Divines et Innocentes

Divines et Innocentes

En cours d'écriture...

 

 

 

 

 

 

 

UNE PROIE INNOCENTE 2 : Séduire une femme ? Dépassée par les événements, Estelle sera vite sacrifiée à la libido exubérante et volcanique d’une femme dominatrice qui va vite la plier à tous ses caprices.

 

Et, contre

Une expérience torride et tumultueuse qui, bouleversant à jamais sa vie sexuelle, l'obligera à divorcer de son mari pour s'installer avec sa tante. Une amante irrésitible qui sera la femme de sa vie...

Elle n’aurait jamais cru pouvoir avoir des orgasmes multiples et n’aurait jamais soupçonné être dotée d’une telle libido ! Elle aimait ça ! Dieu qu’elle aimait cela ! Et elle en redemandait.

 

Des quelques amants qu’elle avait eu, jamais aucun homme ne lui avait procuré autant de sensations et de plaisirs.


Isabelle :

Je ne vais pas m'en plaindre, contrairement à tant de personnes, je suis très épanouie dans mon métier. C'est un travail passionnant, exigeant, une vraie vocation, parfois ingrat mais où je vis des moments forts et tellement humains.

 

Mais je dois avouer que quelques fois je vis des moments difficiles, perturbants même, que je dois refréner à mes pulsions les plus fortes et les plus intimes.

 

 

 

Je suis professeur d'EPS, autrement dit de sport en lycée, enseignante en milieu non mixte dans un internat privé de province, à Nantes, exclusivement fréquenté par de jeunes femmes issues des milieux sociaux les plus favorisés.

 

Ainsi donc je suis confrontée régulièrement à de jeunes filles en pleine évolution, tant spirituelle que morphologique... et immanquablement je constate en eux la belle et définitive métamorphose de leur corps, voir s'ouvrir cette chrysalide d'où s'envolent de très beaux papillons.

 

Chaque jour je rencontre mes élèves dans la cour principale du lycée, dans les couloirs, sur les terrains extérieurs et bien sûr et surtout dans les vestiaires...

 

Là, à chaque fois,  c'est quasiment une torture pour moi, je fantasme et m'en condamne, les sens ravagés mais la morale éprouvée, fascinée par leur plastique juvénile, leurs formes appétissantes, resplendissantes de jeunesse, de fraîcheur, d'innocence et de spontanéité. Surtout les filles de Terminale, déjà formée, déjà femme.

 

 Lorsque je leur enseigne les règles de certains sports, quand j'évalue sur le stade leurs compétences et capacités sportives, quand j'arbitre un match, je les vois se mouvoir, se déplacer dans l'espace qui les entoure, se donner avec tant d'énergie au football, handball pour beaucoup ou volley pour d'autres, force est pour moi de mesurer leur grâce et dynamisme, leur ardeur et leur beauté. Le spectacle est pour moi autant un régal qu'une souffrance.  Mais le plus dur pour la lesbienne que je suis se passe durant les heures de natation où tous ces trésors sont comme jetés à mes yeux avec l'impudence innocente de ces jeunes filles encore ignorantes de leur pouvoir de séduction. Si fragile et naïve, immaculée dans leur douce virginité. Enfin presque, même si certaines ont déjà goûtés aux premiers émois sexuels avec de jeunes et maladroits étudiants à peine précoces...

 

Il y a parmi mes élèves une jeune femme qui se démarque des autres par un charme indéniable, je ne sais quoi de fragile, de secret, d'une douce réserve lui donnant une aura  de fleur bleue romantique et touchante. Elle est si belle, si pure, si innocente... Une madone au visage d'ange et aux formes généreuses qui observe tout ce beau monde d'une manière assez naïve et généreuse, ne voyant que le meilleur autour d'elle. La candeur des êtres neufs qui ignorent encore le malheurs ou les coups durs de la vie, et surtout la méchanceté et l'hypocrisie de ses semblables. D'ailleurs, tout le monde l'aime et l'apprécie à sa juste valeur, avec un caractère assez jovial et plaisant pour s'intégrer facilement.

 

Je l'ai remarqué durant la première semaine de la rentrée scolaire. Son attitude pondérée et calme contrastait avec ses copines bruyantes et exubérantes.
Elle m'a vite intriguée et fascinée.

 

Je l'imaginais le week-end chez ses parents. Quels étaient ses loisirs ? Ses films préférés, sa lecture, ses objectifs, ses ambitions ? Sport ?  Avait-t-elle un petit ami ? Était-elle vierge ?  Où sinon comment réagissait-elle au lit ? Déjà ardente et espiègle, ou au contraire sage et réservée comme son comportement semblait l'indiquer.

 

 

Durant les veillées dans le dortoir, après avoir partagé quelques moments de rigolade et complicité avec ses amies pensionnaires, elle s'isolait sobrement pour se plonger dans une lecture.

 

Au fil des mois j'ai établi avec elle une sorte de confiance. La conseillant, l'orientant dans la bonne direction, de façon maternelle. Cela a été difficile car je l'intimide beaucoup. Mon look androgyne, mes allures garçonnes, mes cheveux rasès, tout cela impressionne. J'ai l'habitude. Et même si mon côté masculin peut poser des questions douteuses, surtout sur mon orientation sexuelle, je reste suffisamment prudente pour ne jamais rien dévoiler.

Ainsi, même si elle s'est montrée méfiante et un peu trop respectueuse envers moi, nos rapports sont devenus plus amicaux, plus ouverts, avec toujours cette retenue omniprésente où elle garde malgré elle ses distances.

 

Un soir d'orage, alors que je fumais une cigarette sous le préau, elle est venue vers moi pour discuter un peu. Sa formulation et son attitude extrêmement bien maîtrisées m' ont amusées et enchantées. Malgré le règlement intérieur qui l'interdit, je lui ai proposée une cigarette, pour établir une sorte de connivence et complicité entre nous, mais elle a refusé, ne fumant pas. Bien entendu, je m'en serai douté. Pas de cigarette, pas d'alcool, toujours sage et raisonnable. Elle est ensuite restée là, postée contre un pilier à quelques mètres de moi, tortillant nerveusement ses doigts dans les mèches rebelles de ses longs cheveux, parlant avec réserve.

 

Une pulsion incontrôlable et humaine m'impose d'entamer une conversation strictement personnelle. Je voulais en savoir tellement plus sur elle. Tout savoir. Au lieu de se montrer effarouchée elle a répondu habilement avec une pointe d'humour. Presque flattée que je m’intéresse à elle. Elle est née à Paris. Un peu plus de 18 ans, ayant redoublée sa troisième. Donc majeure, cela me rassure... Ses parents veulent qu'elle fasse des études de médecine, pour reprendre le flambeau du père chirurgien en , mais elle adore les animaux et rêve d'être vétérinaire, ce qu'elle n'a pas dit à ses parents pour ne pas les contrarier pour l'instant.  Je relance l'échange et la pousse aux confidences. Un vrai dialogue s'engage. La glace est brisée, le contact établi.

 

 Au détour de maintes discussions, l'air de rien, j'apprends donc qu'elle a un petit ami, Benoit, qu'elle l'adore, mais se pose des questions sur leur couple et leur avenir, lui étant resté très immature, préférant les voitures sportives et la vitesse à sa liaison avec elle. Et elle s'accroche à ce qui lui échappe, un garçon peu attentif et compréhensif à ses attentes, mais malgré tout amoureuse.

 

Je n'ai pas osé aller plus loin ce soir, mais nous avons pris l'habitude de nous retrouver souvent au même endroit pour parler et se confier. Un moment magique. Unique. Où elle apprend à baisser sa garde, se lâcher, rire et balancer des aveux truculents ou osés avec espièglerie, une effronterie que je ne connaissais pas et qui me ravie.

Jusqu'au soir où elle m'a lancé une bombe au milieu de la discussion.

- Dis, Isabelle, dis-moi la vérité... Tu n'aimes pas les hommes n'est-ce pas ?

Tumulte dans ma tête. Je croasse :

- Pourquoi cette question ? Je... Je ne comprends pas...

- Je ne sais pas... Ton look... Ta voix grave... Tout ça quoi !

Devant son audace elle est rouge de confusion. Je la trouve encore plus belle et adorable.

- Et si c'était le cas cela te gênerait jeune fille ?

Je mets une pointe d'insolence dans ma voix. Ma nature reprends le dessus. Elle s'est engagée sur un terrain glissant et je m'engage vite avec elle, au risque de chuter. Tant pis. Qui ne risque rien...

Je me penche en avant, la fixant de mon regard intense. Je connaîs l’effet troublant de ses yeux brillants et insistants, j'use et abuse de ce pouvoir de séduction sans le moindre remord. Sara est une victime perdue d’avance.

 

 - Et si j'étais lesbienne alors ? Tu en penserais quoi ?

Elle devient aussi rouge qu’une pivoine, mais à ma grande surprise ses yeux se plissent avec espièglerie et elle m'affronte bravement.

 

- Rien. Je ne juge pas et je n'ai pas à le faire. Mais cela m'intrigue...Un peu...

- C'est de la curiosité ou de l'intérêt ?

Elle est si rouge qu'elle éclaire la pénombre. Sa voix tremble.

- De la curiosité. J'ai du mal à imaginer encore ce que peuvent faire un homme et une femme ensemble, alors deux femmes ensemble c'est encore pire !

Petit rire nerveux. Je réponds avec une innocence feinte :

- Je suppose que l'amour entre femmes est un partage basé sur la douceur et la sensualité, l'échange et la compréhension. Seule une femme peut connaitre à la perfection le corps d'une autre femme et répondre à ses attentes.

Elle a cessé de respirer. Le temps semble s'arrêter. Encouragée par son silence, je continue :

- Je suppose encore, d'après ce que j'ai lu ou vu, qu'elles sont divines dans l'art du cunnilinctus, le contact intime par excellence. Mais je pense qu'elles ne se limitent pas à cela. Chacune doit apprendre le corps de l'autre, découvrir les points sensibles et l'endroit divin, comme chez les hétéros. Il paraît-d'après mes faibles connaissances- que deux femmes ensemble se frottent souvent l'une contre l'autre, jambes entrelacées, vulve contre vulve. Ce frottement de la zone clitoridienne les mènent à l'extase suprême. Entre autres... Il parait... J'ai entendu dire que leur imagination est débordante pour varier les plaisirs.

Là, j'y suis allée un peu loin, mais l'excitation qui s'empare de moi me pousse à l'audace et la provocation

 

 

Elle reste là, figée, tétanisée, comme prostrée, tête baissée. N'osant pas me regarder. Mais sa respiration devient sifflante. Et elle ne dit rien pour m'arrêter. Alors je continue :

- Il paraît aussi que le summum du plaisir est l'utilisation de godemiché, comme un substitut du sexe masculin. Mais cela demeure chez certaines femmes un débat. Si l'une rejette l'homme elle rejette aussi le sexe d'homme, même factice. Mais celle qui l'apprécie, il paraît, ne peut plus s'en passer, de manière vaginale ou anale. Le plaisir sans tous ses excès, sans limite.  Certaines apprécient aussi les godes- ceinture, qui donnent vraiment l'illusion à celles qui la portent d'être dotées d'un membre masculin.

Là elle m'interrompt. Yeux toujours baissés, le feu aux joues, voix blanche.

- Un gode-ceinture ?

- Oui, une ceinture qui les harnache à la taille pour maintenir devant un sexe factice. De toutes les tailles et toutes les matières d’après ce que j'ai entendu. Il paraît que c'est grandiose et géant, une pénétration illimitée, sans risque d'éjaculation précoce. Propice à des extases infinies.

 

A ce moment,  nos yeux se sont croisés une fraction de seconde. Les siens sont lumineux et fixes, brillants dans la nuit. Comme prise en faute, elle baisse vite les yeux. Aussitôt je replonge mon regard dans le sien. En lui soulevant le menton pour l'obliger à relever la tête. Cette complicité furtive m'a paru une éternité. J'ai lu dans ses yeux noirs un trouble infini, une confusion qui frise la détresse... Respectant son désarroi je n'entame aucune approche alors que j'en meurs d'envie. Prudence et maîtrise...

- Et d'autres pratiquent aussi avec délice le...

- Stop ça suffit ! s'écrie t-elle.

Elle s'affole, éperdue et déstabilisée. Brusquement fermée comme une huitre. Ses yeux sont embués, elle est au bord des larmes. Me tournant le dos et courant dans la nuit avec précipitation, comme si le diable la poursuivait. Avalée par la pénombre.

 

 

D'un élan fraternel je me suis levée et l'ai prise dans mes bras. Comme une enfant elle s'est blottie contre moi, m'entourant de ses bras. J'ai senti à ce moment en elle comme un tressaillement, le frisson de celle bouleversée par une forte émotion. Je l'ai serrée fort contre moi lui tenant la nuque d'une main et caressant son dos de l'autre. Tout son corps était tendu et chaque muscle dorsal sous ma main était pour moi comme une inconvenance. La chaleur de sa poitrine contre le mienne répandait en moi un bonheur infini, satanique. La lueur de la veilleuse de nuit du dortoir enrobait de mystère cette scène émouvante.

 

Nous étions enlacées, muettes, sincères, complices, seules au monde. Je continuais inlassablement à le réconforter de mes caresses.

 

J'étais troublée. Je sentais malgré moi le renflemenet sensuel de son sexe contre ma cuisse. Je ne pouvais pas ni ne le voulais bouger, prisonniere de mon doux bagne. Mon corps en émoi se rappelait à ma triste destinée. Je savais mon sexe réagir tant à mes sentiments brutalement révélés qu'à l'érotisme, la sensualité, la force et la beauté de cette femme vulnérable que je serrais dans mes bras... Elle ne pouvait que s'apercevoir de ma faiblesse et pourtant me se rebellait pas. Je ne savais que faire.

 

Je laissais faire.

 

 

 

Enfin il se dissocia de mon corps. Me tenant à la taille, elle me fixa du regard et moi, bouleversée, je ne sus comment décrypter son message. Ma main se posa tendrement sur ses seins que je caressais en courts frottements. Sa peau semblait crisser sous ma paume. Brisant le silence je lui ai juste murmuré sobrement "ça va mieux ?". Elle me sourit en guise de réponse silencieuse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant tout ce temps je suis cantonné à mon poste, face à eux, je masque mes regards autoritaires en apparence mais surtout quelque peu voyeurs. Bien sûr je ne peux m'empêcher, même si j'aimerais le contraire, de les regarder tous.

 

 

 

 

Sara : Elle se vante de son savoir incomparable, son endurance et cette énergie érotique qu'elle sait perturbante mais inoubliable pour ses partenaires féminines, de ce qu'elle sait imposer et partager avec cet instinct de femme qui aime les femmes.
Elle me demande avec aplomb si je suis troublée par ses avances mais plutôt crever qu'avouer que tout cela ne me laisse pas indifférente. Bien sûr. Une évidence. Mais étrangement j'ai surtout envie de Benoit, me rassurer dans ses bras, affirmer avec lui mon hétérosexualité et effacer dans ses étreintes viriles toutes ces images érotiques entre femmes venant me perturber . Je lui dis aucun risque. Elle en rit. Je lui rétorque être très amoureuse de mon mec, lui être fidèle.

Elle ne dit rien, sourit d'un air ironique comme si elle doutait de ma réponse.

Certaine de son fort capital érotique, de la beauté ravageuse de son corps androgyne, enhardie par ma passivité, elle continue de me tester, me fixant d'un regard insolent.

 

Isabelle : J'ai ressenti alors une incroyable envie de la prendre, la posséder, la guider vers des plaisirs interdits et inédits. L'initier aux extases lesbiennes. Je ne peux m'empêcher de fantasmer. Mon esprit est habité par l'image obsessionnelle de Sara qui se conduit impudiquement  en esclave dévouée à mes désirs, à mes caprices. Avec plein de questions. Dans mes bras comment réagirait-elle ? Timide et indécise, troublée lentement mais sûrement par des plaisirs qui finiront par la rendre roucoulante et pâmée ? Où d'emblée libre et passionnée, audacieuse et perverse, se donnant à fond, sans réfléchir, comme une femme qui se jette dans le vide ? Le saut à l'élastique où l'on apprend à se surpasser et affronter ses peurs ?

 

Christelle a été touchée par son caractère secret, elle avait besoin soudainement de s'abandonner à des passions interdites, à des excès de tendresse, comme pour oublier dans l'ivresse du plaisir quelques malheurs. Avec elle, faire l'amour fut une formidable quête intemporelle du plaisir, un hymne lumineux à la nudité et à son esthétisme, un acte limpide et émouvant qui est le plus beau des hommages à l'homosexualité féminine. La sexualité révèle le vrai visage, dans l'abandon du plaisir chacun dévoile ce qu'il est réellement, abandonnant faux-semblants et masque social. Christelle adore cet instant où l'âme est mise à nu, sans artifice, sans tricherie,  où la nature reprend ses droits. La voiture qui freine brutalement devant elle met fin à ses pensées intimes.

 

Julie confie :

 

Marc est mon deuxième compagnon. Un mariage serein, un long fleuve tranquille, loin de toute fureur et de tout tumulte, par peur de souffrir comme cela fût le cas lors de ma première belle histoire d'amour.
Jacques, le seul amour de ma vie, celui qui m'a brisé le cœur après m'avoir rendue si heureuse, avant qu'il ne disparaisse subitement sans donner de raison.
Une erreur de jeunesse. Un emménagement trop tôt, trop précipité, la fougue de l'insouciance où nous ne mesurions pas les conséquences et les sacrifices. Et, si j'en acceptai le prix à payer, Jacques n'était pas prêt, avec encore des rêves plein la tête, des projets, des folies utopiques avec ses idées de grandeur et de réussite démesuré.
Bouleversée et persuadée d’avoir précipité cette fuite, je me suis alors protégée de toute passion, refusant de me livrer, me réfugiant dans une sorte de solitude affective. Marc étant très pudique et peu démonstratif, nous sommes donc tous les deux sur la même longueur d'onde. Et j'ai commencé à organiser ma vie de manière à ce que tout soit sous contrôle. Ma maniaquerie, ma rigueur et mon métier de comptable en sont des exemples flagrants.
Tout pour masquer ma fragilité et mes failles, mon incapacité à trancher ou prendre des décisions fermes et définitives, et continuer surtout d'alimenter cette image de femme parfaite et exemplaire, innocente et candide, ce regard admiratif et bienveillant qu'ont mes proches sur moi, ce qui me rassure, me stimule, me conforte dans ma bulle utopique.
Je suis aussi une femme hyper active. Je m'occupe avec dévouement de mes deux adorables enfants. Je gère à l’excès notre villa parfaitement entretenue d'une banlieue résidentielle. Je possède la belle voiture de sport qui me permet de conduire mes enfants à leurs nombreuses activités extrascolaires… La vie idéale dont rêvent beaucoup de femmes. Mais, derrière ce bonheur de façade, je cache tant bien que mal ma dépression et mes désillusions qui m'entraînent vers des territoires secrets peu avouables. Et je peux aller jusqu'à me mettre en danger pour lutter contre ses démons intérieurs, éviter que ma vie de famille ne vole en éclats et continuer à protéger les miens… Comme possédée par un mal intérieur dont j'ignorais l'existence jusque là, avec une double personnalité, mi-ange mi-démon, aux multiples ramifications et facettes, riche en associations et en incidents de parcours.
Alors tout a commencé par de légers fantasmes innocents, des envies de me découvrir, m'exhiber, explorer mon propre corps que je connais si peu, des choses dont je ne me serai jamais permise avant, durant l'adolescence même... D'abord me promener nue, vaincre ma timidité et ma pudeur.

Prendre confiance en moi et savoir jouer de mon charme et mon sex-appeal avec une audace qui me surprenait et m'émoustillait, un dépassement d'une sensualité en plein éveil...
Allant de plus en plus loin jusqu'aux fois où, comble de l'horreur, je me laissai aller à la masturbation, ce que je m'étais toujours interdit jusque là, trouvant cela sale et dégradant, encore marquée par une éducation trop stricte et rigide où le sexe a toujours été un sujet tabou.
Des plaisirs solitaires qui avaient l'élégance de panser mes névroses et frustrations. Se donner du plaisir dans l'excès et le refus d'assouvir ailleurs ses fantasmes c'est se tenir à l'écart de la vie, en état d'impuissance certes, mais il est plus prudent de privilégier les pistes métaphoriques sur l'enfermement de l'amour et sur la bête qui sommeille en nous.
Moins de danger. Moins de conséquences.
Car c'est cela qui m'effrayait et me tétanisait. Cette bête qui sommeillait en moi. A l'affût. Insidieuse et tenace. Complexe et perturbante. Prête à bondir comme un animal féroce et indomptable, goulu et insatiable.
Alors cette bête je la nourrissais comme je pouvais, dans la quiétude de ma chambre et la retenue de mes désirs inassouvis.
 

 jusqu’au jour où la tentation a été la plus forte que la raison, le besoin de me mettre en danger, satisfaire ma curiosité, trouver des réponses à mes questions. Alors j'ai osé une seule aventure extra-conjugale, persuadée qu'avec un inconnu je me lâcherai totalement, en roue-libre, sans ce frein et cette pudeur qui me retiennent dans mes rapports intimes avec mon mari. Plus de respect, de tabou, de limite... Du moins c'est ce que j'espérais... La vérité ne dépassa pas toutes mes espérances, même si cela s'avéra plus excitant et torride avec ce bel inconnu qui me dragua en discothèque. Mais il n'est pas difficile de faire mieux que Marc. Sans imagination et passion. Un amour paisible et confortable, entaché par des relations sexuelles mornes, je n'y prends aucun plaisir.

Là ce fût différent, mais pas l’apothéose non plus. Fougueuse, aimante, espiègle, je me suis découverte plus perverse et audacieuse, avec ce brin de folie qui me fait toujours défaut au lit.

 

Mais, malgré mes efforts, j'ai encore ressenti ce sentiment de frustration. Comme un vide que nos ébats ne pouvaient combler, où je restais inassouvie, sans connaitre véritablement le grand frisson...  M'obligeant à... Me forçant à... Comme si tout cela ne venait pas de moi, contre ma vraie nature.

Une triste expérience que je décidai de ne plus jamais renouveler. J'en fus blessée et mortifiée d'avoir trompée mon mari, rongée par la culpabilité et les remords.

Dans l’espoir de me racheter et de remettre de l’ordre dans ma vie, je me suis occupée des miens avec plus d'énergie et d'exubérance, plongeant à corps perdu dans mon rôle de femme attentionnée et surbookée, de mère dévouée et perfectionniste.

C'était il y' a deux ans.

Jusqu'au jour où un tsunami frappa la famille. Quant ma mère quitta brusquement papa pour une femme. Là, j'avoue, je dégringolais de haut. Comme si tous mes repères explosaient en mille morceaux. Et je restais longtemps dans le déni, dans l'incapacité de croire à l'inimaginable, une aberration qui dépassait pour moi l'entendement. Non pas que je sois homophobe, loin de là, je ne suis pas rigide à ce point, mais imaginer ma mère dans les bras d'une autre femme relevait de la plus incroyable fiction.

Maman a toujours été la femme la plus triste et conventionnelle du monde. Engluée dans les conventions bourgeoises où le rôle d'une femme est d'être soumise et dévouée au bon-vouloir de son mari, détenteur de la fortune familiale, un riche bijoutier qui dirige son entreprise d’une main de fer et s’avère aussi ferme et despote avec ses ouvriers qu’avec sa femme. Elle n'a jamais eu le courage de se révolter. Trop faible et craintive. Sans caractère. Il lui a toujours manqué quelque chose… De l'assurance... Mais sa rencontre avec Lydie, une belle femme de cinquante ans aussi généreuse que spontanée, lui a apportè une bouffée d’oxygène et ouvert une porte vers le respect et la jeunesse qu'elle a perdu trop tôt. Rapidement, ma mère a délaissé les amis de son milieu pour fréquenter cette femme plus décontractée, cool et impulsive, pétillante et désinhibée… Cette relation lui a apporté un second souffle salvateur et bienheureux où elle a pris de l'assurance et de l'autonomie, se libérant des chaînes de papa. Et lui ? Cela ne l'a pas brisé. Trop fier et fort pour montrer la moindre faiblesse. Il a rebondi, cloîtré dans son armure de condescendance et de dédain, se vengeant dans un divorce houleux où il a tenté de la ruiner. Alors j'ai pris le parti de maman, acceptant sa nouvelle vie avec Lydie, même s'il m'a fallu du temps pour reconnaitre qu'elle n'a jamais été aussi heureuse et qu'elle puisait dans son amour pour une femme le courage et l'énergie nécessaires pour tourner une page et entamer un nouveau chemin.

Pour sa force je l'adore maintenant.

Et ce sont dans ces conditions que j'ai fais la connaissance de Rachel. Une amie de Lydie. Qui est gérante d'un restaurant chic et reconnu de la côte varoise, à Bandol.

Rachel, la femme qui a bouleversé ma vie.

