe parfait de ses seins. Les mamelons sont durs et se dressent rapidement au contact de l’air frais. Leurs aréoles brunes, très larges, se dessinent de façon agressive sur la peau tendre et dorée de ses seins. Sans réfléchir, tout en continuant de jouer avec sa longue chevelure brune, elle s’autorise même une moue à la fois boudeuse et aguicheuse, dans un simulacre de mimique sensuelle.

            Puis elle continue de se déshabiller. Elle ne sait toujours pas si sa tactique est la bonne mais, malgré sa bravade, elle est perdue et désorientée. Quelque part en elle, au fond de ses émotions contradictoires, elle est une petite fille au bord des larmes. Peu importe, elle est allée trop loin pour reculer. Elle sent son pouls battre dans sa gorge comme un oiseau en cage lorsqu’elle fait glisser ses bas en résille le long de ses jambes, puis tire ensuite sur l’élastique de son string, le baissant lentement en corolle jusqu’à ses pieds. Une brise s’insinue entre ses cuisses, faisant frissonner sa fine toison de bouclettes noires sous laquelle se devine l’amorce d’une intimité plus secrète encore. Patricia est subjuguée, le regard perdu dans la tendre féminité, résistant à l’envie de se jeter dessus pour explorer de la langue chaque recoin de son sexe, s’y délectant inlassablement. Pour ne pas succomber à la tentation, elle ferme les yeux et se tord nerveusement les mains. Elle souffre le martyre, la chair à vif, prête à se déchirer la peau. Jamais une femme ne lui a fait autant d’effet.

            Elle admire le courage de cette femme qui, armée de sa seule détermination, est allée contre ses principes. Malgré sa pudeur, un feu semble couver dans ce corps splendide comme dans les laves d’un volcan endormi. Son comportement à la fois résolu et fragile n’était pas celui d’une femme lisse et sans charme mais au contraire celui d’une femme fière et rebelle, animée de secrètes passions dont elle ignore encore l’existence. Patricia se sent provoquée et excitée à l’idée de l’éveiller à des plaisirs interdits, la soumettre à des passions saphiques, la posséder et la briser.

            Elle sent son pouls et sa respiration s’accélérer toujours en l’imaginant frémissante et pâmée dans ses bras, perdue dans des voluptés si intenses qu’elle en oublierait son mari et son enfant, cette vie médiocre d’hétérosexuelle cloîtrée dans ses convenances.

            C’est avec un terrible effort de volonté qu’elle chasse toutes ses pensées érotiques, s’efforçant de revenir au présent.

            Claire, totalement nue, s’immobilise enfin.

            Elle est troublée de constater l’état dans lequel Patricia se trouve, sa fièvre est si palpable qu’elle en est presque contagieuse. Elle en éprouve une émotion fugace et déconcertante, si nouvelle qu’elle n’en saisit pas la nature et la repousse instantanément. Elle a encore la force de s’adosser contre le mur, repliant la jambe gauche dans un mouvement décontracté. Puis elle attend la suite des événements. Françoise la contemple avec admiration. Elle sourit sans chercher à cacher son étonnement. Puis, avec malice, se tourne vers Patricia.

            -    Voyons si vous ferez preuve d’un si grand professionnalisme. Allez, ma petite, à poils et que ça saute !

            Patricia lui jette un regard à foudroyer toute la Catalogne. Puis elle se concentre lorsqu’elle commence à se défaire doucement de son débardeur. Claire, confuse, sent sa pomme d’Adam monter et descendre dans sa gorge, oppressée par une émotion indéfinissable. Elle en oublie le stress qui lui tordait auparavant le ventre, les yeux fixés sur le soutien-gorge que tendent deux globes de chair laiteux et agressifs. Ses seins lourds et pâles s’arrondissent au-dessus du tissu. Avec une lenteur calculée, Patricia envoie sa main gauche derrière son dos en se cambrant. Les seins libres jaillissent, orgueilleusement splendides et fermes. Elle a un teint de porcelaine, une silhouette admirablement proportionnée, avec cette fragilité délicate qui la rend si attachante. Elle s’attaque ensuite à son short. Genoux joints, elle le fait lentement descendre et Claire se sent déglutir avec mal en l’observant se déshabiller ainsi. Patricia est consciente de son trouble et, pour dissimuler un sourire victorieux qu’elle est incapable de réprimer, baisse la tête, laissant tomber sur son visage sa longue crinière blonde. C’est dans cette posture qu’elle retire une jambe, puis l’autre, avant de se redresser fièrement, rejetant ses cheveux en arrière, toisant Françoise d’un air de défi. Cette dernière, d’instinct, détecte chez cette jeune femme quelque chose de dangereux et de sournois. Son joli minois innocent et ses grands yeux de biche lui donnent le bon Dieu sans confession, mais elle ne s’y trompe pas. Par son mélange de candeur, de charme et de perversité glaçante, cette fille affirme une personnalité ambiguë et dérangeante, loin des sentiers battus. D’une insolente beauté, elle semble maintenant satisfaite de son strip-tease, et attend patiemment sans la moindre gêne, les mains sur les hanches, les épaules rejetées en arrière et les seins en avant. Elle est divinement excitante ainsi, ménageant ses effets, usant et abusant d’un corps qu’elle sait splendide et qui sait rendre fou de désir les hommes comme les femmes.

            -    Et le string ? remarque Françoise avec autorité.

            Les lèvres de Patricia se retroussent comme pour mordre. Évidemment, elle s’y attendait, mais elle feint l’étonnement pour mieux simuler l’innocente victime. Elle place ses doigts sur ses hanches, saisit l’élastique entre le pouce et l’index et se débarrasse du string en se tortillant lascivement, faisant durer le plaisir avec un naturel désarmant. Malgré elle, Françoise apprécie le caractère trempé de cette petite insolente. Elle n’a pas froid aux yeux et sait relever tous les défis. Elle reprend sa position précédente, sans montrer la moindre pudeur. Puis provoque Françoise du regard, un sourire ironique sur les lèvres. Rien ni personne ne peut la déstabiliser. Elle cherche le regard de Claire qui se détourne. Celle-ci est rouge comme une pivoine. Françoise semble ravie. Le jeu des passions et des émotions entre les deux femmes ne lui a pas échappé. Un duel subtil et sensuel entre deux caractères diamétralement opposés. L’ange contre le démon. Cela s’annonçait passionnant. Elle s’en frotte les mains de satisfaction.

            -    Bon, excellent. Maintenant, passons aux choses sérieuses… Vous allez poser ensemble, comme deux femmes follement amoureuses l’une de l’autre. Je veux de la passion, de la sensualité, mais dans l’esthétisme et le suggestif… Pas de vulgarité, rien de sale ou aveulissant, juste de l’érotisme à fleur de peau… Vous avez compris ?

            Patricia hésite, de peur que Claire ne se braque. Elle la regarde dans les yeux. Elle y lit de l’anxiété, de la tension et aussi une forte détermination. Cela la rassure. Elle répond donc :

            -    Aucun souci pour moi.