Elle est attirante, la cinquantaine rayonnante et jouit d’une situation financière confortable. Rachel règne sur les cuisines de son restaurant avec un mélange de fermeté, bienveillance et affection excessives. Rien ne lui échappe. Inventive et exigeante, précise et rigoureuse, elle mène sa petite équipe à la baguette et accomplit chaque soir de nouveaux prodiges dans une ambiance studieuse et concentrée. Consciente de ses mérites, elle se veut irréprochable et ne s'autorise aucun relâchement. Son perfectionnisme fait l'admiration de tous, mais intimide les hommes et décourage les avances. Surtout qu'elle ne les aime pas. Son pouvoir de séduction et ses atouts affriolants ne visent que les femmes, hétéros ou homos, jeunes de préférence. Toujours sexy et affriolante, elle ne reconnait aucune pudeur. je suis toujours restée admirative devant certaines catégories de personnes qui possèdent une qualité que je n'ai pas : l'impudeur !
Non pas qu'ils soient plus admirables ni plus intelligents que la moyenne des Humains, seulement ils sont affranchis des contraintes du commun des mortels. J'imagine que comme moi, parce que vous êtes rangé dans la norme des sociétés, vous ne vous exposez pas, ou si vous y êtes contraint, vous tentez de masquer un minimum de votre corps...
En l’occurrence ce n'est pas le cas de tous !! Et Rachel se régale de séduire et provoquer avec une espièglerie déstabilisante.

J'en ai fais les frais et je l'ai laissée me draguer avec un certain amusement et détachement, acceptant ses compliments et son numéro de charme sans pouvoir toutefois me retenir de rougir, je suis une timide incurable, ce qui avait le don de l'enchanter et l'émoustiller apparemment. L'idée de séduire et pervertir une jeune hétéro innocente n'est certainement pas le genre de défi qui doit lui faire peur. Mais là elle peut parier toute sa fortune, jamais elle ne remportera cette victoire là.

Du moins c'est ce que je me disais à cet instant.

En ville sa réputation est connue et critiquée, avec un parfum sulfureux de débauche et de scandale, qu'elle attise pour avoir détournée du droit chemin des jeunes femmes mariées. Sa fulgurante réussite professionnelle et son charme auprès des femmes des autres  lui attire entre autres l'antipathie des notables les plus influents de la ville, surtout d'un puissant banquier cocu et humilié par Rachel qui, suite à un gros différent avec lui, l'a affronté en pleine réunion pour lui cracher en pleine figure son impuissance à donner du plaisir à sa propre femme, des aveux susurrés sur l'oreiller par la femme en question après des acrobaties lesbiennes avec Rachel. 

Ainsi, au cours des mois qui suivirent, j'en appris beaucoup sur Rachel.

Aucune surprise en entendant que c’est une femme très libérée constamment à la recherche de nouvelles expériences pour assouvir sa curiosité sexuelle. Elle couche avec qui elle veut, quand elle veut. En toute liberté, selon ses pulsions et ses envies. Sans s'attacher. Ce qui me surprend. Comment peut-on ainsi séparer sexe et sentiments, ne jamais se laisser émouvoir après de tendres étreintes amoureuses ?

Cela me dépasse.

Mais là c'est l'incorrigible sentimentale qui parle.

 

Rachel confie : Après diverses expériences fabuleuses avec des femmes, j'en suis arrivée à assumer totalement mon homosexualité, le sexe étant devenu ma forme de vie, me plongeant sans tabou dans des expériences extrêmes. Je me consume donc dans le vice avec douleur, rage et obstination....

Je revendique haut et fort cette vie de débauchée, mon sens du péché. Simplement parce je cherche le plaisir sans le sentiment. Féministe et libérée, j'entends ouvrir les yeux de toutes ces femmes engluées dans leur médiocrité et leur triste condition d'hétéro au destin étriqué, les envoûter de mon expérience et ma puissance sexuelle à coups de plaisirs jamais égalés à en perdre la raison. Aucune conscience ne me retient si une femme me plait, mariée ou pas, mère ou pas, avec la seule envie de les initier aux délices de Lesbos et les posséder à leur tour par ce démon lascif des extases homos, en faire des  adeptes insatiables du cunnilingus.

Jusqu'au jour où j'ai rencontré Julie, venue manger un soir dans mon restaurant avec sa mère, la nouvelle compagne de Lydie, une amie de longue date. Je suis tombée sous son charme, à mon grand étonnement, sans que je puisse me l'expliquer. Les mystères de l'attraction... Jolie brunette candide, pétillante et à la fraîcheur immaculée, jeune fille ingénue qui semble sortir de l'enfance, oisillon naïf qui dissimule sa timidité par des éclats de rire puérils et une grande nervosité. Avec une maladresse touchante aussi... Mais, en la connaissant mieux, j'ai détecté chez elle une aura sensuelle à fleur de peau, comme une puissance sexuelle enfouie et tapie dont elle ignorait l'existence et qui ne demandait qu'à s'enflammer. Un volcan endormi... Et je me trompe rarement.

Des filles d'apparence timide qui cachent bien leur jeu j'en ai rencontré pas mal... J'aime ressentir leur trouble, se laisser emporter par la tentation, sentir leurs envies décupler, leur réserve disparaître et laisser place à une audace insatiable. J'adore quand leur instinct de bête se déchaîne et qu'elles perdent toute retenue pour se laisser aller à leurs pulsions les plus primitives. La musique de leur respiration accélérée, leur soupir, leur supplique, cet air étonné et égaré dans les frasques d'un plaisir grandiose, la vulgarité de leurs propos quand elles explosent dans mes bras, la violence de leur impatience m'excitent comme à chaque aventure que je vis. Chauffée à blanc, ces hétéros se dévoilent, je sens la lesbienne se réveiller et s'emporter, se laisser envahir, et c'est à ce moment que je reprends le dessus et pondère gentiment leur ardeur pour l'attiser encore plus de longues heures inoubliables.

Alors, évidemment, je me suis mise à fantasmer sur l'innocente Julie, à l'imaginer ardente et méconnaissable, une vraie tornade survoltée qui se lâche enfin, se libère de ses petits airs sages et pudiques pour se laisser enfin aller à sa vraie nature... Une lesbienne qui s'ignore peut se révéler la plus fougueuse des amantes...

 

Au début, nous sommes donc devenues amies. Une amitié improbable. La débauchée et l'ingénue. En ma compagnie, Julie redevenait une adolescente insouciante et délurée, fascinée par ma liberté, mes frasques nocturnes et décadentes. Comme une femme qui s'est vue grandir trop vite, sans avoir profité des plaisirs de la vie, avec brusquement l'envie de rattraper le temps perdu. Fuyant ses responsabilités, fuyant une existence trop tranquille et monotone... Une métamorphose qui me comblait, je la trouvais craquante en femme-enfant qui se lâchait et s'autorisait tous les excès...  Et j'en profitais, sans la brusquer, pour lui dévoiler peu à peu mes véritables intentions.

Julie confie :

Elle est vraiment charmante, par sa façon d’être, ses sourires engageants, sa conversation, son élégance naturelle, son sex-appeal déroutant. J’essaie de ne pas me sentir potiche en comparaison mais ma timidité ne peut rivaliser. Dimanche, son seul jour de repos, elle m’amène sur une plage près du Lavandou. Un endroit paradisiaque. Plage de sable fin, eau turquoise, pins parasols, chant entêtant des cigales en bruit de fond. Nous mangeons dans un restaurant au bord d'une superbe piscine. Après un bon repas, nous décidons de nous installer sur des transats. Premier choc lorsqu'elle se déshabille, ondulant des hanches pour faire glisser avec une sensualité raffinée son short le long de ses hanches. Tout son corps crépite d'une sorte de volupté, une force érotique à la fois innée et naturelle.

Sans se départir de son sourire insolent et espiègle.

Faisant monter la chaleur de plusieurs degrés.

A mon tour de me déshabiller et, pour ne pas me la jouer jeune fille trop sage et effarouchée, c'est avec un sadisme calculé que j'ose le monokini, certaine de produire de l'effet. Résultat assuré. Même si je n'en abuse jamais, je connais mon pouvoir de séduction, la beauté de mon corps, le contraste saisissant entre mes seins lourds et insolents et la finesse de ma taille.

 

Je sens son regard sur moi. Fixe et insistant. Et j'affiche mon air le plus innocent en sirotant ma boisson, tout en me rapprochant d'elle.

Elle est étendue lascivement sur un transat, faisant semblant de feuilleter un magazine alors que je m'installe à ses côtés. L'air de rien je l'observe en douce. Son maillot  contraste divinement avec sa peau hâlée, huilée, et sa chevelure sauvage de jais.

Son corps m’impressionne vraiment. Autant son âge peut se lire un peu sur son visage, mais en rien sur sa silhouette. Quelques taches sur les mains. La peau des avant-bras légèrement marquée. Mais son ventre est plat, aux abdominaux dessinés, et ses cuisses musclées. Ses seins sont parfaits, accrochés hauts, insolents et encore fermes.

Puis elle tourne vite la tête et me regarde en souriant avec malice. Comme si elle sentait mon regard sur elle. Comme prise en faute, je détourne vite les yeux en rougissant comme une collégienne. Puis elle engage la conversation. Rachel est bavarde et parle de tout. Elle est très instruite. J’apprécie son vocabulaire et sa vivacité d’esprit. Sa conversation me fascine malgré moi. Elle a tant d'assurance, d'expérience. Puis elle se met à me parler des hommes. De manière anodine d'abord. Son désintérêt pour eux, vois son dédain. Elle me complimente sur mon physique, ce qui me flatte bien évidemment. Elle apprécie mes longues jambes et ma taille souple quand je bouge. . Elle lève sa main et me caresse le bras, pour confirmer que j’ai la peau douce, soyeuse, ce qui fait tellement défaut aux hommes. La caresse n’est pas déplacée, mais j’en ressens tout de même un frisson d’embarras. J’éprouve même, je crois, une légère répulsion quand elle ajoute que j’ai aussi une poitrine magnifique et qu'elle poursuit son mouvement pour en éprouver la fermeté. Là, j'ai un mouvement de recul. Avec un grand frisson. Trouble ou dégoût ? Je ne sais plus. 

Et c'est à cet instant que j'ai croisé son regard. Ardent. Animal. Le visage grave et figé dans un masque de désir intense, presque douloureux.

Cela a été mon deuxième choc ! Cela m'a bouleversée, un écho inattendu dans ma petite vie tranquille, un tsunami qui me sort des abimes et m'emporte vers des flots tumultueux. Car, si tout cela m'amusait au départ, je comprends maintenant que je suis troublée également par cette femme, et ce d’autant plus que j’étais incapable de l’admettre auparavant. Son âge est un piment supplémentaire. Un autre interdit qui me remue de l'intérieur. Son savoir, son expérience, tout cela est rassurant et déroutant. Je détecte en elle une énergie sexuelle qui émane de tout son corps, une aura de volupté et de gourmandise insatiable que je n’ai jamais encore perçue sur aucun homme, et encore moins sur une femme.

C'est si déstabilisant.

Comme allumant un brasier éteint qui renait de ses cendres... Une découverte qui fait écho à mon mal-être et ce feu intérieur qui me brûle depuis si longtemps.

Honteuse, je refoule toutes ces pensées inavouables. Mais qu'est-ce qui me prend ? Je n'aime pas les femmes et je ne suis pas lesbienne, aucun risque. Forte de cette vérité, je perds le fil de la conversation, et je finis par m'assoupir sans m'en rendre compte, sans doute désireuse d'oublier dans un doux sommeil trop de tourments.

 

 

 

 

Anne se retourne, allonge le bras et éprouve aussitôt un angoissant sentiment de frustration. Elle ouvre difficilement les yeux, encore plongée dans un demi-sommeil. Elle se redresse malgré tout avec brusquerie en réalisant que Carole, debout prés du lit, se rhabille, lui tournant le dos. Anne s'affole.

 

-     Tu t'en vas déjà ? Quelle heure est-il ?

 

-     Midi passé. Je dois rentrer.

 

Anne reste assise, les jambes sous le drap. Elle remet de l'ordre dans ses idées. Elle a dragué Carole cette nuit, à l'anniversaire de Matthias, alors que la Fête arrivait à sa fin. Elle l'a séduite assez facilement. Carole noyait son chagrin dans l'alcool, en quête d'une épaule amie, et décidée à passer du bon temps pour oublier sa fureur et son petit ami avec qui elle venait de rompre. Anne a été là au bon moment, et elle aussi avait une déception amoureuse à oublier. Elles se sont consolées mutuellement. Déchaînées, fougueuses, elles ont fait l'amour comme on se bat, avec rage. Après chaque étreinte, leur colère intérieure et leur envie de se défouler rallumaient sans arrêt leur désir. Carole, plus âgée, d'apparence plus masculine et sportive, s'est comportée comme une tigresse affamée, en proie aux exigences d'une libido presque désespérée. Dominatrice, elle a mené au départ le jeu dans des ardeurs impérieuses, autoritaires. Mordant, griffant, léchant, sa sauvagerie égalait sa perversité. Elle semblait ne pas vouloir délaisser le moindre centimètre carré de ce jeune corps délicatement féminin, gonflé de tendres secrets, doux et grisant, dont les trésors la comblaient. Anne, emportée par cette frénésie érotique, a répondu docilement aux sollicitations qui l'embrasaient. Et, peu à peu, les rôles se sont inversés. Anne, au premier abord timide et fragile, a toujours trompé son monde. En amour elle est incomparable, tendre, câline, d'une imagination raffinée. Elle a attendu le moment propice pour affirmer son expérience, et l'a soumise à ses jeux érotiques, la guidant et l'initiant dans des voluptés infinies.

Carole s'est alors abandonnée, étourdie, anéantie, à bout de forces… Puis, aussitôt son excitation envolée, des regrets amers l'ont envahie, une lassitude doucereuse, qui est presque du dégoût… Cette jolie brune, aux allures masculines et aux courbes si féminines, lui a trop donné, et s'est acharnée avec trop d'attention, comme si elle voulait se l'attacher pour toujours. Cette avalanche de tendresse est vite devenue étouffante. Carole n'est pas mûre pour une relation sérieuse. Distante, elle se dépêche de se vêtir. Anne à compris. Les mots sont inutiles. Elle hésite à la retenir, puis s'étend sans un mot sur le coté, lui tournant le dos. Le drap qui la recouvre s'agite au rythme de ses sanglots, ses épaules nues tressautent convulsivement. Elle ne se retourne même pas lorsque, sans un mot, Carole quitte la chambre. Anne n'en est pas à sa première déception, mais elle n'arrive toujours pas à s'endurcir. Pourtant elle devrait. Sa naissance a déjà été source de malheurs. Elle est à l'origine une catastrophe, et ne sait que causer déceptions sur déceptions. Pour son père, qui ne lui a jamais pardonné d'avoir provoqué la mort de la femme qu'il aimait le plus au monde. Coralie est morte en mettant au monde leur fille, Anne. Il a aussitôt rejeté cette enfant, dans l'incapacité de l'aimer, et de lui pardonner. Il l'a confié très rapidement à un pensionnat, se limitant à de brèves visites, une ou deux fois par an. Ce rejet, ce silence lourd de reproches, a enfoncé Anne dans un effroyable sentiment de culpabilité. Sa mère était morte par sa faute. Son père était malheureux et brisé par sa faute. Et sa découverte très tôt de son homosexualité ne fit qu'aggraver son mal de vivre, son désarroi. Éduquée dans une institution religieuse, elle-même croyante et pratiquante, elle ne pouvait pas concevoir de se sentir attirée par des pulsions contre-nature, et essaya d'évacuer tous ces fantasmes dans les prières et la solitude. Elle était tentée par le diable, les démons de la chair, les pires péchés, elle était condamnée à vivre d'affreux tourments si elle ne parvenait pas à refouler toutes ces maudites pensées ! Et durant des années elle se révolta de toutes ses forces contre ces passions sataniques qui bouillonnaient dans ses veines et la possédaient d'horribles émois. La mort de sa mère n'était-elle pas une punition, parce qu'elle était née lesbienne ? Anne, en grandissant, devint homophobe, et en rejetant sa propre nature n'osait même plus se regarder dans la glace. Elle se détestait. Et c'est sa rencontre avec l'un de ses professeurs, à l'université, qui changea sa vie. Elle s'appelait Mireille, de vingt ans son aînée, et devint sa mère spirituelle, sa confidente, sa meilleure amie, tout cela à la fois. Puis enfin sa maîtresse, son amour. Cette passion lui permit de franchir le pas et de mieux s'accepter telle qu'elle était. Leur rupture la replongea dans des abîmes de profonde détresse, pour Anne être seule est synonyme d'angoisse existentielle où elle se sent brutalement moche, inutile, et si vulnérable…Sa vie est jalonnée d'instants trépidants, heureux, et brusquement des pires angoisses, au gré de ses amours ou de ses vides affectifs… Et en ce moment elle se sent plus seule que jamais. Le cœur brisé en mille morceaux par son dernier amour, une femme mariée, sa plus belle rencontre, celle qui lui a fait redécouvrir la passion et l'extase. Sa première hétéro, elle qui avait toujours fuie les hétéros. Trop indécises, trop compliquées... Mais là les circonstances avaient été tellement insolites, absurdes, un simple jeu qui s'était accéléré et avait pris une direction déroutante et imprévisible. Où cette femme mariée avait fini par succomber à ses avances, avec toutefois certaines réserves. D'abord déroutée, un mélange de fascination, d'excitation et de peur aussi… Il lui a fallu plusieurs heures pour briser cette crainte, la mettre en confiance, et enfin arriver à ses fins, et ce qui s'était ensuivi avait été une sarabande de passion effrénée, de sexe intense, où la femme mariée s'était révélée la plus incroyable et surprenante amante. Pour finalement se détourner d'elle pour des raisons stupides de morale et de bienséance. Endoctrinée par une société bien -pensante qui l’empêche d'ouvrir les yeux et accepter sa vraie nature. Alors oui, elle se sent terriblement seule, pourchassée par la malchance, celle qui lui refuse le bonheur et une relation stable.

- Oh, Jade, je t'aime tellement ! Reviens-moi, reviens-moi s'il te plait !

Des suppliques qui, comme d'habitude, vont se perdre dans le néant. Une vie de déceptions et d'injustice...

Le même jour, au soir, trente kilomètres plus à l'ouest, le soleil couchant embrase les eaux du canal du Midi, noyant de ses rayons mordorés une péniche qui suit pesamment le cours à quelques kilomètres de Béziers. Deux autres péniches, à cent mètres d'intervalle, se croisent, tout doucement, semblables à des jouets sur un miroir immobile.

Assis à l'ombre des platanes, Yannis se laisse gagner par la sérénité des lieux. Oubliant presque son chagrin et sa souffrance. Il sent la main de Jade sur son épaule, qui la serre doucement. Ce simple contact est comme un choc électrique. A sa grande honte, une larme s'échappe et coure, brûlante, sur sa joue. Il cligne des yeux rapidement, incapable de parler, soulagé qu'elle se tient derrière lui et qu'elle ne peut la voir. Son autre main se pose sur son autre épaule, et Yannis sent la chaleur de son souffle sur sa nuque. Une charge érotique le parcourt comme un éclair, il tremble, sentant un fourmillement envahir tout son corps.

- Je suis désolée, murmure t-elle tout doucement.

Il déglutit, sent soudain une boule dans sa gorge.

Et pose enfin la question qui lui brûle les lèvres.

- Tu vas me quitter pour vivre avec elle ?

- Oui, je pense... Elle ne le sait pas encore mais je sais qu'elle n'attend que cela. Et maintenant j'en ai envie, très envie...

La voix se brise sous l'effet de l'émotion. Elle resserre son étreinte pour tenter de le réconforter. Avec tendresse et affection. Mais plus d'amour. Un amour qu'il a perdu à jamais depuis qu'elle est tombée follement amoureuse d'une autre femme. Toutefois, il lui reste un faible espoir qu'il exprime faiblement.

- Mais ne penses-tu pas que c'est juste un égarement passager ? Si c'est le cas je t'attendrai le temps qu'il faudra... Ne précipite rien. Prends le temps de réfléchir...

- Non, Yannis, je l'aime. J'ai besoin d'elle et elle a besoin de moi. J'ai lutté un moment contre cette attirance mais c'est un combat perdu d'avance et je dois me rendre à l'évidence. Je l'ai dans la peau. J'ai cette femme dans la peau et je l'assume. C'est en moi. Ma vraie nature. Je l'ignorais mais je suis faite pour ces amours-là... Avec elle.

Elle se glisse à côté de lui tandis qu'il acquiesce péniblement, sans la regarder.

- C'est de ma faute. C'est moi qui t'ai poussé dans ses bras.

A ce souvenir, il sent ses yeux le brûler, il cligne des yeux, surpris de se découvrir aussi malheureux et vulnérable. Lui d'habitude si espiègle, joueur, bon vivant, grande gueule, prenant la vie avec dérision où tout est sujet à moquerie ou cynisme, sa façon à lui de se détacher et se protéger. Mais, là, toutes ses murailles viennent de se fissurer et tout son monde vient de s'écrouler. Elle place son bras autour de ses épaules en se rapprochant davantage. Ses cheveux lui balaient le visage, il en respire le parfum, shampoing frais mêlé à son odeur propre, chaude et enivrante. Une odeur dont il ne pourra jamais plus se griser.

- Promets-moi une chose, dit-il.

- Quoi donc ?

- Sois prudente. J'ai l'impression que tout va trop vite, tu t'emballes, tu t'enflammes, alors que tu ne la connais à peine. C'est peut-être juste un plan cul - différent et donc excitant - et elle t'a fait tourner la tête avec des trucs de filles qui t'ont chamboulés et...

Elle tourne brusquement la tête et le regarde dans les yeux sans ciller.

- Arrête, tu te fais du mal pour rien. Cela n'a rien à voir avec le sexe. On en a déjà parlé. C'est une question de peau, d'osmose, d'alchimie, je te l'ai déjà dit. Personne ne peut lutter contre cela. Même pas toi...

Ses yeux embués de larme brillent d'une flamme résolue. Vaincu, il baisse la tête, ses épaules semblent s'affaisser. Il prends sur lui pour ne pas insister davantage, par peur de la froisser, que le ton monte. Ils sont passés par tous les excès, des larmes à la colère, et tant d'émotions l'ont vidé et éreinté. Las, il ne dit plus rien, perdu dans ses pensées. Soulagée qu'il en reste là, elle relève la tête, écarte les mèches dorées devant son visage.

Que de douleur et de souffrance ! Elle reconnait à peine son mari, d'habitude si hilare, fanfaron et survolté. Là, plus de joie ni d'énergie... Un homme anéanti. Éteint...

Elle tente de repousser les sombres pensées qui l'assaillent, cette vie parfaite qu'elle est en train de détruire par amour pour une autre femme. Réduisant à néant tout un passé et toute une histoire en commun.

Ensemble, au cœur d'Agde, prés de Béziers, ils ont trouvé la vie dont ils rêvaient : une grande et vieille maison de village à retaper dans un petit village , un bar à acheter qui a toujours été le rêve de Yannis, et une mutation pour elle à quelques kilomètres de là. Une vie simple et rurale, sans les tracas de la ville, la pollution, ou les longs trajets en voiture depuis la banlieue. Tous les deux se sont connus à Paris. Son BTS d'assistante de direction en poche, elle s'est vue obliger de quitter son aude natale pour la capitale, à la recherche d'un emploi. Puis elle est entrée à la Poste par hasard, d'abord un boulot d'été comme guichetière au bureau, puis ensuite comme factrice. Elle y a trouvé un métier qui lui plait, ainsi que son conjoint, Yannis, facteur titulaire d'une tournée mixte en voiture, confirmant la Poste d'être "la plus grande agence matrimoniale de la fonction publique". Assez vite, il ne lui ai plus venu l'idée d'échanger sa place contre un travail sédentaire de bureau, rivée derrière un ordinateur, avec un patron en permanence sur le dos pour exiger des résultats impossibles à atteindre. Alors elle a passé le concours, l'a réussi du premier coup, et a vite demandé sa mutation. Avec la certitude que son conjoint la suivrait jusqu'au bout du monde...enfin jusqu'au bout de son terroir d'origine. Quitte à sillonner des rues bruyantes et agitées en plein centre de Paris, elle préférait autant distribuer le courrier dans des petites routes de campagne dans la région qui l'avait vue grandir. En attendant que son rêve bucolique se réalise, elle s'est mariée, attendue, pris son mal en patience, faisant de son mieux pour préserver ce que l'anonymat de la capitale s'ingénie à faire disparaitre : le dialogue, la solidarité, le lien social, le sens du service. Des vertus qu'elle peut maintenant appliquer avec gaieté et une joie communicative. Jade, ici, se sent heureuse et épanouie. Comme une abeille, vive et blonde, voletant de boite aux lettres en boite aux lettres, projetant un rayon de soleil sur le village qu'elle dessert avec bonne humeur. Fille du vent, la Tramontane, elle joue avec, l'apprivoise, en fait son alliée, s'agrippe à la sacoche, se mets en danseuse, filant en prenant les rafales, dévalant les pentes, virant souplement, dans de vieilles ruelles, et ensuite aux franges campagnardes du village, parcourant près de vingt kilomètres sur son vélo à assistance électrique. Elle adore cette vie de liberté, ouverte aux autres, ouverte aux saisons. Alors elle rit. Elle rit sans cesse, jamais avare d'une plaisanterie ou d'une gentillesse, aimant partager sa joie de vivre à ses clients. La gaité personnifiée. Conservant son innocence et son âme d'enfant qui la rendent si sympathique et populaire. Puis, quand elle ne travaille pas, passe son temps libre à construire et rénover, restaurant leur maison, sans s’inquiéter du temps qui passe. Jade a appris à avancer sans s'effrayer ou se presser. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Et tous leurs projets se sont concrétisés tout doucement. Comme pour Yannis qui a démissionné de la Poste et a acheté le bar de ses rêves. Avec son accent  inimitable, mélange de sonorités marseillaises et gouailleuses, il manie un verbe haut et coloré, s'intégrant facilement et régalant ses clients de blagues tonitruantes et salaces.

Oui, ils ont obtenus tout ce qu'ils désiraient, lentement et sereinement, une vie calme et parfaite, un long fleuve tranquille... Le couple modèle... Jusqu'à cet été de canicule, six mois plus tôt.

Un éclair zébra le ciel, suivi d'un coup de tonnerre si puissant que les baies vitrées de séjour en tremblèrent. L'orage éclata soudain et des trombes de pluies s'abattirent dans le village et ses environs.  Il était tôt dans la soirée et Yannis se sentait agité et nerveux. Rien à voir avec le temps pourri. Il se retourna vers la grande fenêtre au-dessus du bureau pour jeter un coup d'oeil à l'extérieur. La pluie tombait si fort qu'on aurait pu croire que le ciel déversait d'un coup des cargaisons d'eau, réduisant à  néant la visibilité. Un vrai déluge. Yannis était soulagé de ne pas à sortir ce soir, c'était son jour de repos et la fermeture de son bar, comme tout les lundis. Mais cela ne soulageait en rien sa tension. Sans savoir pourquoi, il avait cette sensation anxieuse et il n'arrivait pas à en trouver la cause. Comme si un événement primordial allait se produire ce soir, un grand changement dans sa vie.  C'est alors que sa femme sortit de la douche et entra dans la chambre, une serviette drapée autour de sa taille, splendide et le corps encore ruisselant de gouttelettes. Souple et longiligne, avec de longues jambes racées, une démarche à la fois sensuelle et d'une grâce juvénile, elle avait ce genre de sex-appeal redoutable et insolent, celui d'une femme très attirante qui n'a pas conscience de son pouvoir de séduction. En la voyant si belle et désirable, il découvrit la cause de son anxiété, qui n'était autre qu'une frustration sexuelle. Ils n'avaient pas fais l'amour depuis 4 ou 5 jours et il commençait à ressentir le manque... surtout lorsque Jade lâcha la serviette et resta nue devant lui, alors qu'elle commençait à chercher quelque chose à se mettre. La vision de ses fesses tendres et rondes, ses seins hauts perchés admirablement fermes et provocants, lui donna des picotements dans les mains. L'envie de toucher et de caresser. Elle avait un corps qui appelait les caresses, si insolent, si attirant. Des caresses dont il était privé de plus en plus souvent ces derniers temps. Et il savait que pour la bagatelle il fallait la prendre avec des pincettes et ne pas l'attaquer de front.
Avant qu'elle ne trouve un pyjama à mettre, sa tenue préférée pour traîner le soir, il lui suggéra alors de mettre plutôt sur elle quelque chose de sexy.

Elle le regarda avec étonnement et lui demanda :

- Pourquoi ? Qui est-ce qui en profiterait à l'exception de toi ? 

Alors il la défia du regard et lui dit :

- Personne. Et c'est bien ce qui est dommage... Un corps comme le tien... Peut-être que, pour relancer ta libido et reprendre confiance en toi et tes désirs, tu devrais permettre à quelqu'un d'autre d'avoir un aperçu de ton joli corps !!!

Il avait balancé cela sans réfléchir, à la va-vite.

- Dis moi exactement ce que tu entends par là ?  lui demanda t'elle.

Son cœur commença à battre à un rythme élevé. Il ne savait pas ce qui lui avait traversé l'esprit alors qu'il lui expliquait plus précisément  sa pensée.

- Mon cœur, je sais que tu n'aimes pas ton corps et tout son potentiel érotique, et de là vient ton manque d'intérêt pour les choses du sexe.  Peut-être que si tu allumais le désir chez une autre personne tu prendrais conscience de tes charmes !

Elle haussa les épaules avec agacement, mais en rougissant légèrement, avec une petite lueur curieuse au fond des yeux. Puis, comme à chaque fois qu'un sujet l'embarrassait, elle changea vite de conversation.

- Hmm... Cela sent drôlement bon ....

Elle avait émergé de la salle de bain avec l'odeur d'une bonne soupe aux légumes. Elle s'étira longuement, ravie que son mari lui prépare le repas. Et impatiente de partager avec lui cet instant précieux où ils prendraient le temps de manger et discuter à table, avec toujours cette même complicité. Elle aimait retrouver ces gestes simples, partagés, prendre le temps des choses vraies. Mais il revint à l'attaque sur le sujet qui le préoccupait.

- Ma chérie, avant tu aimais séduire et plaire, de façon discrète certes, mais c'était un jeu entre nous quand tu t'amusais à provoquer les hommes en discothèque pour me faire râler, ou par défi. Te sentir belle et désirable... Ça t'excitait, et c'est moi après qui en profitait...

Il n'arrivait pas à croire ce qu'il disait réellement à sa femme. Et encore moins en lui suggérant par la suite d'une manière ou d'une autre d'exposer son corps à un autre homme.

- Je pense que se serait intéressant si tu excitais quelqu'un d'autre. Pour s'amuser. Comme avant...

- C'était avant, justement, mon chéri. J'avais vingt deux ans. Fofolle et inconsciente, et prête à tout pour te plaire.

- Alors retrouvons cette folie de notre jeunesse. Tu étais coquine et espiègle, tellement curieuse. Refais-le au moins une fois, et cela va raviver la flamme et notre vie sexuelle, j'en suis certain !

Ses yeux s'ouvrirent démesurément, brillant d'une lueur étrange,  et il remarqua que sa peau se hérissait en chair de poule, comme animée d'une vie propre à l'idée du fruit défendu.
- Et si je faisais cela avec une femme plutôt, ce serait plus drôle non ?

Il en resta bouche bée, mâchoire pendante.

- Une femme ?

- Oui. Avec un homme ce serait trop facile, et vous êtes tellement prévisible, si faible. Séduire et exciter une femme est un défi bien plus difficile et intéressant, moins ordinaire...

- Tu préférerais allumer une femme ?

Il n'en croyait toujours pas ses oreilles, se demandant si elle ne se moquait pas de lui pour le prendre à son propre jeu. Elle se fit taquine et sensuelle en poursuivant d'une voix chaude et caressante.

- Oui, je me suis souvent demandée ce que deux femmes pouvaient faire ensemble, et si les lesbiennes étaient aussi douées et expertes qu'on le dit. Il parait que leur savoir est incomparable...

Maintenant,  le cœur de Yannis battait réellement la chamade, alors qu'il réalisait que la conversation avait tourné en une sorte de jeu beaucoup plus poussé qu'il ne le souhaitait, et les conséquences de ce jeu pouvaient être plus importantes que ce qu'il n'avait pensé au départ.

- Tu veux dire que cela te plairait d' aller plus loin que de simplement séduire ou provoquer ?

Il avait du mal à y croire. Il savait mieux que quiconque que sa femme était fondamentalement réservée et prude et probablement ne ferait pas plus que dégrafer un bouton de son chemisier et montrer un soutien-gorge en dentelle. Que ce soit devant un homme ou une femme. Pas de doute, elle jouait avec ses nerfs.

Elle le regardait avec amusement  et poursuivit :

- Oh ! Mon cœur, je ne sais pas... Peut-être que coucher avec une femme est un fantasme enfoui en moi depuis longtemps et que j'ose enfin t'en parler. Mais quoique il arrive, rappelle toi que c'est ton idée et ne me blâme pas si je me prends au jeu de tenter l'aventure avec une femme. Au risque de m'y brûler...

Elle avait un regard étrange lorsqu'elle lui dit cela et cela lui fit penser qu'elle pouvait être vraiment sérieuse, prenant le ton de la plaisanterie pour aborder un sujet qui lui tenait vraiment à cœur. Comment cela était-il possible ? Lui qui pensait si bien la connaitre. Cela dépassait l'entendement et la situation le dépassait, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Lui qui aimait être surpris il était servi...

- Et tu mettrais quoi si tu voulais séduire une femme ?

Il s’allongea sur le lit et regarda sa femme se préparer pour l'occasion. Elle sortit du tiroir de la commode un string ficelle blanc très sexy. Elle le passa sur elle et il était très aisé de voir le doux triangle de sa toison pubienne à travers le tissus. Elle prit ensuite un soutien-gorge assorti au string qui couvrait à peine ses mamelons. Des mamelons tendus et grossis par l'excitation.

Yannis avait du mal à respirer. Il n'arrivait pas à croire dans quel état cela il se retrouvait à l'idée de la voir s'exhiber devant une autre femme.

Décidément, l'orage avait de drôles d'effets sur l'humeur de sa femme...

Elle se retourna et lui demanda :

- Qu'en pense tu? Est que j'arriverais à la troubler ainsi ?

Il pouvait à peine parler.

-Peut-être... croassa t-il.

Elle continua à fureter dans le tiroir jusqu'à ce qu'elle sorte une paire de bas blanc qu'elle s'appliqua à passer sur ces longues jambes fuselées. Quand elle fut prête, elle alla à la penderie et sortit une robe blanche en dentelle se fermant par une fine ceinture de tissus. Elle la passa et noua la fine ceinture autour de sa taille. Une taille fine et souple qui avait toujours contrasté avec l'opulence de ses seins assez épais. Elle était extrêmement sexy ainsi vêtue. Le haut de ses bas était en partie visible, parce que la robe était courte,  s'arrêtant au sommet de ses cuisses.

Un instant, il pensa réellement qu'il n'y avait aucune chance qu'une femme la voit ainsi vêtue. Elle le charriait. C'était du bluff. Mais il devait la pousser jusqu'à ses derniers retranchements pour voir jusqu'où elle irait. La défier et piquer sa fierté.
- Et alors ? Tu es vraiment très sexy, mais sur quelle femme tu vas jeter ton dévolu, si tu oses vraiment aller jusqu'au bout ? Ce qui m'étonnerait beaucoup...

Elle lui jeta un petit coup d’œil en coin avec un sourire effronté.

- Ah bon, tu crois ça ? Présente-moi une femme qui aime les femmes et j'userai de mon charme sur elle.
Il n'en revenait pas. Un instant, il eut peur que son cœur explose tellement il battait vite sous l'effet de l'excitation.

Puis elle haussa les épaules avec un sourire taquin.

- Dommage, je n'en connais aucune... Une autre fois sans doute...

Bien sûr, elle avait joué avec lui, mais il comptait bien forcer la chance en l'obligeant à tenir parole. Elle n'allait pas s'en tirer à si bon compte.

- Moi j'en connais une ! dit-il en criant presque, avec un peu trop de précipitation.

Elle se tourna vers lui, sourire figé.

- Ah ?

- Anne Klein. Une copine de terminale que j'ai revu par hasard il y 'a deux ans, à Nice. Je suis un peu son parcours par Facebook, on s’envoie quelques messages, elle s'est installée du côté de Montpellier.

Elle fit semblant de s'y intéresser, mais sans grande conviction, comme regrettant de se retrouver au pied du mur. Amusé, il poursuivit avec un sadisme contenu.

- Au lycée, c'était une écorchée vive, impétueuse, irrévérencieuse et indépendante, fonctionnant à l'instinct sur des coups de cœur et ses passions. Une fille bizarre assez difficile à cerner, qui cumulait les aventures sans lendemain. Tout le monde la prenait pour une croqueuse de femmes, séductrice et indifférente, mais c'était faux. Quand j'ai appris à la connaitre, j'ai vu que sous son apparence détachée et sûre d’elle elle cachait en fait de nombreuses faiblesses. Beaucoup de failles. Encore une à qui la vie n'avait pas fait de cadeaux. Mais, à part ça, c'est une jolie femme. Brune, cheveux courts, yeux noisettes toujours pétillants de malice, très bien roulée, un sex-appeal redoutable, et surtout beaucoup de charme, un charisme fou. Je suis certain qu'elle te plairait...beaucoup.

Il appuya sur le dernier mot avec insistance, appuyant le sous-entendu d'un clin d’œil grivois. Elle se contenta de hausser les épaules d'un air indifférent, le visage impassible.

- Faut voir...


Cette nuit, émoustillés par leur petit scénario érotique, ils firent l'amour plus intensément.. Yannis fut très tendre, comme toujours. Pendant qu’il la cajolait, il lui demanda de lui parler, de lui raconter des choses excitantes. Encouragé par leur discussion du soir, où lui apparaissait d'autres facettes de sa femme, il osa lui avouer qu'il avait envie d’entendre ses fantasmes. Ce n’était pas gagné, elle était  plutôt du genre romantico-pudique, ascendant fleur bleue, sa chérie ! Elle fît d’abord comme s’il elle ne comprenait pas.  Comme il insistait, elle finit par lui confier entre deux baisers qu'elle s'était imaginée de temps en temps s'abandonner dans les bras d'une autre femme, être la proie docile et consentante d'une volcanique lesbienne, et puis...rien d'autre. Elle se ferma comme une huitre, affirmant que les fantasmes ne devaient jamais se réaliser, et que chacun avait son jardin secret. Cette femme était d’un conventionnel affligeant ! Alors, sans insister davantage, il lui demanda de fermer les yeux, de se laisser faire, et de laisser travailler son imagination, imaginer que c'était une femme qui la caressait pendant qu'il s'occupait d'elle. A contre- cœur, sans conviction, elle se prêta à son jeu, alors que sa langue était déjà bien occupée entre ses jambes. Et, à sa grande surprise, l'orgasme l'emporta très vite et très intensément, sans avoir le courage de retenir un cri libérateur.
D'habitude, quand il l'a faisait jouir, il lui demandait toujours si elle avait aimé. Et elle lui répondait toujours oui, même si parfois… Si parfois il lui manquait quelque chose, le grand frisson, la perte totale de contrôle, le déclic qui faisait la différence. Mais rien de grave ni d'alarmant, et puis il y' avait des choses plus importantes dans la vie, d'autres priorités, alors ce "oui" le rassurait. Et la rassurait tout autant. Elle ne voulait pas le contrarier ou le décevoir pour un sujet aussi puéril. Mais, là, chamboulée et en émoi, ce qu'elle ressentait dans son corps ne semblait ni anodin ou puéril. Important au contraire. Déstabilisant. Se disant qu’avec un orgasme comme celui-là, elle devait être autant clitoridienne que vaginale, alors qu'elle s'était toujours crue vaginale, comme si elle redécouvrait son corps.  C’était une sensation étrange, divine, bouleversante, un moment hors du temps. Troublant. Très excitant aussi, qui l'effrayait.

Serrés l'un contre l'autre dans le lit, ils apprécièrent chaque seconde après l'amour. En silence, comme pour ne pas briser le charme. Se languissant de gestes tendres, se perdant dans leur regard, se souriant, longuement.

Finalement, les premiers mots sortirent de la bouche de Jade. Son haleine était tiède, son corps nu encore frémissant, brûlant.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

- Quoi donc ?

- Ce jeu stupide, séduire une femme...

- Pourquoi ? Tu as peur ?

Pensivement, il caressait ses côtes saillantes, son ventre plat, ses seins insolents qui pointaient sous la couette. Puis sa main remonta avec amour vers la gorge, le menton, les joues.

Comme elle ne répondait pas, il reprit :

- Tu sais, j'ai bien senti la différence quand tu as joui. Et tu étais beaucoup plus réceptive. Comme si quelque chose en toi se réveillait. Ta carapace s'est fissurée, ta volupté s'est révélée, tes sens se sont enfiévrés, et je pense que c'est constructif. Un grand pas en avant.

- C'est si important que ça pour toi que je me lâche sexuellement ?

Elle soupira, puis posa son oreille sur la poitrine de son mari, au niveau de son cœur battant la chamade.

- Oui, ma chérie. On s'est éloigné tous les deux, sexuellement parlant. Je ne pense pas que ce soit de ta faute, ni la mienne. C'est la vie. La routine, le temps... Et je crois que ce petit jeu innocent et sans conséquence peut relancer notre sexualité et nous permettre de nous retrouver.

Elle a un petit rire cynique.

- Innocent ? Sans conséquence ? En es-tu certain ? Tu sais, mon chéri, quand j'ai joui tout à l'heure, en imaginant pour la première fois que c'était une autre personne qui me faisait l'amour, une femme, j'ai senti comme quelque chose de fort et de puissant me posséder, et cela m'a fait tellement peur que je me suis retenue, alors tu imagines si je ne l'avais pas fait ?...

Honteuse de s’être trop livrée, elle se referma. Pensant à ce qu'elle venait de dire. Persuadée que tout cela lui avait fait comprendre qu'elle avait au fond d'elle-même des restes d'une sorte d'instinct ancestral, primitif, animal, avec une nature secrète qui s'apprêtait à s'éveiller. 

A côté d'elle, Yannis serrait les mâchoires, maîtrisant l'émotion qui le submergeait. Il chercha à parler, mais ses lèvres restaient définitivement figées. Jade ressentit son malaise et lui demanda :

- Désolée... Je comprends que cela puisse te déranger... Je te fais peur ?

Un long silence. Yannis secoua finalement la tête.

- Tout cela va très vite. Sans le savoir, nous avons ouvert la boite de Pandore, et je pense qu'il est trop tard pour reculer. Allons jusqu'au bout et nous verrons bien. Il ne s'agit pas de coucher avec une autre femme. Juste de l'allumer et éveiller en toi ce petit grain de folie que tu as perdu. C'est tout.

Elle l'étreignit en riant comme une petite fille espiègle. Chassant toutes ses inquiétudes pour prendre toute cette histoire avec légèreté.

- Tu as raison. Et, quoi qu'il arrive, si cela m'excite prodigieusement, c'est toi seul qui en profitera de toute façon !

Ils basculèrent tous les deux sur le côté en se chamaillant un long moment. Ignorant les bruits de la tempête qui secouaient encore la maison.

 

Jade était vraisemblablement intriguée par Anne. Yannis s'en était vite rendue compte, d'autant plus qu'elle n'avait pas fait beaucoup d'effort pour dissimuler sa curiosité. Ils étaient là, assis sagement à regarder le spectacle, lorsqu'il remarqua que Jade tournait souvent la tête vers la droite. Il suivit son regard. Et alors aperçut Anne. Difficile de ne pas la remarquer, elle attirait l'attention, par sa façon impertinente et légère d'interpréter la mode, une désinvolture teintée d'insolence qui avait souvent le don d'agacer. Mais, malgré tout les moyens mis en œuvre pour éviter le bon goût et les tendances vestimentaires, la beauté d'Anne conservait son pouvoir magnétique, son charme ambigu, et rien ne semblait pouvoir l'enlaidir. Une rebelle au visage d'ange, à la fois femme-enfant  et garçon manqué. Vêtue d'un pantalon de treillis en Nylon ciré et d'un simple débardeur qui dessinait divinement ses petits seins bombés, elle était ultra-sexy. Anne regardait également dans leur direction, et paraissait fascinée par la présence de Jade. Yannis lui adressa un petit signe. Ils devaient se retrouver devant l'entrée, mais comme d'habitude le couple était arrivé en retard, la ponctualité n'étant pas leur fort. Il avait été facile pour lui de la convaincre de sortir avec eux, Anne étant une femme de la nuit, fêtarde, ne ratant jamais une occasion pour s'amuser. C'est donc elle qui leur avait proposé d'assister à un spectacle de cabaret d'un de ses amis, Julien à la salle des fêtes. Julien, méconnaissable en vamp distinguée, à la Marylin Monroe, effectuait son numéro de transformiste avec une perfection qui forçait le respect. Étourdissant, drôle et virtuose, il tenait un rôle de composition. Le spectacle était échevelé, moderne, fun, dans un décor grandiose. L'histoire était simple, une histoire d'amour destructrice et passionnelle, un mélodrame flamboyant, entre deux hommes que tout opposait. Julien jouait un chanteur déchu, ruiné, qui s'était enfermé dans la solitude et l'anonymat, marqué par la détresse, tout simplement parce qu'il devait assumer son choix d'être homo. Le scandale ne l'avait pas épargné, l'avait brisé, mais il préférait sa vie à celle de l'hypocrisie. Sa rencontre avec un jeune fugueur complètement paumé, en manque de repères mais à la voix sublime, allait bouleverser son existence. Il sortait de sa léthargie, l'amour allait ressusciter sa passion de chanter, sa force créatrice. Pour séduire le jeune homme, il allait composer des musiques rythmées et tourbillonnantes, avec des numéros dansés d'une incroyable beauté, et cette soudaine renaissance allait lui permettre d'arriver à ses fins. Le final s’achevait en apothéose, une comédie musicale grandiose,  qui renforçait majestueusement la puissance émotionnelle des principaux personnages qui trouvèrent ensemble dans l'amour un équilibre et une paix intérieure. Happy end. Yannis cria et battit des mains à tout rompre tandis que les applaudissements ne cessaient de s'amplifier.

Plus discrètement, Jade applaudissait doucement en se levant à son tour. Ils se laissèrent entraîner par la vague humaine qui les poussait vers l'extérieur.

-  Bonsoir, Yannis.

Anne était plantée au milieu de la foule, les fixant dans une attitude décontractée, un peu garçonne dans sa façon de tenir ses hanches et ses épaules. Mais ses seins qui pointaient sous le débardeur n'avaient rien de masculin.

Échange de bisous. Yannis les présenta.

Jade semblait mal à l'aise, et c'est nerveusement qu'elle s'empressa de dire :

- Enchantée. J'ai beaucoup aimé le spectacle.

Yannis intervint.

- Tu as beaucoup changé Anne, j'ai failli ne pas te reconnaitre.

- Changé ? En bien j'espère ? D'habitude, on me compare souvent au vilain petit canard qui attend d'être transformée en cygne, ce qui me laisse penser que seuls les contes pour enfants finissent toujours bien.

Jade esquissa un sourire timide.

- Cette fois-ci, je peux vous assurer que la morale de l'histoire est sauve.

- Génial ! Enfin une fin heureuse !

Yannis connaissait suffisamment Anne pour savoir que son assurance était forcée. Elle était aussi intimidée que troublée. Surtout troublée. Son regard brillant, ses lèvres qui frémissaient, sa soudaine fébrilité qui la rendait volubile et agitée, ce sont là des signes qui ne trompaient pas. Amusé, il les regarda tour à tour.

Anne dit brusquement :

- Bon, on va boire un coup au restaurant Le Paradisco. Julien doit nous y retrouver.

- Cela se trouve ou ? demanda Jade.

Anne, qui ne la quittait plus des yeux,  intervint vivement.

 - A Valras-Plage, en bord de mer. C'est pas loin... Le plus simple est que vous me suiviez, je roulerai doucement, et on se téléphone de toute façon si on se perds de vue.

- Bien sûr, aucun souci. De toute façon, je connais.

C'était Yannis qui venait de parler. Il faillit avoir la mâchoire pendante lorsque sa femme proposa naturellement.

- Si tu connais, mon chéri, tu ne vois pas d'inconvénient pour que je monte avec Anne. Cela nous permettra de faire plus ample connaissance.