            Claire acquiesce doucement de la tête. Elle laisse Patricia venir à elle. Puis, à quelques centimètres l’une de l’autre, elles prennent des postures lascives et provocantes, se déhanchant et suivant les directives d’une Françoise qui, surexcitée derrière son appareil photo, ne cesse de prendre des clichés comme si son doigt restait collé sur le déclencheur.

            Insidieusement, Patricia se rapproche furtivement, et frôle de son avant-bras les épaules de sa partenaire. Brutalement, elle se sent tressaillir. C’est un contact à peine esquissé mais qui suffit à la bouleverser. Surprise, Patricia perd pied un moment, ne trouvant plus le rythme et l’inspiration, gauche et disgracieuse. Elle pense reprendre le contrôle lorsque, par inadvertance, Claire lui effleure le dos de ses seins, la piquant d’une délicieuse brûlure qui se propage dans tout son corps. Elle en tremble comme une jument prise de fièvre, de nouveau déroutée. Claire, inconsciente de l’incendie qu’elle a allumé chez sa jeune amie, continue de poser autour d’elle. Patricia n’arrive plus à se concentrer. Elle est fascinée, ne pouvant détacher ses yeux du corps splendide qui s’active si prés d’elle. Les seins fermes oscillent au rythme de ses postures provocantes. C’est insupportable. Elle est au supplice. De nouvelles bouffées de chaleur l’envahissent et son visage s’empourpre. Tout son corps est gagné par une onde ardente, un désir indescriptible. C’est la première fois de toute sa vie de débauche qu’elle ressent une pulsion aussi forte et irrépressible. Même l’attirance qu’elle avait ressenti pour Inès est un jeu d’enfant comparé au tourbillon charnel qui la déstabilise en ce moment. Elle ne contrôle plus rien et comprend vite qu’il lui faut changer de tactique. Passer à l’étape supérieure. Les émotions qui la ballottent dans un tumulte désordonné est le moment propice et idéal pour jouer la comédie. Une inexplicable envie de pleurer la saisit et elle ne fait rien pour retenir ses larmes. Bien au contraire… Claire sent le changement et s’immobilise en voyant les larmes perler aux yeux de sa jeune amie. Elle veut la rassurer mais c’est trop tard. Patricia part en courant, fuyant comme une petite fille malheureuse vers la chambre du fond. Claire n’hésite pas une seconde et part à sa suite. Elle la retrouve assise sur lit, le corps secoué de sanglots, se cachant le visage entre ses mains. Elle semble si désemparée, fragile et vulnérable que Claire vient vers elle dans un élan spontané.

            -    Viens… lui murmure t- elle en ouvrant ses bras.

            Patricia tourne vers elle un pauvre regard pitoyable, gonflé et rougi par les larmes qui ne cessent de se déverser abondamment sur ses joues. Puis, soudain, elle se blottit contre elle comme une enfant perdue. Elle enfouit son visage contre sa poitrine et l’étreint à l’étouffer. Son souffle chaud lui caresse les seins, une haleine parfumée qui remonte jusqu’à ses narines et l’emplit d’une onde de bien-être indéfinissable. Dés le début, Claire avait été touchée par cette jeune femme d’une façon qu’elle a du mal à définir. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle la déconcertait tant. Tandis qu’elle lui caresse les cheveux et la berce doucement, elle sent une tendresse s’épanouir dans son cœur, un flot d’amour l’emporter vers un chemin inconnu. C’est la première fois qu’elle tient ainsi une femme complètement nue dans ses bras, et elle ne ressent ni dégoût ni répulsion. Au contraire, c’est un contact agréable, doux et soyeux, avec un parfum très féminin et capiteux qui monte de cette chair frissonnante. C’est si nouveau qu’une bouffée de chaleur l’envahit et elle l’analyse logiquement comme un instinct maternel et protecteur, un besoin naturel de reporter tout son manque affectif sur cette jeune fille vulnérable. Elle n’a plus son mari et son enfant à choyer et dorloter de tout son amour, un vide qui lui enserre la poitrine dans un étau douloureux et la laisse si désemparée. Seule Patricia, par sa jeunesse et son insouciance, semble pouvoir combler ce vide. Elle la laisse remonter le long de son corps, son visage glissant le long de son cou, sa bouche frôlant son menton, ses lèvres déposant des baisers fiévreux sur sa joue gauche. Elle sent sa poitrine s’appuyer contre celle de la jeune femme alors que celle-ci l’enlace plus étroitement. Ses seins semblent plus volumineux alors qu’ils épousent les siens, lourds contre sa peau, d’une douceur incomparable, d’un blanc si délicat, avec des mamelons si roses et si peu développés, que Claire sent sa gorge se nouer tellement cette sensation est étrange. Les lèvres humides et ouvertes ne cessent de picorer sa joue, s’approchant de sa bouche qu’elle détourne au dernier moment, fuyant le baiser. D’instinct, Claire se fige, repoussant Patricia et la regardant dans les yeux d’un air effaré. Mais la jeune femme affiche un air si innocent et vulnérable que Claire ne sait plus quoi penser. Impossible, elle a dû se méprendre sur ses intentions ! Elle se moque intérieurement d’elle-même, repoussant ce soupçon absurde. Elle s’enquiert :

            -    Patricia, que t’arrive t- il ?

            -    Désolée… Je ne peux pas, je ne peux pas !

            -    Tu ne peux pas quoi ?

            -    Je ne peux pas, je ne peux pas !

            Patricia ne cesse de répéter cette même phrase d’un air borné, comme un mal absolu qu’elle ne voulait pas admettre et cherchait à refouler de toute son âme. Elle transpire et grelotte tout à la fois. Claire ressent de la pitié et la saisit par les épaules, la forçant à la regarder.

            -    Patricia, réponds-moi bon sang ! Tu ne peux pas quoi ?

            Le regard fiévreux de celle-ci se fixe droit dans ses yeux.

            -    Je ne peux pas te faire l’amour.

             -    Quoi ?

            Claire la lâche, partant en arrière comme si elle avait tenu dans ses bras un serpent à sonnette. Elle est pétrifiée d’horreur et de perplexité.

            -    C’est une blague ou quoi ?

            Le cœur battant à tout rompre, elle se lève et s’éloigne de Patricia, commençant à se rhabiller à la hâte. Patricia pleure en silence, sent la colère de la femme monter peu à peu, en vagues successives. Le silence devient oppressant. Claire ne comprend pas. Elle n’arrive plus à cerner la personnalité de cette jeune femme. Les pensées se bousculent dans sa tête et la peine qu’elle ressent est sans fond, indicible. Un état presque nauséeux, comme après une trahison. Ainsi, elle ne s’était pas trompée. Patricia avait manifesté des attentions pas si innocentes que ça ! Mais les raisons lui échappent. Et Pourquoi le lui avouer de cette façon tout en se maudissant comme elle le faisait ? La jeune femme continue de pleurer et se lamenter, ne cessant de répéter quelle ne pouvait pas et que cela était au-dessus de ses forces. Intriguée, Claire se fige. Les larmes qui ruissellent sur les joues et glissent jusqu’aux seins ont raison de sa colère. Une compassion qu’elle ne peut refouler étreint son cœur. Sa bonté naturelle reprend le dessus. De nouveau, elle s’assoit à côté de Patricia et lui prend les mains qu’elle serre avec douceur.