Discrètement, sa femme lui adressa un petit sourire reconnaissant. Son audace le stupéfiait, jamais il ne l'avait vue si directe et résolue. Décidément, il allait de surprise en surprise ! Elle prenait son rôle un peu trop sérieusement, un jeu dangereux où elle se lançait un peu trop vite. Il y pensait encore alors qu'il roulait vers le centre ville, et se laissa suffisamment distraire pour se retrouver bloquer entre deux camions. La malchance le poursuivit, ce ne fut ensuite qu'une succession de feux rouges. Il lui fallut après quinze bonnes minutes pour trouver une place à proximité de l'hôtel. Il du s'y reprendre à deux fois en effectuant le plus mauvais créneau de sa vie. Difficile de se concentrer alors que plein de pensées se télescopaient dans sa tête. Sujet de préoccupation : Anne. Sans aucun doute, Jade lui avait tapé dans l'œil, mais il avait maintenant des remords à l'envoyer au casse-pipe, une histoire sans suite qui lui ferait certainement du mal. Et pour cause... Jamais rien ne se passerait entre elles. Sa femme, bien qu'il l'avait sentie déroutée, conformait toujours son existence à certains idéaux, et il restait persuadé qu'elle ne remettrait jamais en cause cet univers de certitudes auquel elle s'accrochait tant. L'idée de la voir avec une femme, même si c'était un vague fantasme,  lui paraissait si absurde que cela lui fit de la peine pour Anne. Jouer avec ses sentiments était cruel. Cette déception ne ferait que la fissurer davantage. Elle avait grandi sous le poids du malheur, frappée par une succession de coups durs dans sa chienne de vie, et une autre épreuve l'attendait prochainement : la visite de son père. C'est elle qui le lui avait dit quand il avait téléphoné. Son père était le principal responsable de ses angoisses permanentes, la source du problème, Anne avait appris à se haïr à cause de lui. Yannis se doutait bien qu'elle n'osera jamais lui avouer son homosexualité, elle continuera de garder en elle ce secret qu'elle estimait sale et honteux, au lieu de crever l'abcès et se débarrasser de ce lourd fardeau. Même si cela était le moyen le plus sûr de briser des liens déjà fragiles... Son père était un homme bourru et désabusé, veuf inconsolable, à l'esprit étroit et aux idées radicalement hermétiques, que Yannis avait eu le malheur de croiser lorsqu'il était en Terminale avec Anne. Il était du genre à croire que l'homosexualité était un vice génétique, une erreur de la nature, et il ne pardonnerait jamais à sa fille une telle abomination. Perdu pour perdu, autant lui balancer la vérité en pleine figure, c'est ce que Yannis aurait fait à la place de son amie. Mais Anne ne se jettera jamais à l'eau, inutile de revenir là-dessus. Décidément, elle avait peu changé... Yannis gagna la terrasse de l'hôtel. Une guirlande d'ampoules multicolores délimitait le périmètre de la salle à manger du coin bar. Des chandelles étaient fixées dans des bougeoirs sur chaque table. Anne et Jade étaient déjà installées, et Yannis eut du mal à reconnaître cette dernière tellement elle riait, pliée en deux, partant dans un fou rire incontrôlable. Anne faisait le clown, le visage plissé par une grimace enfantine qui la rendait terriblement drôle. Jade n'en pouvait plus, s'étouffant presque. Un serveur s'approcha de Yannis. Il le précéda pour l'accompagner jusqu'à leur table, tout contre la balustrade.

- Et bien, les filles, on s'amuse comme des folles. Racontez-moi…

Toutes les deux levèrent vers lui deux minois rieurs, les yeux imprégnés de larmes.  Le serveur, avec un large sourire indulgent, passa la commande. Anne attendit qu'elle se soit éloignée pour raconter d'une voix saccadée, ayant du mal à parler tellement elle avait envie de rire :

- Je lui racontais comment une de mes amies avait été obligé de se cacher sous le lit de son amante alors que le mari cocu était revenu à l'improviste ! Elle y 'est restée toute la nuit !

Yannis grimaça un sourire contraint, sans rien dire. Bientôt, ils parlèrent vite de choses et d'autres, mais Yannis avait  le vague sentiment d'être vraiment en trop. Persuadée encore que sa femme le faisait exprès pour l'agacer et le défier. Après tout, il le méritait bien c'est lui qui l'avait poussé à se lancer dans ce petit jeu... Vexée, il se plongea dans la contemplation de la baie, avec toutes ses lumières qui scintillaient dans la nuit et se reflétaient dans l'océan. De nombreux bateaux mouillaient au large, d'autres sillonnaient la baie, petits points lumineux qui progressaient lentement dans l'immensité sombre, là où l'horizon et la mer se confondaient. Un mouvement sur sa droite lui fit tourner la tête. Le serveur acheminait Julien vers leur table. Ses compagnes l'aperçurent également et se levèrent en même temps que lui. Tous trois ne purent s'empêcher d'applaudir, rendant hommage à sa prestation de tout à l'heure. Julien les gratifia d'un sourire qui fendait son beau visage d'une oreille à l'autre. Il s'était changé, démaquillé, vêtu avec goût et raffinement. Il s'assit à côté de Yannis, ce qui se révéla un choix judicieux car Anne et Jade eurent vite fait de ne plus les calculer, penchées l'une vers l'autre en abordant mille sujets différents, comme si le reste du monde n'existait pas. Yannis se sentit malgré lui un peu jaloux. Écoutant à peine ce que lui disait son voisin...

Jade s'éveilla à huit heures. Elle n'avait pas fermé les rideaux de sa fenêtre de chambre, pour que les premiers rayons du soleil passant au-dessus des maisons voisines la tirent doucement du sommeil. Cela ne dérangeait pas son mari, profiter ainsi du peu de soleil, car comme beaucoup de maisons de village, entassées les unes sur les autres, la lumière se faisait rare.

S'étirant, elle émergea avec l'odeur du lait chaud et des croissants. Elle s'étira de nouveau longuement, avec un petit soupir d'aise. Puis mit une robe de chambre pour se rendre dans la cuisine, où l'attendait Yannis, déjà prêt. Comme d'habitude, il était habillé avec élégance, et il sentait bon. Elle l'embrassa sur les lèvres avant de s'installer devant le petit déjeuner qui l'attendait.

- Mmm... Tu me gâtes ce matin. En quel honneur ?

- A notre folle nuit. C’était très constructif.

- Ah ? se contenta t-elle de répondre.

L'air faussement détaché, elle trempa la viennoiserie dans le lait auquel elle avait ajouté un peu de cacao. Ne pouvant s'empêcher de repenser à leur soirée avec Anne, à sa disposition d'esprit quand elle se trouvait avec cette femme, enjouée, insouciante, débordante de gaieté, et elle comprenait cette humeur; elle la reconnut pour l'avoir jadis goûtée, elle aussi, au tout début avec Yannis, quand elle était littéralement sous son charme. Où l'on avait l'impression que la vie était belle, fascinante, qu'il y avait mille choses merveilleuses à découvrir, que le monde était plein de couleurs, de passion, de surprises et de nouveautés. Et si, malgré elle, Jade avait joué au début la carte de la provocation, pour titiller son macho de mari, elle devait reconnaitre que le courant avec Anne était très bien passé. Trop bien passé...

Elle remarqua que Yannis, resté debout face à elle, guettait sa réaction. Puis, à une sonnerie, il sortit son portable de la poche de son pantalon et le manipula nerveusement.

- Qu'y a-t-il ?

- C' est Anne. Un sms où elle dit qu'elle a passé un excellent moment passé en notre compagnie et qu'elle veut remettre ça. Samedi prochain. Elle nous propose d'aller en Discothèque, à Montpellier. C'est... c'est une boite homo.

Elle s’efforça de garder un visage serein en levant les yeux sur lui.

- Je ne pense pas que cela soit une bonne idée. C'est malsain. Et malhonnête. On se joue d'elle et c'est cruel.

Elle écrasait un croissant entre ses doigts sans s'en rendre compte, refoulant une bouffée de colère contre lui. Et contre elle-même. Qu'est-ce qui leur avait pris de se lancer dans une telle histoire ?

- Moi je crois qu'elle a le béguin pour toi ! se contenta t-il de répondre d'un ton sarcastique.

La bouche de Jade s'ouvrit toute grande et le sang reflua de son visage.

- Peut-être... Peut-être pas... Mais c'est dégueulasse de lui donner des illusions, on n'a pas à jouer avec les sentiments des autres.

Yannis sourit et hocha la tête d'un air entendu.

- Ok. C'est la dernière fois. La dernière nuit. Et après on arrête les frais. Je lui réponds d'accord pour samedi prochain.

Elle détourna les yeux, pour qu'il ne puisse pas lire ses sombres pensées. Elle se sentait faible. Et honteuse de ne pas se montrer plus ferme et convaincante. Avec l'intime conviction qu'elle avait envie au fond d'elle-même de revoir Anne, et que tous les deux s'aventuraient sur un terrain vraiment dangereux.

 

Le serveur semblait branché sur du 220 volt. Cabotin, virevoltant, il effectuait sur le bar un numéro acrobatique qui provoquait cris et encouragements. La foule était déchaînée, applaudissant à tout rompre pendant que l'employé sautait comme une puce excitée, préparant un cocktail sur le rythme trépidant d'une musique techno. En voilà un qui avait sans doute fantasmé sur Tom Cruise dans son film " Cocktail" ! Après une dernière pirouette, il sauta du bar et atterrit sur la piste de danse. Quelques modestes révérences devant les félicitations du public, et enfin il se diriga vers ses clients qui l'attendaient patiemment, riant et applaudissant.

Le cœur léger, Yannis commença à battre le tempo de la musique. Il avait une pêche d'enfer ! Le monde de la nuit avait été auparavant son univers avant qu'il ne s'assagisse dans sa vie de couple. Ici, il y' avait une ambiance du tonnerre, le "Scorpion Rouge" n'etant pas une boite mythique pour rien, et restait le lieu rêvé d'une jeunesse dorée, branchée et extravagante qui se battait pour avoir le privilège d'y pénétrer. Ici, on pouvait donner libre cours à toutes ses pulsions inavouables, dévoiler ses péchés mignons, avouer ses différences sans tabou, sans complexe. Dans cette spirale infernale où tournoyaient tous les genres et toutes les libertés,  les libidos les plus rares se mêlaient aux licences les plus effrénées. C'était le lieu de tous les charmes, toutes les voluptés. Le décor était à l'image des folies qui s'y déroulaient. Décor futuriste en métal, plastiques multicolores, couleurs fluorescentes et irréelles, tables en verre avec appliques dorées, tout était très tape à l'œil. Comme le personnel extravagant. Deux des serveurs, déguisés en drag queens, se la coulaient douce derrière un pilier en marbre, plus occupés à se remplir mutuellement la bouche de baisers enflammés au lieu de remplir les verres des clients.

Yannis leur jeta un coup d’œil amusé lorsque son attention se dirigea sur deux superbes femmes qui venaient à sa rencontre, d'une beauté différente mais si troublante que plusieurs femmes se tournèrent sur leur passage sans s'en cacher : Anne et Jade. Cette dernière avait fait des efforts vestimentaires qu'il ne pouvait qu'apprécier. Pas dans le luxe mais dans l'audace, un peu masculine. Un short en jean qui moulait à la perfection ses fesses cambrées, et mettait surtout en valeur ses jambes jambes racées, fines et galbées, des jambes qu'il adorait et qui le rendait fou. En haut, un petit débardeur sans manche, couleur jaune imprimée de paillettes, près du corps mais pas très moulant. Ses cheveux d'or étaient libres, sauvages et ébouriffés dans un enchevêtrement de boucles rebelles, lui donnant un air farouche et indomptable. Anne le surprenait tout autant, habillée avec une distinction audacieuse. Préférant au contraire un look féminin et ultra-sexy. Une courte robe d'une blancheur virginale épousait étroitement son corps admirablement proportionné, avec sur sa gorge nue le voile d'une dentelle transparente qui laissait apercevoir les pointes brunes de ses beaux seins. Elles revenaient de la piste, essoufflées et toutes rouges de confusion. Jade faisait bonne figure mais Yannis la connaissait trop bien.  Il la sentait mal à l'aise, elle n'était pas dans son milieu, jetant des coups d'œil inquiets tout autour d'elle comme si elle se retrouvait seule sur une planète aussi étrange qu'hostile. Pour la détendre, il lui adressa encore un compliment sur sa beauté, qu'elle accueillit avec un sourire nerveux. A Anne, par contre, il  glissa à l'oreille une remarque perfide :

 - Surveille bien ma femme, je ne voudrai pas qu'elle se fasse enlever par une lesbienne en chaleur !

 Elle fronça les sourcils en prenant un air contrarié. L'affection qu'il mit en la serrant dans ses bras démentit aussitôt ses paroles, elle s'en rendit compte, se détendit et lui sourit avec malice.

 - Méfie-toi, c'est peut-être moi qui va te l'enlever !

 

Elle se retourna pour enlacer Jade dans une étreinte faussement possessive. Le choc le cloua sur place. Non pas son geste théâtral mais ce que lui offrit la vue de dos. Le décolleté vertigineux qui descendait très bas en V jusqu'aux fesses était un régal pour les yeux, accentuant sa cambrure exceptionnelle. Anne n'avait jamais été aussi féminine et désirable, et une petite jalousie lui pinça le cœur en sachant que tous ses effets de séduction étaient destinés à sa propre femme. Il avait oublié combien Anne était une femme d'une remarquable beauté, et le trouble qu'il croisa une brève seconde  dans le regard de Jade, alors qu'elle la contemplait, lui fit supposer qu'il n'était pas le seul de cet avis. Son expression désemparée en disait long sur les incertitudes qui l'assaillaient. Face à Anne, Jade perdait toute contenance. Et Anne ne la lâchait pas d'une semelle, décourageant d'un regard assassin toutes les femmes qui s'approchaient d'un peu trop prés de son amie, et réussissant encore à briser la glace en la faisant rire. Brusquement, à une musique langoureuse, Yannis leva les yeux avec étonnement sur Anne qui venait d'inviter Jade à danser. C'était la série des slows, deux ou trois morceaux qui allaient se succéder, pas plus. Jade sembla perdue, hésitant à accepter. Quêtant du regard l'accord de son mari, qu'il donna d'un léger acquiescement.  Alors, sans attendre davantage, Anne lui prît fermement la main, l'obligeant à se lever à son tour, et la dirigea d'un pas décidé vers la piste de danse. Docile, Jade se laissait faire. 

Elles disparurent dans la foule, comme avalées par cette fourmilière asexuée et impénétrable qui grouillait tout autour.

Inquiet, il se leva à son tour, bousculant les gens qui lui barraient la route vers la piste. Tordant le cou pour apercevoir enfin sa femme et Anne qui, tendrement enlacées, s'étaient apparemment divinement accordées, ondulant lentement au même rythme. C'était Anne qui serrait sa partenaire contre elle, le visage enfoui dans son cou pour lui murmurer des mots doux à l'oreille. Elle la collait comme une ventouse, se frottant avec une sensualité brûlante, tout en continuant à échanger avec elle de tendres paroles. Yannis vit sa femme s'écarter un moment, agitant énergiquement la tête avec négation, secouant les épaules pour exprimer son désaccord. Grâce aux spots qui éclairaient épisodiquement la piste, il réussit à lire sur son visage une expression suppliante, les traits tendus. Elle semblait désemparée.  Mais l'obstination d'Anne semblait cette nuit à son apogée, il lui en fallait plus pour la décourager. Constatant que sa partenaire ne réagissait toujours pas comme elle le souhaitait, elle passa à l'étape supérieure. Ses mains remontèrent lentement pour se nouer derrière le cou de Jade, et elle se pencha en arrière, offrant sa poitrine, ondulant du bassin avec une souplesse enivrante, plaquant son pubis contre celui de sa partenaire. " Non, mais quelle garce ! " pensa Yannis avec fureur. Elle était littéralement en train de la draguer, aguicheuse et torride, en sachant très bien qu'il était dans les environs ! Quel culot !  Et son numéro de séduction était tout ce qu'il y' avait de plus lascif et dangereux, d'une redoutable efficacité. Jade, pour l'instant, semblait résister, mais son regard fixe et trouble qu'il apercevait  brièvement lui signalait qu'elle n'était pas complètement insensible aux assauts voluptueux de sa partenaire. Brusquement, il ne vit plus rien. Un grand maigrichon efféminé se planta devant lui, obstruant la vue, en équilibre du haut de ses 1m. 80 au moins, sans compter les escarpins interminables sur lesquels il était maladroitement juché.

 -Tu danses ?

 Il posait sur Yannis un regard bovin et inexpressif, avançant les lèvres dans une mimique aussi ridicule que provocante.

 - Non, merci.

Malgré sa nervosité, il resta courtois.

 

Déçu, son soupirant d'un soir pivota sur lui-même avec brusquerie, et s'éloigna avec la grâce d'un flamand rose. Yannis faisait un terrible effort sur lui-même pour garder la tête froide. Il avait  perdu les deux femmes de vue, elles se confondaient dans la masse compacte des danseurs. La piste était bondée de monde, encombrée de couples en train de faire quasiment l'amour sur place, avec un profond irrespect de toute pudeur. Ici, l'outrage aux mœurs était une définition totalement inconnue. Il avança, jouant des coudes, les cherchant du regard. Enfin, il sembla les distinguer. Il plissa les yeux, essayant de se concentrer sur le couple qui l'intéressait, les isolant de la foule mouvante. Et ses jambes faillirent le trahir, cédant sous son poids. Pris de vertige, il se rattrapa de justesse à un client qui manifesta bruyamment son mécontentement par un cri, le repoussant brusquement. Yannis tituba, évitant la chute par miracle. Le regard toujours braqué sur la scène inimaginable qui se déroulait devant lui.  Soudées l'une à l'autre, les deux femmes ne dansaient plus, trop occupées à s'embrasser passionnément. Une brève seconde, il entrevit leur bouche entrouverte qui se pressait amoureusement, et le ballet subtil de leurs langues qui se nouaient et se dénouaient avec une lenteur exaspérante, comme un film au ralenti, d'une intense sensualité. Hors d'haleine, Jade rejeta un instant  la tête en arrière, les yeux fermés. Anne ne lui laissa pas une seconde de répit. Elle l'embrassa dans le cou, glissa vers l'oreille gauche qu'elle lécha délicatement. Jade ouvrit soudainement les yeux, vivement surprise, et baissa le visage pour relancer sa complice d'un baiser affamé. Comme s'avouant vaincue et se jetant tête baissée dans les abîmes d'un plaisir défendu. Elle lui enserra la taille plus étroitement, et la voracité de sa bouche  trahissait la fièvre érotique qui venait de s'emparer d'elle. Il repensa soudain avec amertume au couplet de sa femme sur la bêtise de ce jeu stupide, son inutilité, sa morale sur toute absence d'arrières pensées concernant Anne, et cela lui arracha un cri douloureux. Elle n'avait vraiment pas prévu ce qui venait de lui tomber soudainement dessus, elle qui avait toujours tout planifier dans sa vie ! Ses sens endormis s'enflammaient et reprenaient vie brutalement, exacerbés par de nouvelles passions, mais ce n'était pas lui qui avait le privilège de la réveiller. Et s'il n'y prenait pas garde cela pouvait aller beaucoup plus loin qu'un simple flirt. Malgré sa colère, un fantasme brutal émergea dans son esprit en plein chaos, où sa tendre et douce épouse se libérait violemment d'envies trop longtemps enfouies, se lâchant dans un tourbillon de sexe effréné, réveillant sa vraie nature.  Une pensée coupable qui l'empêcha d'intervenir. Avait-il le droit de l'empêcher d'assouvir un fantasme si elle en avait réellement envie, boostant sa libido et repartant tous les deux sur un chemin sexuel plus audacieux et épanoui ? Une simple parenthèse dont ils refermeraient vite la page ? Où cela n'était-ce pas trop dangereux si Jade s'avérait une lesbienne refoulée pouvant enfin laisser libre cours à ses vraies pulsions ? Cruel dilemme...  Devant lui, Elles restaient accrochées l'une à l'autre comme des noyées, ivres de désir, inconscientes d'être bousculées par d'autres couples de sexe identique. Elles ne pouvaient pas le voir, trop de monde, et persuadées que cette barrière humaine les protégeait de toute façon. L'arrêt brutal du slow rompit le charme, le changement de rythme qui vira à la techno saccadée sembla sortir Jade de sa torpeur. Elle recula en arrière, vacilla un instant, puis s'éloigna en titubant, la main sur le cœur, éperdue comme une biche aux abois. Anne, paniquée, la perdit de vue. Jade, au bord de l'évanouissement, s'appuya contre un pilier, la bouche grande ouverte, la poitrine se soulevant énergiquement au rythme de sa respiration oppressée. Sans intervenir, malgré lui soulagé de sa fuite, il devina son sentiment de solitude, de désarroi, qui vous laisse abandonnée, perdue, à la merci de passions si bouleversantes que l'on ne comprend plus ce qui nous arrive. Il eut pitié d'elle, il l'aimait trop pour lui en vouloir, et tout ceci n'était-ce pas de sa faute ? Ragaillardi par une situation qui redevenait gérable, alors qu'elle échappait à tout contrôle quelques minutes auparavant, il commença à se diriger dans sa direction. Pour lui dire de rentrer. Qu'il l'aimait. Qu'ils arrêtaient ce jeu stupide dans l'immédiat pour reprendre leur vie normale. Mais un couple de femmes se tenant la main et riant à gorge déployée lui barra le chemin. Paniqué, il vit Anne foncer sur Jade, établir définitivement sa propriété en la prenant par la main, d'un geste possessif, et l'emporter vers le fond de la salle. Jade ne manifestait aucune résistance, et se laissait docilement guider. Pourtant, une certaine nervosité la gagna quand Anne, soudainement, l'immobilisa en face d'elle, portant ses doigts dans sa bouche, et les suçant avec une gourmandise fébrile et sensuelle, sans la quitter des yeux, lui faisant comprendre dans ce simple geste d'une redoutable volupté que la suite serait beaucoup plus brûlante. Des promesses d'extase infinie... Un avant-goût des réjouissances qui l'attendaient... Jade ouvrit la bouche, comme estomaquée. Puis, de nouveau, elles semblèrent se volatiliser, comme si la foule les protégeait, complice d'un amour naissant. Là, Yannis frôlait la syncope, au bord de la panique totale. Si Anne arrivait à ses fins, coucher avec Jade, il risquait de perdre sa femme à jamais, car elle risquait de ne pas s'en remettre. Elle n'était pas de taille à lutter contre les assauts aussi experts que déchaînés d'une autre femme, surtout si c'était de sa part un désir inavoué.  Au lit, aucun doute que Anne devait être une gourmande déchaînée, difficile à rassasier. Pour plaire et s'attacher l'affection de sa partenaire, elle sortirait le grand jeu, le très grand jeu, celui qui marque et perturbe pour toujours.

Sans se retenir, pris d'affolement, il poussa un cri de bête désespéré. Puissant et déchirant. Qui se perdit dans le vacarme assourdissant...

Jade eut du mal à réaliser ce qui lui arrivait lorsque Anne se jeta dans ses bras, se lovant souplement contre elle, cherchant sa bouche pour en prendre possession avec une soudaine brusquerie. Elle se retrouva écrasée contre une banquette, et poussa un petit cri

 - Anne, je ne peux pas, tout va trop vite !

Cette fois-ci, elle refusa le baiser, détournant la tête. Vite, Anne lui attrapa le menton, lui ramenant le visage vers le sien. Leurs lèvres se touchaient presque, elle perçut son souffle sur son visage. Cette fois-ci, c'est avec douceur que Anne l'attira à elle, promenant une langue frétillante sur sa bouche close. Jade se laissa faire, sans répondre à ses provocations. Les yeux fixes, elle la regardait intensément avec une lueur trouble et insondable. Elle entrouvrit les lèvres pour haleter :

- Mon mari pourrait nous voir, c'est mal !

- On s'en fout ! Et c'est bien ce qu'il voulait de toute façon, j'ai vite compris, il a tout fait pour me jeter dans tes bras !

Abasourdie, Jade n'eut pas la force de répliquer ou protester. A quoi bon... S'enfoncer davantage dans le mensonge ? Elle était si peu fière de ses manigances avec son mari, et tout cela était un juste retour du bâton, le prix à payer pour se laisser prendre à son tour dans son propre piège.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

-" Non, Claire, elle n'était pas seule."

 

 

 

La détresse qui assombrit ses traits me fait de la peine. Elle détourne vite le regard, se mord les lèvres jusqu'au sang, essayant de refouler ses émotions. Elle y parvient non sans mal. Je la contemple en silence. Claire est vraiment attirante dans son pantalon extensible qui moule comme une seconde peau ses formes affriolantes, avec de larges fentes aux bas des jambes qui dévoilent juste comme il faut le doré velouté d'une chair hâlée. En haut, un simple bustier de couleur noir, avec bretelles réglables amovibles, fermé devant par de petites agrafes qui peinent à contenir deux seins fermes et épanouis.

 

 

 

-" Anne en aime une autre, Claire, il faut que tu l'oublies."

 

 

 

Son petit nez retroussé se plisse de chagrin, et son adorable visage parsemé de tâches de rousseur semble perdre de ses couleurs.

 

 

 

J'ai déjà eu une brève discussion avec elle, après les événement qui ont transformé sa vie sexuelle. Je lui ai fait comprendre qu'elle n'avait aucune chance avec Sandra, ce qu'elle a très bien accepté. Son intérêt pour Anne s'est alors accrût, et je n'ai rien fait pour l'encourager ou la décourager, cela n'était pas de mon ressort. Cet intérêt s'est voué en véritable amour, mais malheureusement plus partagé par ma meilleure amie qui ne lui a jamais pardonné sa faiblesse. Que de complications pour rien ! J'en suis là de mes pensées lorsque je vois réapparaître Anne et Mylène. Cette dernière est tout chose, collée amoureusement à sa nouvelle amie. Apparemment, elle a eu un avant goût de ce que pouvaient être les amours homosexuelles, avec l'impatience d'aller jusqu'au bout et la certitude que ce serait complètement différent de tout ce qu'elle avait pu connaître jusque-là. Elles forment un beau couple, mais Claire ne partagerait pas cette opinion, elle en aurait le cœur brisé. Je n'ai aucune envie de la ramasser à la petite cuillère, j'en ai marre d'assister à des effusions tragiques, ces derniers jours j'ai eu mon compte de cris, de pleurs et de chagrins. Je dois éviter qu'elle ne les voit, détourner son attention. J'agis vite, un acte irréfléchi, impulsif, qui me traverse l'esprit dans un éclair de folie.

 

 

 

-" Excuse-moi, je n'aurai pas dû… Restons-en là, tu as raison, nous sommes juste des amies et…"

 

 

 

 

 

 

 

-" Christelle, allons chez toi, je veux te faire l'amour toute la nuit."

 

 

 

Comment dire non à une telle invitation ? Elle aussi vient de me donner un avant-goût des réjouissances qui m'attendent, sauf que contrairement à Myléne je ne suis plus novice en la matière. Ce serait pure folie de rentre seule à la maison. Après tout, rien ne m'en empêche. Ma rupture avec Michèle est presque officielle, bien qu'elle fasse tout pour la repousser. Et Mélanie est depuis deux jours pratiquement indisponible, accaparée par son mari qui se fait plus que jamais présent à la maison, inquiet de ses comportements étranges. Et demain c'est le grand retour de leurs enfants, autant dire qu'elle sera prise en otage pendant un bon bout de temps. Je ne préfère pas y penser, cette indisponibilité me met hors de moi, il va falloir que je prenne une décision, aussi difficile soit- elle. Je laisse Claire se lever avant de me mettre debout. Tout autour de nous, les banquettes en Skaï se sont remplies, disparaissant sous les couples emmêlés. Jean-François s'est volatilisé, et je ne vois plus Julie et Stéphanie. C'est le cadet de mes soucis, la façon impatiente dont Claire se charge de me mener vers la sortie me fait penser à d'autres priorités. La nuit promet d'être longue et agitée…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-

 

 

 

Le Coupé Sport négocie les virages à vive allure, répondant à la perfection à chacun de ses gestes. Christelle laisse derrière elle le village de Tourrette-sur-Loup sur son éperon rocheux. Ses vieilles maisons soudées les unes aux autres telles un rempart naturel prennent des jolies couleurs ocres, baignées des dernières lueurs du soleil couchant. Les Gorges du Loup sont toujours rapidement plongées dans l’obscurité. Elle accélère davantage, comme si elle cherchait à fuir la nuit qui déploie son ombre, et double avec insolence une  antique GS qui lui barre la route. Elle est grisée par la vitesse, ayant toujours pris plaisir à conduire comme un homme.
Elle aime sentir la mécanique lui obéir, le doux ronflement du moteur qui s'emballe lorsqu'elle pousse les régimes, choisir le bon moment de changer de vitesse, de rétrograder, de freiner, ne faisant qu'un avec son véhicule.

Christelle entre dans Grasse lorsque son portable se met à sonner. C'est Anne, sa meilleure amie.

 

-     Alors, raconte ? C'était comment avec ta jolie rousse ?

 

-     Une rousse, quelle rousse ?

 

-     Une dénommée Michèle. Tu sais très bien de qui je parle. Ne te moque pas de moi, j'étais là lorsque tu lui as fait ton grand numéro à la Casanova au féminin, mais en plus redoutable ! J'étais toujours là lorsque tu l'as embarquée à l'étage. Alors, t'as conclue, oui ou non ?"

 

-     Cela dépend de ce que tu entends par conclure.

 

-     Christelle, arrête de jouer avec mes nerfs ! Allez, dis-moi tout, tu me fais mourir d'impatience…

 

Christelle rit aux éclats, incapable de se retenir plus longtemps. Cela l'amuse de la faire languir, Anne a toujours été curieuse, à l'affût du plus petit potin. Elle insiste :

 

-     Il en faut plus pour me décourager, je finirai bien par connaître le fin mot de l'histoire ! Je t'aurai à l'usure, je te préviens…

 

Pour ça, elle lui fait confiance.

 

-     Anne, tu vas te faire du mal à force de toujours vouloir vivre par procuration.

 

-     T'inquiète, je gère.

 

-     Bon, tu l'auras voulu. Oui, j'ai  réussi à coucher avec elle. Et c'était géant !

 

-     C'est tout ! Je veux des détails, tu ne crois tout de même pas que tu vas t'en tirer à si bon compte… On ne doit rien cacher à Anne, sa meilleure amie, sa confidente, sa sœur de sang, sa…

 

-     Stop ! Tu as gagné, je te dirai tout. On a baisé comme des folles, non-stop pendant deux heures. On a tout fait, sauf introduction de corps étrangers, mais là ce n'est que partie remise…  Pour une hétéro, elle a diablement bien assurer.

 

-     Une hétéro ! Cette race là existe encore ?

 

-     Elle est en voie de disparition, mais heureusement pour nous qu'il existe encore quelques brebis égarées à remettre sur le droit chemin. Michèle est prête maintenant à renier tous ses principes d'hétérosexuelle convaincue. La preuve est qu'on a remis ça ce matin et c'était encore mieux que la première fois.

 

-     C'est toi qui l'as appelée ?

 

-     Anne, depuis le temps qu'on se connaît tu n'as toujours pas compris comment je fonctionnais ? Tu sais très bien que je ne rappelle jamais mes conquêtes, ce sont à elles de faire le premier pas si elles souhaitent reprendre une partie de jambes en l'air !

 

-     Excuse-moi, j'avais oublié… Ou plutôt j'ai eu espoir un instant que quelques sentiments viennent altérer ton jugement. A force de  papillonner et de t'étourdir d'une fille à l'autre, tu finiras bien un jour par t'y brûler les ailes, et à tomber amoureuse ! N'oublie pas que tu ne resteras pas  belle éternellement, le poids des années va provoquer quelques désagréments sur ton joli minois et ta ravissante silhouette, tu regretteras amèrement de ne pas finir tes vieux jours en charmante compagnie !

 

-     Merci, mais je n'en suis pas encore là, j'ai du temps devant moi…  Mais si j'avais à faire un choix, il est vrai que Michèle figurerait en bonne place dans mon classement, je la positionne dans mes dix meilleurs coups, c'est tout à son honneur ! Pour l'amour, on attendra encore un peu…

 

-     C'est déjà un début. En tout cas elle en a mis du temps à se laisser convaincre. Franchement je n'y croyais plus, elle s'est fait désirer.

 

-     Justement, c'est ça qui est excitant. J'aime les défis et Michèle valait réellement la peine que je m'occupe de son cas.

 

-     Tout de même, tu exagères ! Oser t’attaquer à elle alors que son mari traînait dans les environs ! Ce ne sont pas les scrupules qui t'étouffent, tu es la lesbienne la plus immorale que je connaisse ! Je me demande comment tu peux être encore ma meilleure amie ?

 

-     Parce que je suis ta seule amie !

 

Anne s'étrangle de rire. Elle a du mal à reprendre leur conversation.

 

-     Enfin, tu as obtenu ce que tu voulais, comme d'habitude… Et tu as fais plus d'une envieuse lorsque tu es partie avec elle main dans la main. Si tu avais vu la tête des copines !"

 

Christelle retient à peine un sourire satisfait. Elle vient d'établir encore une fois sa réputation de séductrice irrésistible. La vie est belle, merveilleuse. Elle se sent vivante comme jamais elle ne l'a été. Le souvenir de ses récents ébats amoureux  lui procure un frisson voluptueux. Elle dévore des yeux une jolie jeune femme qui marche sur le trottoir et elle a une soudaine envie de lui hurler sa joie, son bonheur, et surtout son amour pour les femmes. La voix d'Anne lui refait toucher terre.

 

-      Tu vas la revoir ? Parle-moi d'elle…

 

-     Désolée, mais on n'a pas eu trop le temps d'engager la conversation. Tout ce que je peux t'affirmer c'est que Michèle est une vraie rousse, que je serai apparemment sa première expérience lesbienne mais cela est à mettre au conditionnel, qu'elle a un coté mystérieux qui m'attire beaucoup, et enfin que son mari semble être un sale type très jaloux. C'est tout ce que je sais sur elle pour l'instant, cela me suffit amplement.

 

-     C'est déjà beaucoup, tu progresses. Avant c'est tout juste si tu te souvenais de leur prénom. Tu vois, tu t'attendris avec l'âge, j'ai raison de penser que ton cas n'est pas aussi désespéré que l'on peut l'imaginer.

 

-     C'est ça, moque-toi, rigole tant que tu peux, mais c'est pas aujourd'hui que je vais changer ! Michèle est différente des autres femmes que j'ai levé, elle a un petit truc en plus, et c'est tout, ça s'arrête là !

 

Elle préfère crever plutôt que d'avouer son petit faible pour Michèle. C'est spontanément qu'elle est allée vers elle, avec la ferme décision de l'entraîner dans son lit et faire fondre de volupté ce joli petit visage si énigmatique. Elle a usé de toute sa séduction pour la troubler, pour la faire rire, un rire radieux qui avait quelque chose de mélancolique, de douloureux. Christelle n'a peur ni honte de rien, et c'est donc sans la moindre hésitation qu'elle lui a donné un carton d'invitation pour une soirée grandiose qu'organisait Sandra, rock star maudite et scandaleuse, pour l’anniversaire de son frère. Christelle a vite dévoilé ses véritables intentions, n’hésitant pas une seconde lorsque Michèle lui a demandé, avec une pointe d'ironie, s'il était possible d'avoir une deuxième invitation pour son mari ! Christelle ne s’est pas dégonflée. Les hommes ne lui ont jamais fait peur, ils stimulent au contraire son désir, il n'y a rien de plus exaltant que réussir à souffler une femme à son mari ! Quel défi, quel pouvoir, cela met du piquant au jeu de la séduction ! Et avec celui-ci elle n'eut aucun remords à le faire cocu, l'ayant d'emblée trouvé imbu de sa personne, gonflé d'orgueil, avec un gros problème d'ego à régler d'urgence avant d'exploser ! A la soirée, elle s'est donc débarrassée du mari encombrant, avec la complicité d’amis homos qui se sont empressés de  le divertir pendant qu'elle s'occupait de sa charmante femme. Michèle a fini par succomber à ses avances, avec toutefois certaines réserves. Elle semblait déroutée, un mélange de fascination, d'excitation et de peur aussi… Il lui a fallu plusieurs heures pour briser cette crainte, la mettre en confiance, et l'alcool aidant elle l'a sentie faiblir peu à peu. Le départ du mari, embarqué de force par ses amis pour une virée nocturne, fut pour Christelle un grand soulagement, et pour Michèle aussi puisqu'elle accepta enfin d’aller jusqu’au bout.

 Elle évite la catastrophe de justesse. Sur son portable Anne continue de parler :

 

-     ...Une chance incroyable, peut-être la plus belle de tes conquêtes.

 

-     Comment ?

 

-     Je disais que tu avais une chance incroyable, que cette superbe rousse est sans aucun doute la plus jolie femme que tu as réussie à lever… La plus belle après moi évidemment… Elle vient en seconde position n'est ce pas ?

 

Christelle rit de bon cœur. Anne a été sa maîtresse durant presque un an, et cela avant d'être sa meilleure amie. Elle a été son premier amour, celui que l'on n'oublie jamais. Elle garde de cette liaison un excellent souvenir, sans amertume. Il est vrai aussi qu'elle peut compter dans les plus belles de ses ex, mais elle ne peut tout de même pas rivaliser avec Michèle. Elle le sait parfaitement, et c'est avec humour qu'elle  lui répond :

 

-     Bien sûr que tu es et resteras la plus parfaite de mes aventures. Tous les matins, devant la glace, je pose cette question cruciale : ô miroir magique, dis-moi qui fut la plus jolie de mes conquêtes ?

 

-     Et au miroir de te répondre : elle s'appelle Anne, 38 ans, jolie, tendre et câline, célibataire, cherchant désespérément âme sœur pour amitié et plus si affinités…"

 

Elles éclatent de rire toutes les deux. Christelle braque brusquement en réalisant qu'elle doit bifurquer à gauche. Derrière elle retentit un coup de Klaxon furieux. Elle lève  la main pour s'excuser. Elle quitte Grasse, la cité des parfums, et peut enfin accélérer en prenant la N.85 qui, après avoir traversée Mouans Sartoux et Mougins, la mène à Le Cannet et ses inévitables embouteillages, jusqu'à Cannes. Entre-temps elle n'a pas cessé de discuter avec Anne, celle-ci est toujours aussi bavarde, partant dans des envolées lyriques avec cet humour et cette impertinence qui n’appartiennent qu’à elle. Leur conversation prend une tournure plus grave lorsque Anne lui soumet son désir de déménager dans les plus brefs délais.

 

-     Tu comprends, depuis mon célibat certains voisins ne se gênent plus pour me regarder d'un sale œil. Laure leur faisait peur, mais maintenant elle n'est plus là… Hier un jeune du quartier m'a traité de sale gouine en haussant le ton, suffisamment fort pour que tout le voisinage l’entende !

 

Il est étrange de constater que dans les milieux défavorisés les homos sont souvent confrontés au rejet. Les gens y sont mesquins et cruels. Cette intolérance n'a pas cours dans le monde qu'elle côtoie, au contraire il est courant qu'on la trouve "fun" ou branchée parce qu'elle a toujours affiché son homosexualité sans le moindre complexe. Elle est acceptée et appréciée, jamais on a remis en cause ses préférences sexuelles. Anne n'a pas cette chance, souvent jetée en pâture, affrontant seule l'hostilité et le regard méprisant  de ses voisins. C'est pour cette raison qu'elle fréquente principalement le cercle homo, le seul endroit où elle se sent réellement à sa place, où on l'accepte telle qu'elle est, et Anne n'en demande pas davantage pour être rassurée et avoir l’impression d’être heureuse. Son problème de logement lui fait mal au cœur et elle lui propose aussitôt son aide. Ce n'est pas la première fois, elle est venue à son secours le mois dernier, engageant un plombier avec urgence. Une importante fuite d'eau avait ravagé sa salle de bain et Anne, toujours prise à la gorge par des problèmes financiers, n'avait pas les moyens de faire les réparations nécessaires.

 

-     Si tu as besoin d'argent pour changer d'appartement, n'hésites pas…Tu sais que tu peux toujours compter sur moi en cas de coup dur.

 

-     Je sais, tu es une vraie amie, la meilleure…

 

Sa voix s'étrangle, Christelle la sait suffisamment émotive pour être au bord des larmes. Anne se racle la gorge et reprend sur un ton normal :

 

-" Bon, il faut que je te laisse, j'ai du travail qui m'attend. Bisous."

 

-" Bisous."

Christelle s'est toujours fait du souci pour Anne, elle est si fragile. C'est une écorchée vive, qui a du mal à surmonter ses peines de cœur et ses angoisses. Elle se remet doucement et difficilement de sa rupture avec Laure, et pour cela a ressenti le besoin de suivre une psychanalyse pendant six mois environ, ce qui lui a fait un bien fou. Christelle est décidée à l'aider malgré elle, à sa façon, en l'encourageant d'abord à quitter ce sinistre quartier qui ne peut que lui rappeler de mauvais souvenirs. Elle  cesse de penser à Anne lorsqu’elle arrive dans le centre ville, prenant le temps de tout observer autour d'elle. Elle ralentit l'allure, contemplative et émue. Elle adore Cannes, le charme opère toujours. C'est une ville pittoresque, sophistiquée, glamour, la ville de tous les plaisirs, de tous les excès… Palaces, Rolls, Casinos, Hôtels somptueux,  c'est cette facette luxueuse qui l'éblouit et l'attire. Des boutiques prestigieuses aux enseignes renommées brillent de mille feux, et tel un papillon de nuit elle s'y précipite aveuglement. Ces magasins hors de prix sont inaccessibles pour beaucoup, mais pas pour sa bourse. Depuis quinze ans elle gagne très confortablement sa vie   et dépense donc sans compter. C'est pour elle un besoin absolu de liberté, une revanche sociale qui la sécurise et lui fait oublier une enfance précaire. Chaque jour qui passe lui fait apprécier davantage cette indépendance si difficilement acquise. L'un de ses divins plaisirs est le shopping, acheter des vêtements de marque et des parfums  coûteux  lui procure  une joie infinie, confirme sa réussite. Elle avoue être dépensière, flambeuse, un brin frimeuse. Aussi, dans deux magasins différents elle craque littéralement. Dans l'un elle achète un Trench imprimé léopard en soie, et un jean ajouré rebrodé de perles. Mais un coup d'oeil sur sa montre la rappelle à l'ordre. Il ne lui reste plus que quinze minutes. 

Elle sort du magasin avec ses achats  lorsque son téléphone se met à sonner.

-     Christelle, tu ne devineras jamais la nouvelle ?

Sandra est tellement surexcitée que sa voix stridente lui déchire les tympans.

Christelle lance sur un ton monocorde :

-     Claire et toi allez vivre heureuses et avoir beaucoup d'enfants…

( Lire l'histoire précédante )

-    Comme tu es bête ! Mais non, idiote, mais on s'est revue deux fois déjà. Cette femme est accroc de sexe et de femme, et tout ça grâce à mes petits talents incomparables  ! C'est qui la meilleure ?

L'énergie de Sandra la fatigue, elle y met fin aussi sec.

-     C'est bien beau tout ça, mais si tu me parlais plutôt des conséquences de tes actes ? J'espère que tu as conscience d'avoir brisé un couple, et d'une manière pas très propre !

-     Elle en mourrait d'envie, je n'ai fait qu'assouvir ses fantasmes. Si on ne peut plus se rendre des services entre copines, où va le monde ? Maintenant qu'elle a satisfait sa curiosité, rien ne l'empêche de faire comme si de rien n'était. Entre deux galipettes en hommage à Lesbos, rien ne l'empêche de regagner le domicile conjugal, redevenir la femme bien sage et l'épouse modèle toute dévouée à son mari. Et qui sait, cette expérience va peut-être les rapprocher par la suite ! Si elle daigne rentrer chez elle...

-     Attends, ne me dis pas qu'elle est partie ! Merde,  qu'est-ce qu'il s'est passé après mon départ ?

-     Il faut que je te raconte. Je suis restée toute la nuit avec Claire. Par contre, j'ai dû fermer la porte de la chambre à clef. Pas à cause de Laure qui passait son temps à mâter, mais à cause de Fabrice qui est venu pleurnicher au pas de la porte. Si tu l'avais entendu gémir et couiner comme un chiot malheureux, c'était pathétique ! Puis après il s'est énervé, l'a insulté en la traitant de tous les noms, salope, traînée, j'en passe… Et après il s'excusait, la suppliait de lui pardonner. Il était grotesque.

-     Ou tout simplement désespérément amoureux, non ? Et Claire ?

-     Après nos galipettes, elle a eu des remords, et surtout elle en a voulu à Fabrice d'avoir encouragé cette situation. J'ai appris ce matin de sa bouche qu'elle l'avait quitté. Elle était super remontée contre lui. Mais, comme je te l'ai dit, cette séparation est sans aucun doute provisoire, et peut-être bénéfique au final. C'est dans les épreuves que les liens se resserrent."

Dans ce cas là, Christelle en doute, mais s'étaler sur ce sujet avec Sandra serait une perte de temps.

-     Bon, on verra bien. J'essaierai de parler à Claire. Et toi, tu ne t'en mêles plus, tu as assez fait de dégâts comme ça ! Tu la laisses tranquille, pas touche !

-     Je ne te promets rien car c'est elle qui revient à la charge. Comme si elle se redécouvrait sexuellement. Ce matin, c'était hyper torride ! Elle ne m'a rien refusée la cochonne, introduction de bananes par devant comme par derrière, et pour finir un incroyable fisting, tout était bon pour elle. Tu veux les détails ?

-     Non, inutile. Allez, à plus... 

Elle coupe la communication à l'instant même où elle arrive sur le parking du restaurant.

 

 

-" Excuse-moi, Julien, je viens d'apercevoir une amie. J'en ai pas pour longtemps."

 

Anne et Myléne sont si absorbées par leur conversation qu'elles n'ont même pas conscience que je les abandonne. Je plains Julien, il va savoir ce que c'est que de tenir la chandelle.

 

-" Bonsoir, Salma."

 

Elle lève vers moi un visage indifférent. Si elle est surprise par ma présence, elle n'en montre rien, affichant juste un petit air ennuyé qui la rend si altière.

 

-" Christelle ? Ne me dis pas que c'est une coïncidence, je ne te croirai pas."

 

-" Si, je t'assure. Le hasard fait toujours bien les choses."

 

-" Surtout si on force la chance… Enfin, maintenant que tu es là, vas-y, assieds-toi."

 

-" Merci."

 

Je dégage une chaise et m'installe en face d'elle. Une certaine contrariété se lit sur son visage aux lèvres serrées tandis qu'elle ne me quitte pas des yeux. Je la sens sur la défensive, ce que je comprends tout à fait. Je lui souris avec bienveillance.

 

-" Salma, je ne viens pas en ennemie, rassure-toi. Je tenais à m'excuser pour ce qui s'est passé la derniére fois, je me suis emportée, le ton est monté, j'ai été stupide… Je regrette sincèrement."

 

Elle m'observe en coin, avec méfiance. Elle hésite à engager les hostilités.

 

-" Christelle, j'ai du mal à te croire. J'ai appris à te connaître, et je ne me berce plus d'illusions à ton sujet. Avec toi, rien n'est gratuit. Que veux-tu exactement ?"

 

-" Rien, excepté repartir sur de nouvelles bases et gagner ton amitié. Je ne veux rien d'autre, et surtout pas me bagarrer."

 

Elle s'adoucit, un petit sourire étire même ses lèvres sensuelles. Dans le regard de ses yeux bleus profonds, je vois même passer une lueur chaleureuse qui était absente un instant auparavant.

 

-" Tu sais, Christelle, l'ironie du sort est que je ne devrais même pas t'en vouloir, bien au contraire… Je ne pense pas que tes intention étaient louables lorsque tu m'as séduite, mais involontairement tu m'as rendue un fier service. J'ai réalisé que mon destin était ailleurs, et je suis en train de concrétiser tous mes rêves. C'est un peu grâce à toi."

 

-" C'est génial, j'en suis très heureuse ! Mais qui te dit que mes actes étaient irréfléchis ou purement égoïstes ? Rien de ce que j'ai fais avec toi n'était involontaire. Je savais que tu allais gâcher ta vie, et je voulais te faire ouvrir les yeux. En te mariant, tu allais te laisser happer par l'intégrisme, et glisser vers  la soumission la plus totale, où tu aurais tout perdu, ta liberté, ta dignité… Ton mari aurait utilisé la religion pour justifier ses privilèges, interprétant l'islam à sa sauce pour violer tous tes droits et légitimer tous les siens. Je ne peux accepter ce genre d'inégalité, c'est plus fort que moi, il faut que je m'en mêle ! J'ai certainement été ensuite maladroite, mais l'essentiel est que tu aies pris conscience de tout cela. J'ai atteint mon but, j'en suis contente, j'ai devant moi une femme affranchie, cela fait plaisir à voir."

 

Elle se déride complètement, rejetant la tête en arrière pour partir d'un rire frais, dévoilant des dents blanches et parfaites.

 

-" Christelle, t'es unique !"

 

-" Je sais, je sais… Je n'aurai de repos que lorsque j'aurai libéré le maximum de femme du joug masculin, j'ai une mission divine, me dresser seule contre l'oppression des hommes, barrer la route aux injustices, vous sortir de la cage dorée dans laquelle le mariage vous a enfermé. Je vole aux secours des belles en danger, les emporte sur mon fier destrier avant qu'elles ne soient définitivement perdues. C'est là un combat difficile, inégal, que peu de personnes comprennent, mais te voir cette nuit, heureuse, indépendante, et surtout reconnaissante de mes efforts, est la consécration de toute une vie, de tous mes idéaux. Tu es la preuve vivante que ma lutte n'est pas vaine, que tous les espoirs sont permis."

 

Elle éclate de rire. Plus sérieusement, je reprends :

 

-" Non, la vérité est ailleurs, je ne supporte pas que la plupart des femmes ignorent toujours ce qu'est le plaisir absolu parce que leur nul de mec n'y connaît rien ! Oui, c'est ça qui me met en rogne, ça me rend folle de rage !"

 

-" Et bien tu pourras toujours me citer comme référence dans ton C.V. Je confirme en effet, je n'ai jamais autant pris mon pied avec une femme, c'était extraordinaire !"

 

Nous rions ensemble. Je suis heureuse de renouer des liens que je croyais définitivement perdus. Salma est une femme que j'admire, pour de nombreuses raisons. Je ne désespère pas, après avoir regagné sa confiance, d'aller au-delà d'une simple amitié. Avec elle, je suis partante, c'est quand elle veut et où elle veut ! Pour l'instant, j'ai obtenu ce que je voulais, c'est un premier pas dont je ne suis pas mécontente. Etrangement, je continue d'entretenir des relations amicales avec beaucoup de femmes avec qui j'ai couchées, peu me tiennent rigueur de mes méthodes brusques lorsque j'ai décidé de rompre. Cela, je ne me l'explique pas, car à leur place je m'en serai voulu à mort !