            -    Patricia, je ne comprends pas… Que veux-tu dire exactement ?

             -    Je ne voulais pas, je ne voulais pas…

             -    Enfin, parle.

             Patricia lève vers elle un regard plein de détresse.

            -    C’est Jean Vernier qui voulait que je le fasse. C’est ça ou je n’ai pas le rôle…

            Claire accuse le coup. Elle a peur de comprendre.

            -    Tu veux dire qu’il te donne le rôle si tu réussis à coucher avec moi ?

            Patricia acquiesce d’un air penaud.

            -    Oui. Et il n’a pas l’intention aussi de te donner le rôle s’il ne se passe rien entre nous. Tu images le fardeau qui pesait sur mes épaules… C’est trop dur à assumer, au-dessus de mes forces… Je n’en peux plus !

            Claire se dresse d’un bond, fait deux pas et se retourne, emportée par une fureur aveugle.

            -    Le salop ! Le salop ! Mais c’est dégueulasse ! C’est du chantage pur et simple, c’est odieux !

            L’indignation lui coupe la parole. Un trou béant semble s’ouvrir sous elle, l’aspirant dans un gouffre de mensonges et de faux-semblant qui lui apparaissent dans toute son horreur. Tout ceci n’était donc qu’une farce grotesque dont elle était le pantin, une sombre machination ourdie pour le seul plaisir d’un voyeur décadent. Dans cet écheveau pervers, où donc était la part de vérités et de mensonges ? Le monde semble s’écrouler autour d’elle.

            -    Il m’a bien eu avec ses promesses et ses belles paroles ! Quel gâchis ! J’ai perdu mon temps dans ce maudit château pour rien, loin des miens, loin de ceux qui comptent le plus pour moi…

            Sa voix se brise et elle retient ses larmes. A l’idée de s’être séparée de sa famille pour tomber dans ce piège immonde, elle ressent une main glacée lui comprimer le cœur. Elle n’allait pas pleurer, mais elle chancelle sur place, étourdie par une douleur sans nom. Elle se reprend, laissant remonter sa rage. Elle renverse de colère une chaise qui traînait sur son passage. Patricia est clouée sur place, préférant laisser passer l’orage. -    Tout ça pour rien ! Pour rien ! crie-t-elle plus fort.

            Elle tourne comme une lionne en cage, pestant et fulminant.

            -    Je veux avoir sa peau, lui retourner la monnaie de sa pièce… Il ne peut pas s’en tirer comme ça, ce serait trop injuste !

            Elle envoie valdinguer la même chaise d’un violent coup de pied. Patricia se lève à cet instant et lui saisit le bras.

            -    On pourrait aussi lui tendre un piège, avance t-elle timidement.

             -    Si c’était si simple… rétorque Claire avec un regret sincère. Je ne vois pas comment…

             -    En lui donnant ce qu’il demande… Ou en faisant semblant du moins.

            Claire s’immobilise et la dévisage avec perplexité. Patricia la défie du regard.

            -    Oui, et ce serait lui dans toute cette histoire le dindon de la farce. On peut le tromper et le duper en faisant semblant de faire l’amour. Il n’y verra que du feu et sera obligé de tenir ses promesses en nous donnant le rôle… C’est bien plus tard qu’on pourra lui avouer notre comédie et lui balancer notre dédain en pleine figure ! Il n’a jamais accepté la défaite et il ne s’en remettra jamais !

            Claire l’observe avec gravité, le visage tendu. L’idée lui paraît séduisante mais comporte trop de risques. Elle finit par désapprouver de la tête.

            -    Non, c’est absurde… Et je ne vois pas comment on pourrait s’y prendre…

            -    Pour prouver le succès de ma mission, je devais tout filmer à ton insu en planquant un camescope quelque part… Il nous suffit de mimer des étreintes, des soupirs, de jouer sur la lumière et les angles morts, et il ne se rendra compte de rien. Berné le vieux cochon ! Echec et mat !

            Claire hésite. Patricia regrette qu’elle montre si peu d’enthousiasme alors que son plan se déroule pour l’instant à la perfection.

            -    Cela ne marchera pas…

            -    Mais si ! On peut réussir ensemble, toutes les deux, parce que nous sommes plus fortes et plus rusées que ce vieux dégueulasse ! insiste encore Patricia pleine d’espoir.

            Elle se met soudain à pleurer, presque silencieusement, son corps secoué de sanglots douloureux.

            -    Ce film c’est le rôle de ma vie, une opportunité comme jamais je n’en aurai d’autres ! La vie ne m’a jamais fait de cadeaux, et j’ai enfin l’occasion de prendre ma revanche ! Claire, je t’en prie, ne laisse pas ce pourri tout foutre en l’air alors qu’on peut le berner et réaliser notre rêve ! Je t’en prie…

            Emue, Claire se laisse encore submerger par la compassion. Elle la saisit par les poignets.

            -    Je suis actrice, d’accord, mais les scènes intimistes n’ont jamais été mon fort et je n’ai jamais eu à le faire avec une femme… Je ne sais pas si j’en suis capable…

            Patricia étouffe ses pleurs, essuie les larmes d’une main tremblante avant de répondre d’une voix brisée :

            -    On n’a pas grand choses à faire… Juste quelques soupirs et de faux baisers… C’est peu pour prendre notre revanche et signer un contrat qui nous rendra riches et célèbres pour le restant de notre vie, non ?

            Elle a raison et Claire doit l’admettre a contre-cœur. La concurrence se bouscule au portillon pour accéder au succès et Claire, bien que nageant à contre-courant pour ne pas se fondre dans la masse, avait été témoin de manœuvres et de coups bas à la faire rougir de honte. Mais elle en connaissait quelques unes qui étaient parvenus à se faire une place au soleil et n’avaient aucun problème de conscience. Claire, avec ses principes, restait toujours dans l’ombre. Comme l’avait si bien dit Françoise quelques minutes auparavant, il fallait savoir se battre et se salir pour parvenir à ses fins. Une triste réalité qui remet en cause ses valeurs idéalistes et surannées. Elle inspire à fond en prenant sa décision.

            -    Et tu es certaine qu’on peut le faire ? Le tromper si facilement ?

            Patricia lève sur elle ses yeux mouillés, dissimulant derrière des battements de cils une lueur de triomphe. Elle esquisse un pâle sourire.