 

-" Alors, Salma, parle-moi un peu de toi, de tes projets, de ta nouvelle vie pour laquelle je suis tant responsable !"

 

-" Comme je te l'ai dit, tout va bien. C'est un nouveau départ qui démarre sur les chapeaux de roue.  Je me suis entourée de vrais professionnels qui ont élaboré un vrai plan de carrière, misant surtout sur la qualité et la continuité. Tu sais, dans ce métier, le plus difficile n'est pas d'arriver au sommet, mais d'y rester. C'est bien parti pour. Mon single s'est vendu aux Etats Unis à plus de 900 000 exemplaires, et maintenant on va tenter de conquérir l'Europe. Je reviens de Paris, j'ai enregistré mon tube, attends-toi à l'entendre bientôt sur toutes les ondes. Crois-moi, je suis partie pour durer, rien ne peut plus m'arrêter !"

 

Elle déborde d'enthousiasme pour sa carrière professionnelle. Une  pensée vient toutefois gâcher son plaisir. Ses beaux yeux s'assombrissent.

 

-" Je ne suis pas ici de gaieté de cœur. J'aurais préféré prendre des vacances, surtout que j'ai une rentrée surbookée, je n'aurais plus une minute de repos jusqu'à la fin de l'année. Enfin, on ne fait pas toujours ce qui nous plaît dans la vie…"

 

Elle accompagne cette dernière phrase d'un long soupir fatidique.

 

-" Je présume que ta famille n'est pas au courant de ton retour ?"

 

Elle roule de gros yeux effrayés.

 

-" T'es folle ou quoi ! Ce serait signer ma peine de mort ! Ils me lapideraient sur place ! Au fait, j'espère que ma famille ne t'as pas causé trop d'ennuis, il leur faut toujours un responsable pour justifier leur malheur et laver sans faute le déshonneur, ces fanatiques sont capables de tout !"

 

J'ai du mal à retenir le sourire qui me vient aux lèvres. Intriguée, Salma me dévisage sans comprendre. Je me lève, sans me départir de ce léger sourire énigmatique.

 

-" Bon, je ne vais pas te déranger davantage. Je suis juste venue boire un coup avec quelques amis, je vais les retrouver. Dis-moi, demain matin, t'es libre ?"

 

-" Je peux toujours me libérer, cela dépend pourquoi."

 

-" Je voudrai te faire une surprise, une bonne surprise. Pour te prouver mes bonnes intentions, et pour me faire pardonner surtout."

 

-" Holà, avec toi j'ai appris à me méfier !"

 

-" Ne crains rien, tu peux me faire confiance. Je viens te chercher ici, disons à neuf heures si cela te convient."

 

-" D'accord."

 

-" Alors à demain. Et mets une tenue sportive, il faudra marcher un peu."

 

Sa curiosité est à son comble alors que je la laisse pour retrouver mes amis. Myléne est debout, prête à partir.

 

-" Désolée, il se fait déjà tard. J'ai pas mal de boulot qui m'attend demain"

 

Elle me prend brièvement à part.

 

-" Grâce à Aziz, la police a retrouvé la planque de tes agresseurs, un squat minable. Il leur a été facile de les identifier, la piste les a mené jusqu'à un groupuscule d'extrême droite qui prêche la haine et la violence, ce dont on se doutait bien évidemment. Le leader a été interrogé, mais il a clamé son innocence, jurant que la bande que nous cherchions avait été renvoyée avec perte et fracas, sous prétexte qu'ils étaient devenus incontrôlables, avec des instincts plus meurtriers que les autres. Cette information a été vérifiée, et malheureusement confirmée. Nous avons donc affaire à des fascistes totalement autonomes, qui ne répondent à aucune autorité, ce qui ne va pas faciliter les recherches. Je suis désolée, mais la piste s'arrête là pour l'instant, ils se sont littéralement volatilisés, l'enquête piétine. Mais crois-moi,  je ne lâcherai pas le morceau, même un pit-bull n'a pas mon mordant "

 

-" Je sais. N'hésite pas à m'appeler si tu as des nouvelles, jour et nuit. Je n'aurai de repos que lorsque ces ordures auront été interpellés, jugés et condamnés."

 

-" Pour ça, tu peux compter sur moi."

 

Myléne se tourne vers mes amis. Anne lève sur elle un visage attristé. Son désarroi me fait mal au cœur. C'est à elle que Mylène s'adresse plus particulièrement.

 

-" Merci pour tout, j'ai passé une très agréable soirée. Il y 'avait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi bien."

 

Sur ce, elle nous quitte. Anne la suit des yeux aussi longtemps que cela lui est possible, avec le même regard abattu qu'un chien abandonné par son maître. Mais ses yeux brillent lorsqu'elle se retourne vivement vers moi :

 

-" Oh, Christelle, elle est fantastique ! Je t'en prie, parle-moi d'elle, je veux tout savoir !"

 

Je pivote sur ma chaise, tournant la tête en tout sens, comme cherchant quelqu'un, avant de la regarder à nouveau.

 

-" Pardon, c'est à moi que tu t'adresses ? Incroyable, elle me voit, enfin j'existe ! Il était temps, je commençais à désespérer !"

 

Je prends Julien à parti, qui rigole comme un fou. Anne n'est pas d'humeur à apprécier la moindre plaisanterie.

 

-" Christelle, ne sois pas cruelle !  

 

-" C'est ton ingratitude qui est cruelle. Je t'aide financièrement à déménager, je me porte caution à l'agence immobilière, et qu'ai-je en retour ?"

 

-" Christelle, arrête ! Tu as bien vu qu'il se passait quelque chose entre nous, c'était magique, incroyable, comme si on était faite l'une pour l'autre !"

 

Je lève les yeux au ciel avec fatalité.

 

-" C'est quoi cette sale manie que vous avez tous à vouloir tomber amoureux ? Cathy, Julien, maintenant toi. Qu'est-ce qui vous arrive ? C'est un virus ou quoi ? Et qui vous apporte quoi, excepté des complications et des déprimes continuelles ! Faites comme moi, ne vous attachez pas, et c'est le bonheur  absolu,  la liberté de voguer là  où vous pousse  le vent, sans contrainte !"

 

Anne me jette un regard tellement implorant que je finis par céder.

 

-" Bon, que veux-tu savoir ? Au cas où tu l'aurais oublié, je t'ai déjà parlé d'elle. Et tu l'as vue une fois au tribunal aussi."

 

-" Il y' a longtemps, et c'était différent, j'étais avec toi à l'époque. Allez, je t'écoute."

 

Je m'exécute, à contrecœur et sans éveiller chez elle le moindre encouragement, décrivant Myléne comme elle est vraiment, en toute objectivité. Fascinée, Anne boit mes paroles comme si je lui prêchais la venue d'un nouveau messie sur terre. Il me faut un bon quart d'heure pour satisfaire sa curiosité, et j'y mets brusquement un terme en l'interrogeant à mon tour sur notre cercle habituel d'amis.  

 

-" Alors, quelles sont les nouvelles du front ?"

 

-" Pas génial. Marthe ne répond à aucun message, elle a coupé les ponts avec tous ceux ou celles qui peuvent lui rappeler Cathy. Elle est toujours en Belgique, avec Guillaume. Sans oublier le deuxième bébé qui est prévu pour début décembre. Bon sang, quand j'y pense cela me fait mal au cœur pour ces deux gamins qui n'ont rien demandé pour venir au monde dans de telles conditions !"

 

-" Et Cathy, elle file toujours le parfait amour avec cette mystérieuse inconnue qui lui fait tellement tourner la tête ?"

 

-" Oh, que non, cela va plutôt mal ! Je l'ai eu hier au téléphone, elle était en larmes, car sa petite amie la fuit depuis quelques jours. Elle n'en connaît pas les raisons, elle a peur d'être jetée comme une vieille chaussette alors que leur histoire d'amour avait commencé comme du feu de dieu, et cela la met dans tous ses états."

 

-" Ce n'est que justice !" intervient Julien. " Cathy n'a pas été très diplomate lorsqu'elle a rompu avec Marthe, à son tour maintenant d'en souffrir."

 

-" Ne sois pas si intransigeant. Je ne souhaite à personne de connaître ce genre d'épreuve, je sais de quoi je parle ! Cathy est trop passionnée, trop impulsive, et sur un coup de tête elle serait capable de faire une très grosse bêtise. Elle m'inquiète en ce moment."

 

-" J'irai la voir" leur dis-je. " Je crois bien avoir été la première au courant de cette nouvelle liaison, Cathy se confie facilement à moi. Tout de même, j'aimerai bien connaître l'identité de cette femme, cela doit être une bombe au lit pour que Cathy se laisse envoûter de la sorte. Personne n'a le moindre soupçon ?"

 

Anne secoue négativement la tête.

 

-" Non, je l'ignore. Et cela ne nous regarde pas."

 

Je lui adresse un clin d'œil amusé.

 

-" Allez, Anne, pas de manières avec moi, avoue que tu aimerais bien en savoir davantage ?"

 

-" Bon, c'est vrai que je me suis posée la question. Mais si cela se trouve, on ne la connaît même pas, Cathy côtoie tellement de monde avec toutes ces associations qu'elle fréquente assidûment."

 

-" Je ne pense pas qu'elle l'ait rencontré dans ce milieu là, elle m'a bien laissé sous-entendre qu'elle était différente, une hétéro qui venait de virer sa cuti."

 

-" Et alors, rien n'interdit qu'elle ne l'ait pas rencontré dans ce cercle justement, il n'y a pas que les lesbiennes qui luttent contre les discriminations, cela peut être n'importe qui, une hétérosexuelle bénévole qui occupe un poste de secrétaire, de trésorière, ou que sais-je encore ! De toute façon, Marthe a des doutes apparemment, car la dernière fois que j'ai eu de ses nouvelles, elle m'a dit qu'elle pensait savoir qui lui avait volée son amie, et que si c'était vraiment cette personne il fallait se méfier de celles qui n'ont pas l'air d'y toucher, les saintes nitouches à qui l'on donnerait le bon dieu sans confession ! Elle a chargé une de ses copines, qui habite Golfe-Juan, de mener son enquête et de l'informer dés qu'elle serait sûre de l'identité de la traîtresse."

 

-" Enfin, voilà un scoop ! Bien que cela ne nous aide pas beaucoup… Affaire à suivre ! Et Claire ? Petite cachottière, j'ai appris qu'à peine installée dans ton nouvel appartement tu l'accueillais à bras ouvert, et je me doute bien qu'il n'y a pas que tes bras qui lui sont ouverts…"

 

Anne rougit, et proteste avec véhémence.

 

-" Non, tu te trompes ! Enfin, oui, c'est vrai que je l'ai accueillie quelques jours, mais c'est provisoire, une affaire de trois ou quatre jours tout au plus. Mais il n'y a rien entre nous, je te promets, elle dort dans la chambre d'amis. Christelle, je ne suis pas comme toi, je sais recevoir des amies à la maison sans me sentir obligée de les installer dans mon lit !"

 

-" Hou, c'est que mademoiselle se rebelle, il y' a de la mutinerie à bord !"

 

Julien, mort de rire, nous recrache sa boisson en frôlant l'étouffement. Je pousse un cri indigné en reculant vivement. J'attends qu'il retrouve son souffle, puis me tourne vers Anne.

 

-" Je te rappelle que Michèle a quitté les lieux il y' a deux jours maintenant.  Elle n'a plus rien à craindre de son mari, crois-moi qu'il va se tenir tranquille, il a trop à y perdre. Me voilà donc de nouveau célibataire ! Attention les hommes, cachez vos femmes, Christelle la prédatrice est en chasse !"

 

Julien s'étrangle encore. Mais le fourbe a l'audace de faire remarquer, après avoir repris son souffle :

 

-" Dis, Christelle, ton bon geste n'était certainement pas motivé exclusivement par de nobles sentiments, je soupçonne là-dessous un acte tout ce qu'il y' a de plus intéressé. A mon avis, t'as fait une nouvelle conquête, et pour t'y consacrer librement il fallait que Michèle vire le plus vite possible de chez toi ! Allez, avoue, on te connaît trop !"

 

Je suis vexée qu'il m'ait percé à jour. C'est énervant d'avoir des amis qui vous savent lire en vous comme dans un livre ouvert. Je m'efforce de prendre cela sur le ton de la plaisanterie, m'emporter ne ferait que confirmer ses doutes.

 

-" Juda, comment oses-tu avoir des idées pareilles ! Encore un ami qui me trahit, quelle piètre opinion vous avez de moi, cela m'attriste profondément !"

 

Je me tourne vers Anne, pour solliciter son aide. Mais il y' a longtemps qu'elle ne nous écoute plus. Elle est rêveuse, fixant la mer sans la voir, le regard ailleurs, avec un demi-sourire bienheureux. Il n'est pas besoin d'être fin psychologue pour savoir à qui elle pense. 

 

 

 

 

 

 La route est si étroite, serpentant en lacets taillés dans le roc et ombragée de châtaigniers, que les croisements y sont souvent impossibles, et m'obligent à certains moments à freiner brutalement comme une dératée. Me trouvant face à une camionnette, j'effectue une marche arrière à vive allure, m'arrêtant en équilibre sur un balcon vertigineux qui surplombe la vallée de la vésubie.  Salma n'est pas rassurée, s'accrochant de toutes ses forces à la poignée.

 

-" Christelle, es-tu obligée de rouler aussi vite ?"

 

-" Tu plaisantes ? Je n'ai jamais été aussi prudente, la route est vraiment très dangereuse."

 

Sur ce, je fais crisser les pneus en démarrant sur les chapeaux de roue.

 

Salma serre les dents, les yeux rivés droit devant elle.

 

-" Mais où m'amènes-tu donc ? C'est un trou perdu ici, il n'y a strictement rien à voir. Tu parles d'une surprise ?"

 

-" Tais-toi, et contemple le paysage. Le Parc national du mercantour est une vraie merveille, et avec ce temps magnifique c'est un enchantement. Profite du spectacle, c'est gratuit."

 

-" Je préférerai payer et voir autre chose. Mais où va t-on, merde ! Je n'aurai jamais dû t'écouter, dire que je pouvais me prélasser au bord de la mer."

 

-" Ne t'impatiente pas, on arrive."

 

A la hauteur d'un petit canal d'irrigation, plusieurs voitures sont stationnées. Je me gare derrière une Jeep. Salma descend vite, le visage livide. Un kilomètre de plus et elle renvoyait son petit déjeuner. Je ferme la voiture, et la retrouve. Je ne peux m'empêcher de jeter encore une fois un regard critique sur ses belles chaussures à talons aiguilles.

 

-" Je t'avais dit de venir en tenue sportive. Ne viens pas pleurer si tu galères."

 

-" Je sais, tu me l'as déjà dit… Jamais je n'aurais pensé qu'on allait au bout du monde, les randonnées et moi on a jamais fait bon ménage."

 

-" Il est jamais trop tard pour commencer. Allez, suis-moi."

 

On emprunte un sentier assez raide qui s'enfonce dans une forêt de pins et de mélèzes. J'ignore Salma qui peine à me suivre, trébuchant et pestant alors que nous remontons le cours d'eau d'une rivière. Nous la traversons à gué, pour rejoindre un chemin plus large qui débouche sur une immense prairie. Une vue imprenable s'offre à nos yeux, mais c'est davantage le va-et-vient incessant de nombreuses personnes qui s'agitent en bas qui attirent notre attention. On descend par un petit chemin herbeux assez glissant.

 

-" Merde, merde et re-merde !"

 

Je me retourne. Salma repose les fesses par terre, grotesque dans sa robe moulante et ses belles chaussures de ville. J'opine tristement de la tête, mais le regard noir qu'elle me lance m'interdit tout commentaire désobligeant. Je continue ma descente, avec prudence. Je me retrouve bientôt au milieu d'une cohue fiévreuse, où des personnes finissent d'installer des tentes, d'autres s'affairent à installer divers instruments du 7 éme art. Une grande tonnelle a été montée, ou plusieurs techniciens discutent avec animation. Je manque percuter un cameraman qui nettoie son outil de travail.

 

-" Pardon."

 

Je cherche Marc du regard. Je l'ai eu ce matin au téléphone, et il m'a indiqué où je pouvais le retrouver lui et son équipe. Je savais qu'il était en tournage dans le coin, mais j'ignorais où exactement. Il démarre un nouveau film, toujours sur le même concept : extérieurs réels, acteurs inconnus, méthodes percutantes du cinéma vérité. Une réalisation artisanale qui est sa marque de fabrique et qui a déjà fait ses preuves.  Mais assister à un tournage n'est pas vraiment ce qui m'amène ici. Salma me rattrape et me saisit le bras.

 

-" Christelle, t'es gentille, mais il était inutile de faire autant de kilomètres en montagne pour me montrer comment on fait un film. J'ai fait des clips vidéo, c'est du pareil au même, et je…"

 

Sa phrase reste en suspens. Sa bouche demeure ouverte tandis que ses yeux s'écarquillent sous l'effet de la surprise. Elle vient de trouver la vraie raison de notre visite : Aziz. Il est en train de bricoler un générateur, et lui aussi l'aperçoit. Salma, livide, me lâche le bras. Je m'adresse à elle avec douceur.

 

-" N'aie pas peur, ton frère a beaucoup changé, et en bien… C'est une longue histoire, je te raconterai çà un autre jour. Allez, va lui parler, vous avez tant de choses à vous dire…"

 

Avec appréhension, elle se dirige vers lui à pas lent. Aziz abandonne son travail, et vient à sa rencontre. C'est moi qui lui ai trouvé ce boulot de stagiaire en électricité, pour l'aider à trouver un sens à sa vie, prendre un nouveau départ, et lui éviter de se faire rattraper par un passé sans avenir, lourd de privations et de traditions inutiles.          

 

Maintenant, je pense qu'il a les bonnes cartes en main pour s'en sortir. C'est le moins que je puisse faire, je lui dois la vie, je n'ai jamais été une ingrate. Le cœur léger, je les laisse à leurs retrouvailles, cherchant Marc que je finis par trouver. Il semble contrarié, se tordant les mains d'énervement, en plein désaccord avec un technicien sur les effets de lumière à respecter lors de la prochaine scène. Sa voix monte d'un ton, presque stridente, mais il réussit à reprendre le contrôle sur lui-même, adoptant la contenance froide et déterminée qui sied à un réalisateur méthodique. Marc a toujours su dissimulé son émotivité sous des apparences détachées, ce qui le rend si lointain et inaccessible. Il met un point d'honneur à éviter les comportements trop efféminés, sans tolérance pour ses semblables qui se sentent obligés d'afficher leur homosexualité par des manières trop excentriques. Je comprends sa répugnance pour toute forme d'extravagance et de clichés qui peuvent nuirent à l'image des homos en général, même si je suis obligée de composer avec, le monde de la mode n'étant pas un modèle de discrétion et de sobriété. Marc me voit, m'adresse un petit sourire, puis en termine avec un autre jeune homme, un ingénieur en son apparemment, à qui il prodigue quelques conseils. Il interrompt enfin ses explications, puis m'embrasse avec chaleur.

 

-" Christelle, cela me fait plaisir de te voir."

 

Rares sont les personnes avec qui il sort de sa réserve, et je suis contente d'en faire partie. Evidemment, il me parle du sujet de son film, et me présente à plusieurs membres de son équipe. Je me laisse gagnée par son enthousiasme, et finis même par me laisser convaincre de faire un bout d'essai pour un petit rôle. Rendez-vous est pris pour dans dix jours. Je retrouve Salma. Les yeux brillants, émue et transportée de joie, elle me demande de la laisser ici. Son frère la ramènera. Elle m'accompagne quelques mètres et, au moment de la quitter, c'est elle qui me dépose un baiser sur la bouche.

 

-" Christelle, t'es un amour. Je te revaudrai ça, tu ne seras pas déçue…"

 

Pas besoin d'un dessin pour comprendre la signification de sa promesse. Son regard étincelle d'espièglerie, et son sourire prometteur me procure un agréable frisson. Je n'ai même plus l'impression de toucher pieds à terre en regagnant ma voiture, et je suis accompagnée sur le chemin du retour par des pensées érotiques qui me font paraître le temps extrêmement court.

 

Anthony est d'excellente humeur. Cabotin, virevoltant, il effectue sur le bar un numéro acrobatique qui provoque cris et encouragements. La foule est déchaînée, applaudissant à tout rompre pendant qu'Anthony saute comme une puce excitée, préparant un cocktail sur le rythme trépidant d'une musique techno. Il n'a pas perdu la main, pas une goutte ne verse à terre, même lorsqu'il pivote sur lui sur une jambe, avant de faire claquer ses talons pour une démonstration de claquettes. Je bats des mains à m'en écorcher les paumes, imitée par Julie et Stéphanie qui cessent un instant de flirter gentiment dans leur coin pour assister aux facéties d'Anthony. Après une derniére pirouette, il saute du bar et atterrit sur la piste de danse. Quelques modestes révérences devant les félicitations du public, et enfin il se dirige vers nous, avec sur sa face grassouillette un sourire rayonnant. Il nous embrasse tour à tour. Je ne peux m'empêcher de le questionner sur l'absence de sa sœur. Il est obligé de crier  pour se faire entendre

 

-" Tu sais comment est Sandra : imprévisible. Elle devait venir, mais en ce moment elle est perturbée par une jeune fille délicieusement innocente qui lui résiste. Elle l'avait repérée à mon anniversaire, et c'est devenu une obsession, coucher avec elle, coûte que coûte. Depuis Salma, je n'avais jamais vu ma sœur dans un tel état, cette petite lui fait perdre la tête, pour ne pas dire tourner en bourrique. Sandra l'a veut à tout prix, elle tisse sa toile, doucement mais sûrement. Elle l'a même embauché pour son dernier clip, et ce soir a réussi à l'inviter à la maison, je vous raconte pas comment elle est excitée !"

 

J'imagine très bien. Je comprends maintenant pourquoi Laure fait la gueule, je l'ai aperçue assise seule sur un pouf, la mine renfrognée et l'œil mauvais, répondant tout juste à mon salut. Ne pas participer aux réjouissances l'a mise en rogne, et je suis ravie que Sandra l'a enfin mise sur la touche, lui désignant ainsi sa vraie place. Je compte bien, plus tard dans la nuit, lui glisser une remarque bien piquante, je ne peux pas laisser passer une telle occasion. Le cœur léger, je commence à battre le tempo de la musique. J'ai une pêche d'enfer ! Comme d'habitude, il y' a une ambiance du tonnerre, le "Scorpion Rouge" n'est pas une boite mythique pour rien, et reste le lieu rêvé d'une jeunesse dorée, branchée et extravagante qui se bat pour avoir le privilège d'y pénétrer. Ici, on peur donner libre cours à toutes ses pulsions inavouables, dévoiler ses péchés mignons, avouer ses différences sans tabou, sans complexe. Dans cette spirale infernale où tournoient tous les genres et toutes les libertés,  les libidos les plus rares se mêlent aux licences les plus effrénées. C'est le lieu de tous les charmes, toutes les voluptés. Le décor est à l'image des folies qui s'y déroulent. Anthony n'a pas hésité, avant cet été, d'entreprendre des travaux faramineux, dépassant les quatre millions de frais, et faisant appel au reconnu et talentueux designer grec qui a relooké admirablement toute la décoration intérieure. Le résultat en vaut vraiment la peine, j'adore ! Décor futuriste en métal, plastiques multicolores, couleurs fluorescentes et irréelles, tables en verre avec appliques dorées, tout est très tape à l'œil. Anthony nous abandonne, fonçant droit sur la cabine du DJ, sans avoir préalablement sermonné  deux de ses serveurs qui, déguisés en drag queens, se la coulaient douce derrière un pilier en marbre, plus occupés à se remplir mutuellement la bouche de baisers enflammés au lieu de remplir les verres des clients. Rien n'échappe à l'œil vigilant du directeur, il détient une place dominante dans le milieu de nuit, gardant le monopole de la fête, et il n'a pas obtenu ce pouvoir sans fermeté ni ténacité. Il croise sans le voir Jean-François Chelton, pourtant assez peu discret en veste zippée en cuir usé, tee-shirt imprimé d'une énorme voiture de course et une combinaison de course négligemment roulée sur les hanches. Ses lunettes de soleil à grosse monture et sa casquette ajoutent une pointe extravagante au personnage pittoresque qu'est mon ami le couturier, un homme proche de la soixantaine qui a toujours refusé son âge. Inutile de préciser que c'est un passionné de Formule 1, sa tenue vestimentaire se passe de tout commentaire. Je lui adresse de grands signes de la main, il m'aperçoit et arbore un large sourire en traversant la piste pour venir me rejoindre. Il s'assoit à mes côtés.

 

-" Christelle, quelle joie de te voir. Enfin un visage ami dans cette faune hystérique !"

 

-" Quoi ! Parle plus fort, j'ai du mal à t'entendre !"