            -    Bien évidemment. On pourra même se glisser sous les draps en faisant semblant de se caresser et pousser des cris de plaisirs qui le mettrons dans tous ses états ! Il n’y verra que du feu, ce sera un jeu d’enfant !

            Pleine d’espoir, elle bat des mains comme une gamine excitée qui s’apprête à faire une mauvaise blague. Claire sourit de son innocence. Mais son visage s’assombrit à la perspective d’être tétanisée et incapable de simuler quoi que ce soit le moment venu.

            -    On va essayer mais je ne sais pas si je pourrai aller jusqu’au bout… Les trucs entre filles, c’est franchement à des années lumière de mes principes, mon cerveau risque de bloquer totalement là-dessus.

            Patricia plisse son petit nez mutin avec espièglerie et lui adresse un clin d’œil complice.

            -    Pas de problème. Il est certain que tu n’auras pas le temps de te préparer à ton rôle et qu’il faudra complètement improviser. Mais ce n’est pas grave, tu peux te reposer sur moi… Je prends les choses en main. Je dois jouer le rôle de la femme perverse et débauchée, et toi la naïve hétéro qui se laisse tout doucement abandonner aux délices de l’amour lesbien. Tu me laisses donc faire, je m’occupe de tout.

            C’est ce qui inquiète justement Claire. Son visage fermé trahit ses pensées. Patricia comprend et elle part d’un rire spontané.

            -    Oh ! Tu crains que je ne prenne mon rôle un peu trop au sérieux, c’est ça ? Ne crains rien, j’aime Corinne de tout mon cœur et jamais je ne la tromperai !

            Elle renchérit en fronçant les sourcils dans une attitude de dégoût :

            -    Et puis tu n’es pas du tout mon genre, excuse-moi…

            Rassurée, Claire esquisse un pâle sourire. Elle lui est reconnaissante de dédramatiser une situation qui lui est si pénible. Elle s’efforce de réfléchir sur d’autres détails, élaborer un scénario qui tienne la route, dans une direction scabreuse qu’elle n’aurait jamais envisagé dans le passé. Cela semble si irréel.

            -    Il faudrait que je résiste un peu pour que cela soit plus crédible, non ?

            Elle ose une pointe d’humour en ajoutant :

            -    Tu sais, je ne suis pas une fille facile !

            Patricia éclate de rire. Elle applaudit et sautille sur place, vive et légère.

            -  Génial, c’est excellent !

            Claire envie son insouciance. Malgré son attitude plus décontractée, elle ne cesse d’être préoccupée par la tournure étrange que prennent les événements. Surtout que Patricia, toujours nue, s’approche maintenant d’elle en prenant un air faussement sérieux et effronté, progressant d’une démarche souple et lascive. Sa voix est grave, presque masculine, lorsqu’elle articule sur un ton théâtral :

            -    C’est ça, poupée, essaie de me résister. Ce sera pour mieux succomber !

            Son rire cristallin éclate en cascade alors qu’elle s’écrie :

            -    Personne ne peut me résister ! Personne !

            Fière de sa beauté, mains sur les hanches, elle se déhanche voluptueusement afin de faire jaillir davantage ses seins voluptueux et agressifs. Ses fesses insolentes et rondes ondulent souplement lorsqu’elle pivote sur elle-même, mains au-dessus de la tête, comme une danseuse.

            -    Je suis si belle, si belle ! s’extasie t- elle en riant aux anges.

            Claire demeure silencieuse, ne sachant quelle contenance prendre. Elle ne partage pas le même enthousiasme et une boule d’appréhension lui tord encore le ventre lorsqu’elle réalise qu’elle ne peut détacher son regard de ce superbe corps plein de vie et de jeunesse. Jamais elle n’a contemplé des courbes aussi gracieuses et harmonieuses. Des formes sensuelles que cette troublante lolita exhibe avec un mélange d’innocence et d’indécence, une forme de provocation qui contraste tant avec ce beau visage angélique qui, auréolé par la longue chevelure blonde tombant en cascade sur des épaules délicates, l’illumine d’une grâce divine. C’est presque avec soulagement qu’elle l’observe se rhabiller, atténuant ce bouillonnement d’émotions et de tendresse qui l’avaient saisis. Maintenant, une lourde lassitude s’abat sur elle et il lui tarde de se réfugier dans sa chambre, loin de toute cette agitation fiévreuse et impudique qu’elle a dû partager. Tout est si étrange et déroutant ici ! Obnubilée par ce désir d’être seule, c’est avec empressement qu’elle prend congé, dédaignant Françoise qui l’interpelle durement pour continuer la séance. Sa chambre lui apparaît comme un havre de paix et, anéantie, elle se laisse tomber sur le lit. Elle se sent soudain oppressée, gagnée par des tremblements nerveux – un sentiment de vulnérabilité semblable à celle qui avance en terrain inconnu.

            Elle a besoin de se sentir rassurer, retrouver ses repères. Comme si sa vie en dépendait, elle saisit son téléphone portable et appelle son mari. Entendre sa voix l’emporte dans un tourbillon d’émotions qu’elle ne peut contenir. Comme sa famille lui manque ! Sa détresse est si véhémente que les larmes ruissellent d’un coup, une vague dévastatrice qui la bouscule tel un fétu de paille. Un besoin désespéré et irrépressible l’empêche de couper la communication, elle s’accroche à cette voix connue et tant aimée qui reste le seul lien fragile envers son monde et ses idéaux, un univers d’amour et de paix, où les femmes aiment les hommes, où les femmes se marient, font des enfants et fondent un foyer comme l’exige la norme et la bienséance. Son territoire à elle. L’idée ridicule d’affirmer ainsi son hétérosexualité effleure brièvement son esprit, si fugitive et grotesque qu’elle la chasse aussitôt. Elle continue de se sentir réconfortée par la voix chaleureuse de son mari, sanglote de tristesse et de bonheur mélangées quand il lui donne des nouvelles de leur enfant. Leur conversation terminée, elle reste pensive, serrant contre son cœur le portable avec l’énergie d’une enfant s’accrochant à son jouet fétiche. Elle s’en rend compte et le pose à regret sur la table de chevet. Puis, comme vidée de toute énergie, elle commence à se déshabiller, se réjouissant à l’idée de rester un long moment seule et de pouvoir se reposer en toute quiétude.

            C’est nue qu’elle se glisse dans son lit et, s’efforçant de faire le vide dans sa tête, se laisse gagner par le sommeil.

            Maria s’approche de la porte coulissante, l’ouvre et passe sur la terrasse, qu’une pergola envahie par un bougainvillée fleuri protège des rayons brûlants du soleil. La température avoisine les trente-cinq degrés. Le repas vient de s’achever, consommé dans la fraîcheur du salon. Maria entraîne Florence vers l’extrémité de la terrasse, à un endroit où il n’y a pas un soupçon d’ombre, et elle sent immédiatement son front se couvrir de sueur. Tant pis car elle souhaite être à l’abri des oreilles indiscrètes alors que Gabrielle et Corinne sortent également.

            -    Florence, que se passe t- il ? Tout le monde fait une tête d’enterrement.

             -   La chaleur sans doute, Madame…

            Tu parles ! Le repas a été sinistre, égaillé par Jean Vernier qui tentait tant bien que mal de détendre l’atmosphère par des blagues si subtiles qu’il semblait le seul à les comprendre. Seule Patricia riait de ses plaisanteries, avenante et fébrile comme une gamine surexcitée. Sinon, le reste de l’assemblée semblait veiller un mort. Gabrielle avait le teint blafard et des poches sous les yeux, comme si elle n’avait pas fermé les yeux de la nuit. Elle était si éteinte qu’elle n’avait même plus la force de se montrer cynique et piquante, délaissant Inès au lieu de l’agresser verbalement. Celle-ci n’avait pas meilleure mine, l’œil hagard, l’esprit lent, comme si elle était en état de choc. A table, Maria avait tenté d’accrocher son regard, et ensuite de la prendre à part, mais celle-ci s’était aussitôt excusée et, prétextant une migraine carabinée, avait filé dans sa chambre. Corinne, elle, semblait ressasser de sombres pensées, la mine renfrognée et le regard mauvais. De toute évidence, le visage de la rock-star ne semblait jamais exprimer autre chose que la colère ou l’agressivité, et Maria se demande encore ce que la jeune et jolie Patricia pouvait lui trouver. Il n’y avait pas couple plus mal assorti. Enfin, Claire n’avait même pas daigné descendre pour assister au repas, apparemment gagnée par ce virus néfaste qui frappait tout le monde. Justement, elle s’enquiert à son sujet.

            -    Vous avez des nouvelles de Claire ?

            -    Non. Madame n’était pas bien et souhaitait rester seule dans sa chambre.

            -    Et Gabrielle ne me semble pas mieux disposée. Vous savez ce qu’elle a ?

            Mais Florence n’est pas de nature bavarde.

            -    Aucune idée, Madame.

            Décidément, la domestique n’est pas loquace et elle n’en tirera rien. Elle tente une dernière tentative.

            -   Enfin, Florence, que se passe t-il ? Je trouve l’atmosphère étrange aujourd’hui…

            Florence lui jette un regard dénué de toute expression. Maria réalise à ce moment que celle-ci arbore une expression aussi lasse et éreintée que les autres, et du coup elle en reste sans voix. La domestique en profite pour s’esquiver.

            -    Si Madame n’a plus besoin de moi…

            Elle s’éloigne à peine qu’elle se fait déjà sermonner par Fanny qui, de loin, semblait la surveiller. Les deux femmes disparaissent à l’intérieur du château. Intriguée, Maria reste pensive, descendant les escaliers en pierre qui mènent dans un splendide jardin. Des yuccas se mélangent avec des lauriers roses, entre massifs de rhododendrons et haies de troènes. Elle cherche l’ombre sous un pin-parasol, s’adosse contre le tronc. Devant elle, en contre-bas, Patricia et Corinne marchent main dans la main, avançant péniblement sur un chemin poussiéreux qui part en ligne droite entre les vignes. Maria envie leur courage, la chaleur étant insupportable. Elle sourit lorsque les deux femmes abandonnent leur promenade et font demi-tour, regagnant le château qui domine fièrement la vallée et ses hectares d’exploitation agricole. A son tour, Maria les imite. L’air est étouffant et seule la fraîcheur de sa chambre lui apparaît comme une bénédiction. Dans la salle de bain, elle s’asperge le visage d’eau froide. Puis, pensive, observe son visage dans la glace. Jamais elle n’a été aussi tendue et anxieuse. Son teint de peau n’est pas aussi lumineux et vivifiant que d’habitude, ce qui la contrarie encore plus. Décidément, l’amour ne lui réussit pas. Un sentiment qu’elle s’était bien jurée de ne jamais connaître, aussi futile qu’inutile puisqu’il n’apportait jamais rien de concret ou d’enrichissant dans la course au pouvoir. Hélas, à un moment où elle s’y attendait le moins, Cupidon avait stupidement décoché ses flèches, visant en plein cœur. Lors de sa première rencontre avec Inès, dans la voiture sur le chemin du château, elle avait réagi de manière spontanée et viscérale, frappée par un coup de foudre qu’elle avait tenté de repousser de toutes sa volonté. Farouchement indépendante, elle se plaisait à accumuler les aventures sans lendemain et, surtout, sans état d’âme. Puis, à chaque fois qu’elle l’avait revue, elle avait eu de nouveau envie d’elle, et ce qui s’était ensuite esquissé entre elles lors de la promenade en campagne cathare avait renforcé ce sentiment : dés qu’elle la voyait, elle la désirait. Pire encore, lorsqu’elle était loin de ses yeux, un sentiment profond de manque la terrassait d’une angoisse indicible. C’était nouveau et terrifiant. Maria détestait les émotions qu’elle ne pouvait maîtriser. Et elle rejetait encore plus les pulsions irrationnelles qui risquaient de lui dicter sa conduite, l’éloignant des objectifs qu’elle se fixait. Elle était égoïste et narcissique, avec une ambition sans limite. La réussite était jalonnée d’obstacles qu’elle éliminait sans conscience, et les gens qui pouvaient lui barrer le passage étaient logés à la même enseigne. Ainsi, il n’y avait dans sa vie aucune place pour l’amour, les sentiments, les remords, ou autres faiblesses de la sorte. Et cette splendide femme écrivain semblait la seule à percer sa carapace, la submergeant de tendresse et de désir comme une amoureuse transie.

            Ce genre d’émotions, normal pour une adolescente, était franchement grotesque chez une femme de son âge, de surcroît habituellement insensible et vénale. Il fallait qu’elle comprenne ce pouvoir que Inès avait sur elle, qu’elle inverse les rôles et puisse reprendre le contrôle sur ses sentiments. Pour cela, une seule solution : coucher avec elle, prendre le dessus en la déstabilisant par des étreintes qu’elle n’avait jamais connues et qui la laisserait si vulnérable et désorientée. En amour, Maria était habile, exigeante et dominatrice. La romancière, si sage et fleur bleue, devait sans doute être conventionnelle, douce et soumise. Un combat inégal où Maria reprendrait les rênes et dicterait sa loi, imposant sa volonté et balayant par quelques galipettes tous ses sentiments de faiblesse qui l’énervaient depuis sa venue au château.

            A ce moment, quelqu’un frappe énergiquement à sa porte, l’interrompant dans ses pensées. Surprise, elle s’enquiert avant d’ouvrir.

            -    Oui, c’est qui ?