 

Il répète ses propos, mais encore un fois je n'entends rien. Pas à cause du bruit cette fois-ci, mais parce que mon attention est dirigée sur deux superbes femmes qui viennent à notre rencontre, d'une beauté différente mais si troublante que plusieurs femmes se tournent sur leur passage  : Anne et Myléne. Cette derniére a fait des efforts vestimentaires que je ne peux qu'apprécier. Plus de tailleur strict ou habits uniformes, mais une longue robe prés du corps, couleur fuchsia, imprimée de perles et de paillettes. Adieu également son éternel chignon, ses cheveux sont libres, sauvages et ébouriffés dans un enchevêtrement de boucles rebelles, la rajeunissant d'au moins dix ans. Anne me surprend tout autant, habillée avec une distinction audacieuse. Une courte robe d'une blancheur virginale épouse étroitement son corps admirablement proportionné, avec sur sa gorge nue le voile d'une dentelle transparente qui laisse apercevoir les pointes brunes de ses petits seins. Je me dis que l'amour fait faire des choses exceptionnelles à plus d'un titre. Tout le monde s'embrasse chaleureusement. D'instinct, je sens Myléne mal à l'aise, elle n'est pas dans son milieu, jetant des coups d'œil inquiets tout autour d'elle comme si elle se retrouvait seule sur une planète aussi étrange qu'hostile. Je lui adresse un compliment sur sa beauté, qu'elle accueille avec un sourire nerveux. A Anne, par contre, je  glisse à l'oreille une remarque perfide :

 

-" Et Claire, elle est interdit de sortie ? Tu l'as enfermée à double tour dans ta chambre ?"

 

Anne fronce les sourcils en prenant un air contrarié. L'affection que je mets en la serrant dans mes bras dément mes paroles, elle s'en rend compte, se détend et me sourit avec tendresse.

 

-" Elle est punie, aucune permission jusqu'à nouvel ordre !"

 

-" Et ton père, il est toujours là ?"

 

-" Il est reparti ce soir. Cela valait mieux, nos rapports tournaient à l'orage, on se supporte de moins en moins ! Qu'il aille au diable !"

 

Elle se retourne pour enlacer Julie. Le choc me cloue sur place. Le décolleté vertigineux qui descend très bas en V jusqu'aux fesses est un régal pour les yeux, accentuant sa cambrure exceptionnelle. Anne n'a jamais été aussi féminine et désirable, et une petite jalousie me pince le cœur en sachant que tous ses effets de séduction ne me sont pas destinés. J'avais oublié comme Anne était une femme d'une remarquable beauté, et le trouble que je lis dans le regard de Myléne, alors qu'elle regarde son amie, me fait supposer que je ne suis pas la seule de cet avis. Son expression désemparée en dit long sur les incertitudes qui l'assaillent. Face à Anne, elle perd toute contenance. C'est une bataille contre laquelle elle n'est pas habituée à se défendre, car l'affaire à laquelle elle est confrontée cette nuit se nomme Anne, une femme incendiaire, une lesbienne amoureuse et passionnée, qui déclenche en elle des pulsions inavouables, et elle n'y 'était pas préparée. Ce sont là des sentiments nouveaux qui font voler en éclats des valeurs auxquelles elle a souscrit  toute sa vie, tout cela ne se gère pas comme un dossier !  Mais c'est aussi une femme résolue, froide et pragmatique, qui peut très bien refouler toute émotion futile, et tourner le dos à ce qu'elle jugera comme une aberration contre-nature. Myléne en est bien capable, sa détermination ne l'a jamais détournée de ses ambitions. Anne va devoir user de toutes ses armes pour la séduire, la bataille est loin d'être gagnée. Pourtant, sa persévérance à vouloir la conquérir mérite toute ma sympathie, elle ne la lâche pas d'une semelle, décourageant d'un regard assassin toutes les femmes qui s'approchent d'un peu trop prés de son amie, et réussissant encore à briser la glace en la faisant rire. Très bien, continue comme ça Anne, l'humour est une méthode efficace qui a toujours fait ses preuves ! Je salue J.P, le serveur, qui vient nous apporter notre bouteille de champagne. Après nous avoir rempli les coupes, il repart aussi vite qu'il est venu,  slalomant vivement entre les danseurs. Anthony revient vers nous, fendant la foule d'un pas conquérant, le visage éclairé d'une joie radieuse, heureux de retrouver son vieil ami Jean-François. Tous deux se mettent à piailler comme de vieilles filles, se régalant des ragots de quartier, rivalisant de fiel pour critiquer et persifler. Je les écoute un instant, le sourire aux lèvres, puis lève les yeux avec étonnement sur Anne qui vient d'inviter Myléne à danser. C'est la série des slows, deux ou trois morceaux qui vont se succéder, pas plus. Myléne semble perdue, hésitant à accepter. Alors, sans attendre sa réponse, Anne lui prend la main, l'obligeant à se lever à son tour, et la dirige d'un pas décidé vers la piste de danse. Docile, Myléne se laisse faire. Anthony a également assisté à la scène, et sa voix hilare arrive à percer le vacarme assourdissant :

 

-" Hé, les filles, si vous nous faîtes une portée, mettez-nous un bâtard de côté !"   

 

Je lui jette un regard noir, mais déjà d'autres responsabilités l'appellent, il disparaît dans la foule, comme avalé par cette fourmilière asexuée et impénétrable qui grouille tout autour de nous. Jamais je n'ai vu autant de monde, la discothèque bat des records  de fréquentation, mais j'ai cette même impression à chaque fois. Jean-François se tourne vers moi.

 

-" Alors, ma chérie, que racontes-tu de beau ? Les amours sont au beau fixe ?"

 

-" ça va, ça vient… Au fait, excuse-moi pour mon absence l'autre jour, je n'ai pas pu me libérer."

 

Je parle du cocktail où j'étais conviée. J'avais mieux à faire, brûlant mes calories  en pratiquant allègrement du sport en chambre  avec Mélanie. On ne se refait pas !

 

-" Cela n'est pas grave. C'était une soirée tout ce qu'il y' a de banal, en toute intimité… Il y' avait à peine une centaine d'invités, le tour était vite fait !"

 

-" En effet. Et toi, quoi de neuf ?"

 

-" Que du vieux, hélas… J'angoisse à l'idée de fêter fin septembre mes cinquante huit ans. Cinquante huit ans ! Tu imagines ! Le temps passe si vite ! Je n'arrive pas à concevoir que cela fait déjà un demi-siècle ! Quand je pense au temps qu'il me reste à vivre cela m'effraie, il y' a tant de choses que je n'accomplirai jamais, tant de projets et tant de rêves que je ne pourrai jamais concrétiser ! Je me sens jeune, vivant, impatient, avec la même fougue qu'un homme de vingt  ans à  qui l'avenir  appartient,  mais le poids des années sont là… Quel gâchis !"

 

Je l'écoute d'une oreille distraite, d'autant plus que ses paroles sont noyées dans le brouhaha. Je me tords le cou pour apercevoir Anne et Myléne qui, tendrement enlacées, se sont apparemment divinement accordées, ondulant lentement au même rythme. C'est Anne qui serre sa partenaire contre elle, le visage enfoui dans son cou pour lui murmurer des mots doux à l'oreille. Elle la colle comme une ventouse, se frottant avec une sensualité brûlante, tout en continuant à échanger avec elle de tendres paroles. Myléne s'écarte un moment, agitant énergiquement la tête avec négation, secouant les épaules pour exprimer son désaccord. Grâce aux spots qui éclairent épisodiquement la piste, je lis sur son visage une expression suppliante, les traits tendus. Mais l'obstination d'Anne est cette nuit à son apogée, il lui en faut plus pour la décourager. Constatant que sa partenaire ne réagit pas comme elle le souhaite, elle passe à l'étape supérieure. Ses mains remontent lentement pour se nouer derrière le cou de Myléne, et elle se penche en arrière, offrant sa poitrine, ondulant du bassin avec une souplesse enivrante, plaquant son pubis contre celui de Myléne. Je reste effarée devant l'audace de ma meilleure amie, se montrer d'emblée aguicheuse et torride ne lui ressemble pas, et son numéro de séduction est tout ce qu'il y' a de plus lascif, je n'y aurai pas résisté une seconde. Myléne, plus forte, semble lutter pour l'instant contre la tentation, mais son regard fixe et trouble que j'aperçois brièvement me signale qu'elle n'est pas complètement insensibles aux assauts voluptueux de sa partenaire. Brusquement, je ne vois plus rien. Une grande maigrichonne est plantée devant moi, m'obstruant la vue, en équilibre du haut de ses 1m. 80 au moins, sans compter les escarpins interminables sur lesquels elle est maladroitement juchée.

 

-" Tu danses ?"

 

Elle pose sur moi un regard bovin et inexpressif, avançant les lèvres dans une mimique aussi ridicule que provocante. Elle ne me plaît pas, et l'odeur aigre de la sueur qui se dégage d'elle est la plus redoutable arme de dissuasion que je connaisse.

 

-" Non, merci."

 

Déçue, elle pivote sur elle-même avec brusquerie, et s'éloigne avec la grâce d'un flamand rose. Jean-François m'observe en silence. Une lueur amusée éclaire ses petits yeux ridés.

 

-" Christelle, quel succès !"

 

-" Là, je m'en passerai bien."

 

Je ne dis plus rien, fatiguée de hurler pour couvrir le bruit de la musique. C'est à peine si j'écoute Jean-François qui continue son monologue.

 

-" Quand même, tu avoueras que la vie est mal faite. Je devrai vivre plus longtemps, pour faire tout ce que j'ai à faire. Il est anormal que j'ai la même durée d'existence qu'un français moyen qui se complaît dans sa médiocrité  et qui n'a jamais rien fait de bon ou de créatif dans sa chienne de vie. Puisque leur existence est inutile, on devrait raccourcir leur moyenne d'âge et la transmettre à des personnes plus méritantes, comme moi, comme toi. Nous avons du talent, nous façonnons le monde à notre mesure, nous laissons des traces et des souvenirs plaisants dans cette triste vie, nous donnons du bonheur, et pour cela méritons de vivre davantage. Qu'en penses-tu ?"

 

Je suis entièrement d'accord avec lui. Certaines personnes, comme mon ex-mari, mon beau-frère, des gens quelconques, sans valeur, devraient avoir moins de droit  que des êtres nés pour connaître un destin exceptionnel, qui ont conjugué gloire, réussite et démesure. Mais je n'ai pas envie de débattre sur ce sujet, et me contente d'acquiescer de la tête. J'ai perdu Anne et Myléne de vue, elles se confondent dans la masse compacte des danseurs. La piste est bondée de monde, encombrée de couples en train de faire quasiment l'amour sur place, avec un profond irrespect de toute pudeur. Ici, l'outrage aux mœurs est une définition totalement inconnue. Je me lève, les cherchant du regard. Enfin, je les distingue. Je plisse les yeux, essayant de me concentrer sur le couple qui m'intéresse, les isolant de la foule mouvante. Incroyable, mais Anne est arrivée à ses fins. Soudées l'une à l'autre, elles ne dansent plus, trop occupées à s'embrasser passionnément. Une brève seconde, j'entrevois leur bouche entrouverte qui se presse amoureusement, et le ballet subtil de leurs langues qui se nouent et se dénouent avec une lenteur exaspérante, comme un film au ralenti, d'une intense sensualité. Hors d'haleine, Myléne rejette la tête en arrière, les yeux fermés. Anne ne lui laisse pas une seconde de répit. Elle l'embrasse dans le cou, glisse vers l'oreille gauche qu'elle lèche délicatement. Myléne ouvre soudainement les yeux, vivement surprise, et baisse le visage pour relancer sa complice d'un baiser affamé. Elle lui enserre la taille plus étroitement, et la voracité de sa bouche  trahit la fièvre érotique qui vient de s'emparer d'elle. Je repense à son couplet sur l'amitié, sa morale sur toute absence d'arrières pensées concernant Anne, et cela m'arrache un sourire. Elle n'avait vraiment pas prévu ce qui vient de lui tomber soudainement dessus, elle qui a toujours tout planifier dans sa vie ! De toute mon âme, j'envie Anne. J'ai souvent fantasmé sur la longue abstinence de Myléne, ses sens endormis qui reprennent vie brutalement, exacerbés par de nouvelles passions, mais ce n'est pas moi qui aura le privilège de la réveiller. Elles restent accrochées l'une à l'autre comme des noyées, ivres de désir, inconscientes d'être bousculées par d'autres couples de sexe identique. L'arrêt brutal du slow rompt le charme, le changement de rythme qui vire à la techno saccadée semble sortir Myléne de sa torpeur. Elle recule en arrière, vacille un instant, puis s'éloigne en titubant, la main sur le cœur, éperdue comme une biche aux abois. Anne, paniquée, la perd de vue. Myléne, au bord de l'évanouissement, s'appuie contre un pilier, la bouche grande ouverte, la poitrine se soulevant énergiquement au rythme de sa respiration oppressée. Je devine son sentiment de solitude, de désarroi, qui vous laisse abandonnée, perdue, à la merci de passions si bouleversantes que l'on ne comprend plus ce qui nous arrive. J'ai pitié d'elle, et commence à me diriger dans sa direction. Une grosse rousse, qui avait dû la repérer depuis longtemps et attendait le moment propice, va droit sur elle, son énorme poitrine tressautant de joie devant une telle occasion. C'est Véronique, une nymphomane qui saute sur tout ce qui bouge, à partir de l'instant où ça porte jupe ou robe. Evidemment, je la connais et ne l'aime pas, sa  réputation n'est plus à faire, elle est toujours à l'affût de nouvelles arrivantes. Son élan est coupé net par Anne qui vient de s'interposer, lui coupant soudainement la route. Anne accueille cette fourbe concurrence par une bordée d'injures bien senties, appuyant ses menaces de quelques mimiques terriblement obscènes. Véronique, pétrifiée d'horreur, se fait toute petite, ses gros seins perdant de leur superbe pour se dégonfler à vue d'œil, comme de la gélatine qui fond. Elle bat en retraite à une vitesse foudroyante. Anne jette autour d'elle un regard furibond, comme pour décourager toute autre tentative déloyale. Puis elle établit définitivement sa propriété en prenant Myléne par la main, d'un geste possessif, et l'emporte vers le fond de la salle. Myléne ne manifeste aucune résistance, et se laisse docilement guider. Pourtant, une certaine nervosité la gagne lorsqu'elle se retrouve devant une lourde porte en métal, gardée par deux colosses dissuasifs qui sont simplement vêtus de peaux de bêtes. Leurs muscles se tendent alors qu'ils poussent la porte. Derrière, un large escalier en marbre mène sur les nombreuses arrières salles de la boite, là où l'on peut profiter d'une intimité préservée pour se permettre un flirt poussé, ou même carrément coucher si l'envie se fait urgente. Je connais suffisamment Anne pour connaître ses desseins. Elle n'a plus l'âge de se contenter d'un simple flirt. Et au lit, c'est une gourmande déchaînée, difficile à rassasier. Pour plaire et s'attacher l'affection de sa partenaire, elle sort le grand jeu, on en ressort étourdie. Je sais de quoi je parle ! Je regrette sincèrement de ne pas assister à leurs ébats torrides, leur affrontement risque de s'avérer aussi passionnant qu'instructif. Dommage… Comme je l'ai déjà signalé, j'ai manifesté assez tôt un penchant marqué pour une certaine forme de voyeurisme, en plus de l'exhibitionnisme. Personne n'est parfait. La porte se referme sur les deux femmes alors qu'elles gravissent main dans la main l'escalier en marbre. Ici, beaucoup d'homos sont à la recherche d'une rencontre fugace, mais mon instinct me dit qu'il n'en sera certainement pas de même pour mes deux amies. Je crois bien que des relations plus durables vont se nouer, là-haut. Je le souhaite pour Anne, même si cela risque de l'éloigner un peu de moi. Peu importe, tout ce qui compte est que sa quête de la femme idéale aboutisse, et cette nuit est bien partie pour…  Frustrée, je regagne ma place prés de  Jean-François.

 

-" En voilà deux qui vont passer une bonne nuit !" commente t- il avec une grimace salace.

 

Je ne suis pas d'humeur à renchérir. Mon grognement clôt toute discussion sur ce sujet. Il aborde alors ses thèmes de prédilection, les tendances vestimentaires qui font fureur en ce moment, et décrypte à sa manière les mouvements de mode pour l'avenir. Comme d'habitude, il me communique sa passion, et je me retrouve malgré moi à boire ses paroles. Ce qui est bien avec lui, c'est son amour pour la mode mais pas pour le milieu qui l'environne, ses artifices, ses chichis, ses hypocrisies. Il sait prendre ses distances, se réfugiant dans les courses de chevaux, les courses de voitures, gardant intacte la rébellion et la fougue de son adolescence, refusant les compromissions pour ne pas se vendre au plus offrant. Cette exigence de vérité et d'intégrité a failli lui être fatale à plusieurs reprises, mais il s'est toujours relevé avec succès. Je l'ai toujours soutenu, on peut compter mutuellement l'un sur l'autre. Je suis si absorbée à tenter de comprendre toutes ses paroles, faisant abstraction de la musique tonitruante qui fait vibrer le sol, que je ne vois pas approcher Claire. C'est seulement lorsqu'elle se penche vers moi que je me rends compte de sa présence.

 

-" Claire, quelle surprise !"

 

Elle m'embrasse distraitement, adresse à Jean-François un vague signe de salut, ainsi qu'à Stéphanie et Julie qui cessent un instant de flirter pour lui sourire avec bienveillance.

 

-" Tu veux une coupe de champagne ?"

 

-" Volontiers."

 

Ses yeux ne cessent de fureter partout tandis qu'elle s'assoit à ma droite. Son visage reflète une tristesse morose, et une inquiétude dont je comprends vite l'origine. La question qui lui brûle les lèvres finit par sortir, et je n'en suis pas surprise.

 

-" Anne n'est pas là ?"

 

Sa voix tremble d'appréhension, comme si elle redoutait la réponse. Je n'ai pas le cœur à lui mentir, même si cela doit lui faire du mal.

 

-" Elle était là, il y' a vingt minutes environ."

 

-" Ah ! Et elle était seule ?"

 

-" Non, Claire, elle n'était pas seule."

 

La détresse qui assombrit ses traits me fait de la peine. Elle détourne vite le regard, se mord les lèvres jusqu'au sang, essayant de refouler ses émotions. Elle y parvient non sans mal. Je la contemple en silence. Claire est vraiment attirante dans son pantalon extensible qui moule comme une seconde peau ses formes affriolantes, avec de larges fentes aux bas des jambes qui dévoilent juste comme il faut le doré velouté d'une chair hâlée. En haut, un simple bustier de couleur noir, avec bretelles réglables amovibles, fermé devant par de petites agrafes qui peinent à contenir deux seins fermes et épanouis.

 

-" Anne en aime une autre, Claire, il faut que tu l'oublies."

 

Son petit nez retroussé se plisse de chagrin, et son adorable visage parsemé de tâches de rousseur semble perdre de ses couleurs.

 

J'ai déjà eu une brève discussion avec elle, après les événement qui ont transformé sa vie sexuelle. Je lui ai fait comprendre qu'elle n'avait aucune chance avec Sandra, ce qu'elle a très bien accepté. Son intérêt pour Anne s'est alors accrût, et je n'ai rien fait pour l'encourager ou la décourager, cela n'était pas de mon ressort. Cet intérêt s'est voué en véritable amour, mais malheureusement plus partagé par ma meilleure amie qui ne lui a jamais pardonné sa faiblesse. Que de complications pour rien ! J'en suis là de mes pensées lorsque je vois réapparaître Anne et Mylène. Cette dernière est tout chose, collée amoureusement à sa nouvelle amie. Apparemment, elle a eu un avant goût de ce que pouvaient être les amours homosexuelles, avec l'impatience d'aller jusqu'au bout et la certitude que ce serait complètement différent de tout ce qu'elle avait pu connaître jusque-là. Elles forment un beau couple, mais Claire ne partagerait pas cette opinion, elle en aurait le cœur brisé. Je n'ai aucune envie de la ramasser à la petite cuillère, j'en ai marre d'assister à des effusions tragiques, ces derniers jours j'ai eu mon compte de cris, de pleurs et de chagrins. Je dois éviter qu'elle ne les voit, détourner son attention. J'agis vite, un acte irréfléchi, impulsif, qui me traverse l'esprit dans un éclair de folie. Elle ne comprend pas ce qui arrive lorsque je me jette dans ses bras, me lovant souplement contre elle, cherchant sa bouche pour en prendre possession avec une soudaine brusquerie. Elle se retrouve écrasée contre la banquette, et pousse un petit cri :

 

-" Aïe, Christelle, tu me fais mal !"

 

Un regard par-dessus son épaule m'alerte du danger. Anne et Myléne sont à dix pas de nous, et ne se rendent compte toujours de rien. Je dois tout mettre en œuvre pour occuper  Claire ! Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire par amitié ! Mon sens du sacrifice finira par me perdre ! Claire refuse le baiser, détournant la tête juste dans la mauvaise direction. Vite, je lui saisis le menton, lui ramène le visage vers le mien. Nos lèvres se touchent presque, je perçois son souffle sur mon visage. Cette fois-ci, c'est avec douceur que je l'attire à moi, promenant une langue frétillante sur sa bouche close. Elle se laisse faire, sans répondre à mes provocations. Les yeux fixes, elle me regarde intensément avec une lueur trouble et insondable. Elle entrouvre les lèvres pour haleter :

 

-" Christelle, arrête, tu es juste une amie !"

 

Ses pupilles noires se dilatent alors que j'en profite pour agacer sa langue dans d'enivrantes spirales, l'enveloppant de baisers mouillés, l'affolant de glissades expertes. Subitement, elle mollit. Puis, avec une violence imprévue, répond sauvagement à mon baiser. D'un bond, elle se dresse pour changer de position,  s'installe sur mes genoux et se met à se tortiller sur mes cuisses. Automatiquement, mon bassin bascule, accentuant la pression de nos deux corps. On en est là, soudées l'une à l'autre, écrasant nos bouches et entremêlant nos langues, nous excitant jusqu'à la folie, lorsque j'accroche le regard abasourdi d'Anne qui vient enfin de comprendre la situation. Claire leur tournant le dos, il m'est facile de lui adresser de petits signes discrets, l'invitant à vite se sauver et la rassurant sur une situation que j'ai bien en main. Elle ne se fait pas prier, et s'esquive aussitôt. J'attends de ne plus les voir pour m'écarter de Claire.

 

-" Excuse-moi, je n'aurai pas dû… Restons-en là, tu as raison, nous sommes juste des amies et…"

 

 

 

-" Christelle, allons chez toi, je veux te faire l'amour toute la nuit."

 

Comment dire non à une telle invitation ? Elle aussi vient de me donner un avant-goût des réjouissances qui m'attendent, sauf que contrairement à Myléne je ne suis plus novice en la matière. Ce serait pure folie de rentre seule à la maison. Après tout, rien ne m'en empêche. Ma rupture avec Michèle est presque officielle, bien qu'elle fasse tout pour la repousser. Et Mélanie est depuis deux jours pratiquement indisponible, accaparée par son mari qui se fait plus que jamais présent à la maison, inquiet de ses comportements étranges. Et demain c'est le grand retour de leurs enfants, autant dire qu'elle sera prise en otage pendant un bon bout de temps. Je ne préfère pas y penser, cette indisponibilité me met hors de moi, il va falloir que je prenne une décision, aussi difficile soit- elle. Je laisse Claire se lever avant de me mettre debout. Tout autour de nous, les banquettes en Skaï se sont remplies, disparaissant sous les couples emmêlés. Jean-François s'est volatilisé, et je ne vois plus Julie et Stéphanie. C'est le cadet de mes soucis, la façon impatiente dont Claire se charge de me mener vers la sortie me fait penser à d'autres priorités. La nuit promet d'être longue et agitée…

 

 

 

Je ne vais pas m'en plaindre, contrairement à tant de personnes, je suis très épanoui dans mon métier. C'est un travail passionnant, fort, exigeant, parfois ingrat mais où je vis des moments forts et tellement humains.

 

Mais je dois avouer que quelques fois je vis des moments difficiles, perturbants même, que je dois refréner et en cela trop souvent faire barrage à mes envies les plus fortes et les plus personnelles.

 

 

 

Je suis professeur d'EPS, autrement dit de sport en lycée, enseignant en milieu non mixte dans un internat privé de province, exclusivement fréquenté par de jeunes hommes issus de tous milieux sociaux, de toutes races et religions.

 

Ainsi donc je suis confronté régulièrement à de jeunes mâles en pleine formation, tant spirituelle que morphologique... et immanquablement je constate en eux la belle et définitive métamorphose de leur corps, vois s'ouvrir cette chrysalide d'où s'envole de très beaux papillons.

 

Chaque jour je rencontre mes élèves dans la cour principale du lycée, dans les couloirs, sur les terrains extérieurs et bien sûr et surtout dans les vestiaires...