            La réponse ne vient pas mais la porte s’ouvre avant qu’elle ne donne la permission. Quel culot ! Elle ouvre la bouche pour manifester de façon virulente son mécontentement lorsqu’elle se fige soudain, la mâchoire pendante. C’est Inès qui entre sans hésitation, simplement vêtue d’un peignoir en soie qui remonte haut sur ses cuisses, à moitié fermé sur le devant. Maria n’a pas la force d’articuler un seul son, ébahie par cette visite impromptue et brutale. Avec assurance, Inès claque la porte derrière elle et se dirige directement sur Maria, s’empare de ses mains et les serre dans les siennes, les soulevant pour les placer de part et d’autre de son visage, sans les lâcher. Son regard est étrange, brûlant d’une secrète passion, à la fois tragique et douloureux, la pénétrant au plus profond de son âme. Surprise, Maria veut parler mais les lèvres de Inès se collent brusquement aux siennes et s’y frottent dans un baiser fougueux et incandescent, sa langue se nouant et s’activant dans une fringale sexuelle hors norme, comme une faim insatiable à assouvir dans l’urgence et le désespoir. Son baiser irradie des flammes de volupté, embrasant la bouche d’un feu délicieux, pénétrant tout le corps d’une lave bouillonnante qui emporte tout sur son passage. Maria veut la caresser mais Inès lui immobilise les mains au-dessus de la tête et la cloue au mur. Les deux corps sont soudés l’un à l’autre, et Maria sent contre elle la chaleur de la peau frémissante qui ne cesse de la pénétrer de son ardeur. En effet, elle s’aperçoit avec étonnement qu’elle brûle déjà d’un désir indescriptible, emportée dans un état presque primitif. Haletantes, collées l’une à l’autre comme si leur vie en dépendait, ivres de désir, elles se dévorent de la bouche puis s’entêtent à rester accrochées l’une à l’autre en titubant péniblement jusqu’au lit.

            Là, Maria est projetée en arrière, s’étalant de tout son long sur le dos. Inès, tel un animal sauvage, lui tombe dessus avant qu’elle ne puisse reprendre son souffle. Ses mains appuient sur ses épaules et l’obligent à rester étendue de la sorte. Elle la dévore des yeux, l’air égaré, avant de reprendre possession de sa bouche avec cette même hâte fébrile. Malgré son excitation, Maria veut reprendre le contrôle de la situation. C’est elle la lesbienne initiatrice et dominatrice, celle qui doit mener la danse, et Inès la sage et pure hétéro qui s’abandonne pour la 1ére fois à des ébats saphiques, mais elle réalise vite que les rôles sont inversés et que tout va trop vite pour garder la tête froide. Déjà, totalement déstabilisée, elle est dans l’incapacité de maîtriser quoi que ce soit. Et elle n’était pas au bout de ses surprises…

             

             

            Patricia reste un long moment dans un bain parfumé à l’huile d’amande douce, rêveuse et détendue. Elle sort de sa somnolence et, avec un petit soupir lascif, finit par se savonner, passant le gant sur tout son corps, faisant mousser le savon aux essences naturelles. Finalement, elle sort du bain, enjambant le rebord avec légèreté, toujours dégoulinante d’eau savonneuse. Elle saisit une longue serviette et s’essuie lentement tout en observant son reflet dans la glace. Le miroir embué renvoie un corps d’une étonnante perfection, d’une blancheur délicate, encore ruisselant de gouttelettes qui étincellent sur la peau soyeuse. Ses yeux se plissent et prennent une expression de grand intérêt en se fixant sur son petit duvet de fines boucles niché entre ses cuisses. La lumière de la salle de bain fait briller des poils d’or pur. Un frisson la secoue lorsqu’elle imagine son sexe blond se mélanger avec celui de Claire, d’un noir fin et ensorcelant, dans un délicieux contraste qui ne la lassera certainement jamais lorsqu’elles entremêleront plus tard leurs membres et leur pubis dans des ébats déchaînés. Si tout se passait comme prévu, elle pourrait bientôt tout partager et tout mélanger avec la jolie brune qui la faisait autant fantasmer. Elle perçoit presque l’odeur suave de la chasteté flotter autour d’elle et se sent attirée par ce fruit défendu avec un renouveau cinglant.

            S’attaquer pour la 1ére fois à une hétérosexuelle est une aventure périlleuse qui n’a rien pour lui déplaire. Bien au contraire… Insatisfaite permanente, Patricia a toujours ressenti le besoin de relever de nouveaux défis, se prouver à elle-même qu’elle était la meilleure et pouvait sans cesse repousser les limites. Tester son pouvoir de séduction sur une hétéro respectable, une mère et épouse épanouie certainement la plus apte à se défendre contre toute forme de tentation, ajoute davantage de piment à sa mission. Celle-ci lui résisterait pour mieux lui céder. Et, qui sait, elle se révélerait peut être plus ardente et passionnée que toutes les lesbiennes qu’elle avait auparavant rencontrées ! Cette possibilité enflamme son imagination et son corps. Elle se penche lentement en avant, observe avec curiosité son sexe avant d’écarter des deux mains les lèvres intimes, contemplant une fente profonde et déjà lubrifiée. Décidément, il lui suffisait de penser à Claire et le traitement de choc qu’elle lui réservait pour se retrouver dans un état indescriptible. Il faut qu’elle calme ses ardeurs, apprenne à les contrôler pour en savourer la fièvre érotique jusqu’au moment où elle pourra libérer toute cette tension dans les bras de la splendide brune.

            Encore un petit moment à attendre…

            Elle se drape la serviette autour de la taille et sort de la salle de bain. Elle s’installe confortablement devant sa coiffeuse qui est couverte d’un assortiment de flacons de parfum et de cosmétiques en cristal. Il y’ a aussi de nombreuses huiles hydratantes aux parfums subtiles qui s’appliquent à la sortie de la douche ou du bain pour hydrater légèrement le corps. Sans oublier celles à utiliser comme huile de massage. Puis, à côté, c’est le rayon coquin où se côtoient une collection de liqueurs et d’enduits aphrodisiaques de toutes sortes, certains en bouteille avec bouchon en argent ciselé, d’autres dans des pots en verre transparent.

            Des produits exotiques et érotiques de grande qualité, la plupart d’origine orientale. Pour l’instant, elle les délaisse pour s’occuper de ses longs cheveux qu’elle sèche et qu’elle peigne jusqu’à ce qu’ils brillent comme un manteau d’or fin. Avec des gestes à la lenteur voluptueuse, elle choisit plusieurs huiles d’essence qui se marient divinement bien, connaissant les doses parfaites à mélanger avec certains élixirs aphrodisiaques qu’elle choisit avec parcimonie. Puis, satisfaite de ses choix, elle se passe les huiles et les crèmes sur tout son corps, commençant par le cou et descendant jusqu’aux mollets. Elle finit par une liqueur qui stimule les sens et éveille le désir, autant pour celle qui se l’applique que pour celle qui va s’y frotter malgré elle.

            Ses mouvements sont doux et mesurés, avec une lenteur presque religieuse. Elle met autant d’attention à s’asperger d’un parfum particulier, une substance chimique dont le résultat est spectaculaire, bouleversant l’odorat, enflammant la circulation sanguine et les centres nerveux. Elle finit par s’appliquer de la crème sur le doigt, le passant ensuite sur sa langue avec volupté, puis dans tout l’intérieur de sa bouche. Son goût de fraise mélangé à de subtiles essences boisées rend le baiser particulièrement enivrant. Difficile d’y résister.

            Ainsi, Patricia met toutes les chances de son côté. Elle a soudain la vision de Claire et sa bouche pulpeuse épousant la sienne, leur langue se butinant dans une spirale frénétique, ce qui serait alors le début d’un abandon pathétique, alternant émoi et incertitude.

            Les muscles de ses cuisses et de son ventre se tendent à cette pensée. Quelle extraordinaire frisson ce serait de la rendre si vulnérable et éperdue qu’elle pourrait en abuser au gré de ses caprices comme un jouet docile. Elle l’imagine passer de la soumission à la curiosité, puis ensuite à une participation si active et tumultueuse qu’elle serait enfin la partenaire idéale pour rassasier ses appétits goulus. Fébrile, Patricia tremble un peu en versant quelques gouttes d’une fiole en verre sur son cou, puis sur sa poitrine. C’est là l’aphrodisiaque le plus puissant dont elle connaît les effets dévastateurs, un secret issu des mystères de l’Orient.

            Elle est si renfermée dans son univers de fantasmes qu’elle n’a pas jeté un coup d’œil à son amie qui, étendue sur le lit, observe avidement chacun de ses gestes. Malgré la douleur sourde qui lui étreint le cœur, Corinne se grise toujours autant de l’influence troublante et féminine de sa maîtresse. Celle-ci est la seule à pouvoir créer cette atmosphère érotique de sa seule présence, une aura à la fois sulfureuse et voluptueuse qui l’enveloppe, agrémenté du parfum tenace du jasmin et de l’encens qu’elle a disposé auparavant dans la chambre. Sans oublier l’odeur musquée et douce de sa peau. Corinne connaît par cœur ce genre de rituels qui, empreint d’une grâce cérémoniale, lui était habituellement destiné. La certitude d’une nuit encore plus longue et agitée que les autres. Mais jamais elle ne l’avait vue si concentrée et appliquée, avec des gestes qui avaient quelque chose de joyeux et d’enflammé. Tout cela pour une autre femme. La jalousie se fait tenace, piquant ses yeux de larmes qu’elle tente de refouler. L’idée qu’une autre femme va profiter de toutes ses attentions lui est insupportable, même si elle n’est pas certaine que la femme en question s’y laissera abuser. Au fond d’elle-même, elle se met à espérer que Claire soit suffisamment forte et résolue pour résister contre toute tentative de séduction. Et tant pis si le plan échouait, si ce salop de Jean Vernier n’obtenait pas ce qu’il voulait, si Patricia n’obtenait pas le rôle dans son foutu film !

            Son cœur bouillonne de désir en contemplant les seins fermes et les jolies fesses blanches à l’oval parfait alors que son amante se prépare toujours, penchée de profil. Elle ressent un sentiment de frustration lorsque ce corps sublime disparaît derrière une longue chemise de nuit en satin et voile d’un blanc transparent, dévoilant la cambrure de son dos jusqu’aux fesses et soulignant divinement la finesse de sa taille.

            Le désir se mêle à la douleur.

            Comment Claire pourrait résister à une beauté pareille ? Patricia est la tentation incarnée, mi-ange mi-démon. Son cœur bat de joie quand elle vient finalement vers elle de sa démarche aérienne, puis explose de chagrin quand, au lieu de la prendre dans ses bras, elle se penche sur la commode posée prés du lit, l’ouvrant pour fouiller dans la panoplie de sex-toys et autres gadgets érotiques de toutes catégories. Avec une moue à la fois enfantine et gourmande, Patricia semble faire son choix, brandissant comme un trophée un godemiché de taille impressionnante, extrêmement flexible et fortement veiné. Elle ferme les yeux, imaginant Claire se délecter de jouets érotiques dont elle ignorait jusque là l’existence, les passant sur ses lèvres avec un mélange de curiosité et de perversion.

            Jalouse, Corinne ne peut s’empêcher d’être acerbe.

            -    Dis, tu ne crois pas que tu exagères un peu ? Sors ce truc et ton actrice va fuir ventre à terre en te prenant pour une détraquée.

            Patricia lève vers elle un regard innocent.

            -    Tu crois ?

            Corinne explose.

            -    Mais tu t’imagines quoi ? Je te rappelle que la femme que tu vas essayer d’attirer dans tes filets est une hétéro pure et dure déjà mariée et également maman ! Ce ne sont pas tes aphrodisiaques de merde et ton joli minois qui vont la transformer en lesbienne déjantée dans la seconde qui suit ! Tu rêves, ma pauvre fille !

            Patricia l’ignore royalement en rangeant son gadget dans la trousse d’accessoires du caméscope.

            Hargneuse, Corinne renchérit :

            -    Cette mission t’amuse comme un folle, avoue-le ! Tu ne le fais pas pour ce vicieux de Jean Vernier et son film de merde mais parce que tu meures d’envie de baiser cette femme et de trouver enfin une partenaire qui te tienne tête jusqu’au bout ! Je ne te suffis plus alors tu crois déjà avoir trouvé ma remplaçante ! C’est ça, hein ?

            Sa défense a toujours été l’agressivité et elle s’en veut encore de s’emporter avec autant de véhémence. Elle a le sentiment de la perdre et cette impuissance la rend malheureuse comme une écorchée vive.

            Patricia ne dis toujours rien mais ses gestes se font nerveux. Elle ne comprend pas la colère de son amie et lui en veut de gâcher son plaisir. Elle est en proie à une agitation intérieure délicieusement exacerbée, une envie de luxure et toutes sortes de perversions avec l’innocente hétérosexuelle, et ce n’est pas Corinne qui va la détourner de son objectif. Sans un regard, elle quitte prestement la chambre. Corinne se retrouve soudainement seule dans un silence pesant. Son visage, toujours figé par la colère, est maintenant ruisselant de larmes.

             

            Claire se tourne et se retourne dans son lit sans réussir à trouver une position confortable, mais cela provient moins de la fermeté de son matelas que d’un intolérable sentiment d’appréhension. Patricia doit venir la rejoindre et il est bientôt vingt-trois heures. Le repas s’est achevé il y’ à une petite heure, et Claire avait fini son assiette avec un appétit goulu, rattrapant sa diète du midi. Puis, dans le salon, Patricia l’avait prise à l’écart, lui murmurant qu’elle avait en sa possession un camescope et qu’elle viendrait la rejoindre dans sa chambre un peu plus tard. Confuse, Claire n’avait rien répondu. En proie à des émotions contradictoires, elle était surtout consciente que, en plus d’un instinct maternel qui l’attendrissait, la jeune femme exerçait sur elle un attrait irrésistible qu’elle ne pouvait définir. Cela la plongeait dans un gouffre d’incertitude. Enervée, elle se lève et retourne se laver les dents et se brosser les cheveux pour la seconde fois. Des gestes coutumiers qui l’apaisent un peu. Auparavant, elle avait pris une douche et, au lieu de rester en tenue de nuit, avait préférer enfiler une robe du soir, un acte stupide et irraisonné, dicté par l’envie de ne pas faciliter le travail de Patricia et, surtout, ne pas lui donner le moindre espoir. Celle-ci se serait faite des illusions si Claire l’avait sagement attendu en nuisette, comme une proie déjà consentante. Cela, il en était hors de question, et Claire regrettait de ne pas avoir eu encore l’occasion de le lui rappeler. Mais cela était-il vraiment utile ? Son esprit ne lui joue t-il pas des tours alors que Patricia a déjà une amie attitrée ? Il est grand temps de donner à son imagination débordante un peu de repos. Elle retourne dans son lit, posant sa tête avec bien-être sur les oreillers confortables. Malgré sa nervosité, le sommeil commence à la gagner, et elle tente de se rassurer en se persuadant que Patricia ne viendra plus.

            Il est tard et, apaisée, elle ne tarde pas à sombrer dans une douce somnolence. Si bien qu’au moment où un bruissement se fait entendre, elle l’intègre au rêve qui commence à prendre forme dans son cerveau. Son mari court vers elle, la portant dans ses bras et l’emportant loin de cet endroit décadent, l’éloignant du château dont l’ombre menaçante ne cesse de s’étendre, essayant de les rattraper. Elle est ballottée au rythme des pas saccadés de son mari qui ne cesse de fuir, la serrant toujours dans l’étau vigoureux et rassurant de son étreinte masculine, comme cherchant à la protéger et l’éloigner des entrailles de l’enfer. Cette impression de mouvement prend vie avec une terrifiante réalité, et il lui faut un certain moment pour sortir de son rêve alors qu’une forme blanche et vaporeuse apparaît dans son champ de vision, s’étend à ses côtés, faisant bouger le lit et le matelas. Elle perçoit aussi un parfum plus entêtant que toutes les fleurs qu’elle n’a jamais senties. C’est si exquis et troublant qu’elle hume l’air avec ravissement, comme attirée par ces effluves capiteux qui la sortent du songe et l’attirent vers la lumière. Elle ouvre brusquement les yeux, affrontant une forme souple insolemment étendue prés d’elle. Claire veut manifester son étonnement mais un doigt se pose sur ses lèvres, lui intimant le silence, alors qu’une voix douce lui susurre au creux de l’oreille :

            -    Chut, c’est moi… Laisse-toi faire.

            Claire sent sa peau se hérisser d’une panique irraisonnée. Cette visite soudaine la prend au dépourvu à un moment où elle ne s’y attendait plus.

            Au moment où Patricia se penche pour lui déposer un tendre baiser sur la joue, elle aperçoit distinctement le décolleté de sa robe bâiller largement, et son regard gêné plonge durant une seconde sur la troublante fermeté des seins laiteux. Dans le même temps, Patricia écarte les jambes pour s’asseoir sur ses cuisses, et elle entrevoit également la chair satinée de chaque côté de son corps. Elle comprend de moins en moins, fixant Patricia avec stupéfaction. Celle-ci ignore sa supplique, lui caresse doucement les joues, suivant le contour de ses yeux, son nez, sa bouche, avec une expression de ravissement. Claire se crispe toute entière et va brutalement la repousser quand elle croise les yeux plein de prière qui semblent vouloir lui transmettre un message. Malgré elle, Claire se rétracte quand Patricia l’embrasse délicatement prés de l’oreille. Tendue, elle se laisse faire, mais sursaute violemment quand la pointe d’une langue active lui lèche le pourtour de l’oreille. Elle veut se dégager quand Patricia se décide enfin à lui expliquer :

            -    Le caméscope nous filme… Je l’ai posé sur la table, à ta droite. Regarde le plus discrètement possible…

            Claire relève la tête au moment même où Patricia s’écarte un peu d’elle. En effet, le caméscope est dirigé dans leur direction, avec le voyant rouge qui annonce l’enregistrement. Mais cela la rassure à moitié. A cet emplacement, il leur sera impossible de tricher ou simuler. Le positionner derrière elles aurait été plus judicieux et rien ne les empêche de faire le changement maintenant. Elle hésite à soumettre l’idée quand son regard croise encore celui de Patricia. Elle y lit de l’inquiétude et de la nervosité. Patricia semble lire dans ses pensées en répondant aussitôt à ses doutes.

            -    Je l’ai mis là pour ne pas éveiller les soupçons. Derrière ou trop loin serait suspect, et ce salopard de Vernier serait frustré s’il ne voit rien.

            -    Mais comment on va faire alors ?

            -    Improviser et jouer la comédie pour que ce pervers ait l’impression d’en avoir pour son argent… lui répond Patricia en bougeant à peine les lèvres, ignorant l’œil vitreux du camescope posé à trois mètres du lit.

            Claire semble se figer davantage, comme cherchant à se replier sur elle-même. Durant une seconde, Patricia se sent coupable de son double jeu et de sa perfidie, mais l’éveil d’une sensualité bouillonnante l’emporte vite sur sa conscience. Le galbe racé des longues jambes fuselées et le dessin des seins fermes qui se dressent sous la robe noire balayent toute morale. C’est d’une voix changée, grave et rauque, qu’elle lui ordonne.

            -    Maintenant, je prends les choses en main. Laisse-toi faire.

            Claire frisonne d’appréhension lorsqu’elle sent des lèvres chaudes et humides humecter goulûment sa gorge nue, et elle rejette sa tête en arrière, soudain haletante. Patricia l’embrasse fougueusement dans le cou, sur le menton qu’elle parcourt de la langue, mais la tête penchée en arrière l’empêche de progresser jusqu’à la bouche. Claire se crispe en respirant de plus en plus vite. Patricia lui maintient le visage entre ses deux mains et l’oblige à lui faire face. Là, elle peut enfin chercher les lèvres contre lesquelles elle presse sa langue, cherchant à se faufiler à l’intérieur de la bouche. Claire respire si fort, lèvres serrées, qu’elle est au bord de l’asphyxie, et elle ouvre brusquement sa bouche pour chercher un peu d’air. Patricia saisit l’opportunité pour entamer une rapide intrusion, et leurs langues se trouvent aussitôt, entament une folle course poursuite, celle de Claire fuyant le contact alors que Patricia provoque au contraire le duel, la butinant et la relançant, se lovant comme un petit serpent sournois et habile.

             

            A SUIVRE...

            Ou Claire affronte la perfidie et les attaques voluptueuses d'une femme en pleine possession de ses pouvoirs, livrée en pâture aux appétits insatiables de Patricia. Malgré sa volonté de ne pas succomber, Claire va progressivement se retrouver acculée à des assauts si lascifs qu’elle ne pourra plus rien maîtriser.


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