 

  À chaque fois, et c'est quasiment une torture pour moi, je suis contraint à discerner, constater, admirer leur évolution en imaginant l'espace d'une seconde ce vers quoi ils vont, d'un pas symbolique et ferme, vers ce qu'ils seront d'ici quelques années.

 

Je les entrevois fiers de leur corps, de leur musculature, de leur beauté neuve et ce qu'ils exposeront aux autres dans leur vie d'adulte, d'homme, d'amant, de père, de mâle...

 

 

 

Conscient de ce fait insupportable, comme pour m'en affranchir, je vais souvent lire les confessions de mes confrères inconnus de moi sur Internet où des forums m'informent de ce que vivent et comment réagissent mes collègues masculins dans la même situation. Parfois cela me réconforte, souvent cela m'anéantit...

 

 

 

Je ne peux pas dire que je sois amoureux de tous ces jeunes hommes. Dieu m'en garde non ! Je ne suis au fond de moi que fasciné par leur plastique mais l'envie de les admirer sans retenue, sans crainte, de les toucher, les caresser juste par amour du beau me ravage les sens.

 

Je fantasme et m'en condamne.

 

 

 

Lorsque je leur enseigne les règles de certains sports, quand j'évalue sur le stade leurs prestations sportives, quand j'arbitre un match, je les vois se mouvoir, se déplacer dans l'espace qui les entoure, se donner avec tant d'énergie au football, handball pour beaucoup ou rugby pour d'autres, force est pour moi de mesurer leur puissance. Alors ce n'est que festival de muscles gonflés, de jambes prodigieusement armées, de bras vigoureux, virilement mis en action pour la simple nécessité d'exploiter leur capital. Le spectacle pour moi est alors tant un régal qu'une crucifixion. Tous ces biceps, torses, pectoraux emprisonnés dans des t-shirts serrés, tous ces mollets, quadriceps et autres contenus dans des shorts... mais le plus dur pour l'homme que je suis est lors des cours de natation où tous ces trésors sont comme jetés à mes yeux avec l'impudence innocente de ces mâles involontairement irrespectueux... Voir ces poitrails nus mouillés, luisants à la lumière quand ils sont glabres ou s'égouttant lentement d'une peau couverte de poils collés et assombris, ces jambes ruisselantes sous un maillot rendu impudique, contenant leur virilité éhontée.

 

 

 

Au sortir de matches ils vont obligatoirement aux vestiaires. Comme ce ne sont que des garçons, les douches sont communes. L'impudeur des années 70, date à laquelle a été construit le gymnase, a fait que les vestiaires et les sanitaires sont d'un seul tenant. Responsable de l'ordre et de la bienséance, je suis obligé d'être présent lors de leurs douches. Inutile de  préciser mon émoi quand je les vois se mettre à nu, dans l'indécence des groupes masculins, baignés dans le brouhaha de commentaires divers. Leur corps alors est au paroxysme de leur beauté. Il y a là rassemblés toute la gamme des mecs : les fins, les gros, les sveltes, les très costauds, les imberbes, les déjà velus, les gênés, les complexés, les impudiques mais tous se retrouvent nus dans la communion des vestiaires.

 

Et leur sexe, que certains ne cherchent plus à cacher et qu'ils s'exposent aux autres comme à moi dans l'arrogance de leurs certitudes. Toutes les tailles sont représentées avec leur couronne pileuse et touffue. Les membres pendent, flottent, dansent dans la moiteur des lieux quand invariablement les commentaires fusent. Quelques batailles rapides et moqueuses s'engagent inévitablement que je me dois de contrôler.

 

Pendant tout ce temps je suis cantonné à mon poste, face à eux, je masque mes regards autoritaires en apparence mais surtout quelque peu voyeurs. Bien sûr je ne peux m'empêcher, même si j'aimerais le contraire, de les regarder tous.

 

 

 

Je lutte donc. Je lutte toujours et cependant je n'ai pas toujours lutté. Ou tout du moins ai-je été à deux doigts de flancher.

 

Pour être plus explicite je vais vous confier un événement duquel je n'ai jamais osé avouer ni parlé à personne.

 

 

 

Je finissais mes études à l’École Normale. J'avais obtenu pour alléger mes fins de mois un poste de pion dans un internat similaire en région parisienne. Le soir je regagnais l'établissement pour encadrer les élèves en soirée et surveiller les dortoirs la nuit.

 

En ces temps reculés, les chambrées étaient traditionnellement très grandes, 45 lycéens par pièce. Comme tous les surveillants, j'alternais chaque semaine les différents étages, donc sections, afin d'éviter, selon la direction, "une familiarité malvenue avec les élèves"...

 

 

 

J'étais déjà à cette époque attiré par l'esthétique masculine et vivais en couple avec un jeune et robuste Breton que je ne voyais qu'en week-end. J'étais très amoureux de lui. Notre histoire, bien que conflictuelle en raison du caractère très rude de mon ami, était empreinte de beaucoup de sensualité et d'amour. Bref !

 

 

Vers 2 heures du matin la porte de la cahute qui me sert d'isoloir en sein du dortoir, se mit à s'ouvrir. Son grincement m'a aussitôt réveillé. J'ai immédiatement allumé ma lampe de poche et dans son rayon j'ai vu mon  ami debout devant moi, silencieux, immobile. Muet je m'assieds sur le rebord du lit. Il était posté là, chemise de pyjama ouverte sur son poitrail velu. Il ne disait toujours rien. Ses yeux me fixaient et je me suis rendu compte que moi, j'étais en slip. J'ai couvert mon indécence de mon drap. Je suis resté muet moi aussi, tant de peur d'être entendu des autres que de casser cette étrange intimité. Ses yeux étaient embués. Il avait de la peine, au bord des larmes. J'ai éteint ma lampe.

 

D'un élan fraternel je me suis levé et l'ai pris dans mes bras. Comme un enfant il s'est blotti contre moi m'entourant de ses bras. J'ai senti à ce moment en lui comme un tressaillement, le frisson de celui qui pleure. Je l'ai serré fort contre moi lui tenant la nuque d'une main et caressant son dos de l'autre. Tout son corps était tendu et chaque muscle dorsal sous ma main était pour moi comme une inconvenance. La chaleur de son torse contre le mien répandait en moi un bonheur infini, satanique. La lueur de la veilleuse de nuit du dortoir enrobait de mystère cette scène émouvante.

 

Nous étions enlacés, muets, sincères, complices, seuls au monde. Je continuais inlassablement à le réconforter de mes caresses.

 

J'étais troublé. Je sentais malgré moi son sexe contre ma cuisse. Je ne pouvais pas ni ne le voulais bouger, prisonnier de mon doux bagne. Mon corps en émoi se rappelait à ma triste destinée. Je savais mon sexe réagir tant à mes sentiments brutalement révélés qu'à l'érotisme, la sensualité, la force et la beauté de cet homme vulnérable que je serrais dans mes bras... Il ne pouvait que s'apercevoir de ma faiblesse et pourtant me se rebellait pas. Je ne savais que faire.

 

Alors que sa voiture négociait un virage en S assez vite, faisant crisser ses pneus sur L'asphalte, Christine appuya de nouveau sur l'accélérateur alors que la route se faisait moins sinueuse. Derrière elle, dans son rétroviseur, le collier de lumières étincelantes qui délimitait St Jean Cap Ferrat s'effaçait peu à peu jusqu'à n'être plus qu'un halo doré. Avec, au dessus de la ville,

 

Une fois de plus, elle éprouva une délicieuse sensation de plénitude et de bien-être. Apaisée et rassasiée pour quelque temps, avec la certitude de passer une bonne nuit, le corps meurtri de baisers variés et virulents, les sens assouvis par des étreintes impétueuses qui s'étaient éternisées une longue nuit agitée. Et, pendant que la Départementale s'éclairait des premières lueurs naissantes de l'aube, faisant rougeoyer les cimes des arbres et les toits des villas qui bordaient la route, une partie de son esprit libre, moins concentrée sur la route, revivait en détails ce qui s'était passé au cours des dernières huit heures.

Une nuit extraordinaire. Où elle avait pu assouvir librement toutes ses pulsions irrépressibles, un exutoire à ses envies les plus folles et excessives,  des envies endiablées de sexe, de stupre, d'orgie et de débauche effrénée.

Dans un cadre de luxe et de raffinement ensorcelant, les femmes, sexy en diable, avaient fait assaut de sensualité et de perversité pour avoir le privilège de partager des instants lascifs avec les partenaires de leurs choix, hommes ou femmes. Dans cette atmosphère frénétique, les regards s'échangeaient, les attractions s'accordaient, les désirs s'entrecroisaient et la folie des sens surexcités finissait par se conclure dans un déchaînement de passions destructrices. Des scènes torrides d'une grande force évocatrice, laissant les convives donner libre cours à leur voracité sexuelle.  Et, dans ce domaine, Christine avait encore une fois dévoilé toutes ses aptitudes. Elle aimait prendre les rennes, diriger, commander, maitriser. Ressentir le trouble de son partenaire, sentir ses envies décupler, sa réserve disparaître et laisser place à l'instinct animal. Quand l' instinct de bête se déchaînait et qu'il voulait précipiter les choses... La musique de son souffle dans son cou, la vulgarité de ses termes au creux de l'oreille, la violence d'une impatience fébrile qui monte crescendo. Chauffée à blanc, elle sentait le mâle s'emporter, se laisser envahir,  là où le jeu risquait fort de tourner au court… C'est à ce moment qu'elle se régalait de reprendre le dessus pour pondérer gentiment son ardeur. Recadrant son partenaire pour l'amener là où elle voulait, selon ses caprices. C'était un jeu viril où les guerriers sont à armes égales. Et inutile d'être exclusivement un homme pour cela, une guerrière de l'amour pouvait se révéler aussi redoutable et compétente, et cela flattait son égo de prendre de l'ascendant sur des mâles. Christine, par son look de garçonne et ce mélange de sex-appeal furieusement féminin, savait se démarquer et imposer sa loi. Tantôt elle se durcissait ou s'adoucissait, jouant à les faire languir, les conduisant vers la voie la plus intense des plaisirs. Et leur sexe ? Là aussi c'était la surprise la plus totale, le piment du hasard. Elle ne savait pas comment était bâti l'homme, s'il était musclé ou frêle,  poilu ou imberbe, avec une verge de petite taille, normale ou démesurée, précoce ou endurante, mais elle le regardait seulement  comme un pur objet de plaisir, dont elle savait exploiter le meilleur, qui pouvait la satisfaire, et seul le final comptait.  C'était tout cela le piquant et le sel de ces rencontres sans lendemain, pour le plaisir d'une nuit. 

Pour les femmes, mêmes attentes et curiosités, mais des plaisirs différents. Et des odeurs riches et variées. D'autres sensations... Clitoridienne ou vaginale ? Les deux ? Toujours des découvertes grisantes et tant d'extase. Elle ne s'en lassait jamais. Elle savourait toujours avec le même enthousiasme cette part sauvage et spontanée que la femme livre dans les affres du plaisir. Tombant les masques, baissant les armes, se dévoilant corps et âme, exposant son vrai visage, sa vraie personnalité, emportée par ce qu'il y avait de plus intuitif et primitif. Se débarrassant enfin des barrières sociales et des apparences... Le plaisir à l'état brut, sans artifice, et elle était douée pour les emporter très loin, les obligeant à dépasser leurs limites, avec frénésie et fureur. Avec, elle devait le reconnaitre, une vraie préférence pour les femmes, pour toutes ces raisons, sans oublier cette part de masculinité en elle qui lui permettait de détenir le pouvoir et d'exploiter à merveille d'autres facettes de leurs désirs les plus secrets.

 

 

 

Je m'allongeai sur mon lit de solitude, repensant à cette étrange visite, essayant de comprendre, de le comprendre.

 

Ce faisant ma main avait rejoint mon traite de sexe. Mon émoi était toujours aussi fort. Imperceptiblement le diable envahit mon esprit d'idées impures que je ne pus chasser qu'en exorcisant mon mal en me faisant du bien.

 

 

 

Après cette nuit et ce moment platonique les jours reprirent leur monotonie. Nous continuions à avoir les mêmes rapports de surveillant à élève, je m'y efforçais, sans jamais évoquer cette effusion.

 

 

 

L'année terminée, il quitta le lycée, baccalauréat en poche. Il sortit ainsi brutalement de ma vie mais jamais de mon esprit.

 

 

 

Terriblement troublé par cette aventure, je pensais souvent à lui, à cette communion.

 

Durant les vacances, au détour d'une rue chaude de Paris, un jeune prostitué m'aborda. Il avait, comme un revenant, des airs de mon ancien ami. Même silhouette puissante, même visage d'homme dans une tenue d’adolescent. Poussé par une curiosité tant nostalgique que malsaine, je l'ai suivi. Ce fut ma seule et unique expérience tarifée.

 

 

 

J'ai beaucoup appris de cette aventure, j'ai réussi à poser mes barrières, à cloisonner mon âme, à me renforcer.

 

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Ainsi, je vous laisse découvrir de nombreuses photos où la candide Samantha se

 

Samantha. Ange ou démon ?   

 


       

 

D’autres photos et récits lesbiens avec Nicky Gloria ici : http://divineinnocente.onlc.fr/  

 

Ou quand des femmes mariées se laissent séduire par des lesbiennes… Hot et intense, pour enflammer votre imagination !  

 

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toute attente, aprés quelques réticences, Samantha va lui céder, se pliant à tous ses caprices.  
Une débauche de luxure débridée…  
Samantha, suite à une dispute avec son compagnon, se réfugie chez une collégue de travail. Elle sait que celle-ci, Margaux, est une lesbienne et    fantasme sur elle depuis longtemps, mais elle sait aussi que celle-ci ne lui refusera pas l’asile. Evidemment, alors que Samantha est seule dans la chambre d’ami, en simple peignoir, Margaux   
Terriblement torride…  
qui subit les assauts d'une lesbienne déchaînée, prête à tout pour l'initier aux délices de Lesbos. Duel intime entre une hétéro et une lesbienne...

Deux femmes. Deux soeurs. Un amour Interdit. Sensuel et bestial où l’aînée, décomplexée et exubérante, initie sa jeune demi-soeur aux plaisirs lesbiens avec une ampleur et une puissance électrique. Un film chaud, amoral, où il y’a une magie intense, un vrai abandon…

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Virginie a un appétit monstrueux. De vie, de femmes, de sexe. Des conquêtes éphémères qui sont là pour assouvir des pulsions incontrôlables et insatiables. Alors elle ne peut repousser trop longtemps son attirance pour sa jeune demi-sœur, Elisa, dont la timidité et la fraîcheur la troublent. Et, l’accueillant chez elle parce que Elisa vient de se disputer avec son petit-ami, elle en profite pour la rejoindre au milieu de la nuit, nue et pulpeuse, la femme dans toute sa tentation…

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Des regards troublés, chargés de désir, d’une excitation incroyable, avec des corps en sueur et des respirations haletantes qui trahissent un désir primitif, sauvage, qui s’autorise tous les interdits alors que la ligne rouge est franchie…

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Deux femmes. Deux sœurs. Un amour Interdit. Sensuel et bestial où l’aînée, décomplexée et exubérante, initie sa jeune demi-sœur aux plaisirs lesbiens avec une ampleur et une puissance électrique. Un film chaud, amoral, où il y’a une magie intense, un vrai abandon… 

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Deux êtres qui s’attrapent, se lèchent, se sucent, se mangent sans laisser aucune miette de ce divin festin. La chair est brûlante et exacerbée mais elle est surtout un abandon en dehors duquel plus rien n’existe. Une passion dévorante et dévorée, grignotée insidieusement par Virginie qui n’obéit à aucune régle et aucune limite et va donc utiliser un gode pour repousser plus loin les excès d’un amour interdit.

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Elisa, dans les bras experts de sa sœur, connait un abandon total, un plaisir inouï, qui va lui permettre de se libérer et s’émanciper, le frisson de l’interdit et la révélation de sa vraie nature.

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Deuxième sujet de préoccupation : Mélanie. Cette fille, je l'ai dans la peau, et il me tarde déjà d'être dans ses bras. Malgré mes remords, je n'ai pas la force de rompre, j'ai réveillé une tornade incendiaire que je n'ai pas envie d'abandonner en si bon chemin. Il est hors de question qu'une autre femme cueille ce jeune fruit gorgé de vie, de vigueur, et en retire tout le bénéfice. Elle est à moi, je veux la former à ma façon, avec patience, avec délectation. Pendant toute cette semaine, l'univers entier s'est focalisé dans ma chambre où nous faisions l'amour, mangions et dormions pour reprendre des forces, angoissées de nous interrompre lorsque nous n'en pouvions plus et impatientes de recommencer le plus vite possible. Il m'en a fallu de l'énergie et de l'endurance pour la combler, et me remémorer nos acrobaties sexuelles me persuade que cela vaut largement les plus grands exploits sportifs. Mélanie m'a confirmé que le corps d'une femme réserve toujours plein de trésors, de tendres secrets, de plaisirs insoupçonnés, et que je suis loin d'en avoir fait le tour. La femme restera un paradis plein de mystère, révélant d'incroyables merveilles et de nouvelles richesses qui ne cesseront de m'étonner. C'est pour cette raison que je n'ai jamais su me contenter d'une seule femme, et Mélanie n'y échappera pas, il me faudra briser notre relation lorsque j'aurai fini d'exploiter tout son potentiel érotique, et avant que les sentiments s'y mêlent. L'idée de me séparer d'elle me paraît difficile. En effet il me sera pénible de renoncer également à cette façon qu'elle a de me contempler, avec un mélange d'exaltation et de dévotion qui me rend si belle et si désirable. Michèle avait ce même regard émerveillé, et c'est peut-être l'une des raisons qui m'a poussée à les garder si longtemps. Quoi qu'il en soit, je ne dois pas me laisser gagner par cette admiration qu'elle me voue. Mélanie s'est réellement attachée à moi, se jouant de toute prudence pour accumuler les rendez-vous clandestins, et à chaque fois je m'empresse d'y répondre trop vite. Je sais que cela est mal, la culpabilité devrait m'étouffer, je trahis honteusement un ami très cher, mais braver l'interdit  rend ce péché encore plus irrésistible. Aussi, pour éviter toute débat moral, je fuis carrément Jean-Christophe, ne pas le voir est tourner le dos à ma mauvaise conscience, les choses sont plus simples ainsi. Le présent est au plaisir, après j'aurai tout le temps pour me débattre avec ma morale et les conséquences de mes actes. De plus, je fais tout pour préserver leur mariage, ayant établi dés le début de ma relation avec Mélanie une règle sans appel : quoi qu'il arrive, elle ne doit commettre aucun acte irréfléchi, quitter son mari par ma faute, ou lui avouer son infidélité. C'est la condition sine qua non  de notre liaison. Mélanie s'est pliée à mon exigence, car elle tient trop à moi. Avec de la chance, Jean-Christophe ne sera jamais au courant. J'essaie de m'en convaincre lorsque j'arrive au "Paradisco". Pourquoi cet hôtel ? Tout simplement parce que je sais, de source sûre, que Salma est revenue sur la côte pour quelques jours, et séjourne actuellement dans cet hôtel. Une rencontre fortuite avec elle me ferait plaisir, je suis curieuse de la revoir et d'avoir de ses nouvelles.

 

    

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Anne Klein est déjà présente, entourée de deux jeunes femmes qui semblent s’amuser de toutes ses facéties. Anne sourit, heureuse, gracieuse, observant tout ce qui se passe avec verve et ironie. Elle est vêtue simplement d’une longue robe de lin transparente, façon Égypte ancienne, qui révèle ses ravissantes formes dans un érotisme très suggestif. Un large collier dissimule à peine ses jolis seins. Une perruque noire, aux reflets outremer, met en valeur ses grands yeux bleus malicieux et la finesse de son visage enfantin, un visage qui allie ce qu’il y a de plus pur chez une femme, de noble et de délicat, et que vient démentir sa tenue osée. Ce contraste ne la rend que plus touchante et troublante, femme-enfant au charme ambigu. Elle inspire d’emblée confiance, par sa fantaisie et sa franchise. Rien n’échappe à son regard, elle commente tour à tour avec beaucoup d’esprit l’arrivée triomphante de Napoléon, de Jeanne d’Arc, d’un chef gaulois et d’un viking, ou de personnages littéraires comme la gitane Esmeralda, magnifique métisse qui fait grande impression. Anne surprend son auditoire en dévoilant avec une facilité déconcertante certains secrets inavouables qui se dissimulent derrière toutes ces personnalités. Elle semble connaître presque tout le monde, et c’est avec cynisme qu’elle se moque gentiment, se divertissant de ce mélange folklorique et incongru où chacun minaude et se pavane dans une agitation excessive. À mesure que les invités entrent dans le séjour, un drôle de majordome annonce leur nom d’une voix forte et solennelle. Il est habillé d’une façon assez maniérée, avec une chemise à poignets mousquetaires, un gilet de fantaisie aux couleurs fluorescentes et un nœud papillon à fleurs. La foule déjà en place applaudit à chaque fois, admirative devant les costumes ou impressionnée de reconnaître certaines personnalités importantes. Les invités traversent lentement tout le rez-de-chaussée, une vaste salle de 200 m² environ, pour atteindre ensuite une estrade de jade où sont royalement installés sur un trône d’ivoire les maîtres de la cérémonie. Là, les convives s’inclinent et font la révérence. Les paroles d’Anne deviennent plus acerbes lorsque, sur l’insistance de ses compagnes, elle s’attaque à leurs hôtes, un couple étrange, costumé de façon différente, dans un style aussi baroque qu’incohérent. Elle commence par l’homme :

 

— … Vous pouvez constater qu’Anthony a une tenue de circonstance. Un empereur romain, Caligula sans doute, qui fut un empereur aussi décadent que débauché. Nous pouvons dire ici que l’habit fait le moine…

 

Les deux femmes qui écoutent Anne pouffent de rire. Cette dernière continue sur sa lancée, parlant avec emphase, d’un ton précieux, imitant les manières raffinées de l’aristocratie très largement majoritaire dans cette foule colorée.

 

— Entrer dans son univers, c’est franchir une dimension complètement folle et démesurée. Anthony est un virtuose, c’est là une qualité qu’on ne peut lui retirer. Mais ses idées subversives lui donnent-elles le droit de propager une vision triste et éculée de l’autre monde, celui des hétérosexuels ? Voilà une question, chères amies, qu’il nous faudra débattre un jour.
— Et sa sœur, parle-nous d’elle ! C’est un drôle de numéro, celle-là. Dans le genre marginal, elle bat tous les records ! intervient sa voisine de droite, une brune potelée déguisée en fée.
— Sa demi-sœur, corrige Anne. J’y viens… Je vous présente donc la championne toutes catégories du mauvais goût et de la provocation, celle qui défraie les journaux à sensation par ses frasques nocturnes, et tous les vices qu’on lui connaît ne sont que la partie visible de l’iceberg… Croyez-moi, mieux vaut en rester là.

 

La brune potelée réagit encore :

— Elle s’est fait dernièrement l’actrice Nicole Vivier. Les rumeurs précisent qu’elle n’a pas dit non très longtemps et qu’elle y a vite pris goût.

— Nicole Vivier ! Tu rigoles ou quoi ! Elle est mariée à l’un des plus gros promoteurs immobiliers de la Côte !

 

C’est son amie qui vient de s’étonner de la nouvelle. C’est une grande maigre aux cheveux teints en vert, assez jolie, les bras minces encombrés de lourds bracelets, le front cerné d’un bandeau serti de chaînes qui tombent des tempes jusqu’aux épaules, le cou surchargé de colliers métalliques qui s’entrechoquent, et tous ses apparats tintent joyeusement au moindre petit pas, au moindre hochement de tête, ce qui est le cas alors qu’elle s’agite avec scepticisme.

— Et alors ? L’un n’empêche pas l’autre. Sandra sait y faire, au lit, je n’ai jamais entendu de femmes se plaindre de ses méthodes, même si elles ne sont pas très catholiques ! C’est le résultat qui compte, on ne change pas une formule gagnante !

 

La femme aux cheveux verts regarde son amie d’un air soupçonneux :

— Dis donc, me dis pas que tu as tenté l’expérience avec elle, ou c’en est fini de notre relation, et tout de suite !

— Arrête, ne te mets pas des idées pareilles en tête, je ne t’ai jamais trahie ! C’est vrai, sur la tombe de ma mère !

— Ta mère ! Tu te moques de moi ! Encore hier soir elle était à la maison, et elle nous a vidé tout le frigo !

 

Toutes deux se chamaillent tendrement sous le regard amusé de leur amie. La brune potelée se tourne enfin vers elle.

— Excuse-nous de cette petite interruption, mais Stéphanie a le don de m’exaspérer. Tu en étais où déjà ? Ah, oui, Sandra et ses mœurs dépravées ! Hum, tout un programme, j’adore ce genre de discussion…

 

Anne grimace un sourire méprisant.

— Arrêtez de fantasmer sur ses talents de lesbienne irrésistible. Sandra est juste une chienne en chaleur, mais, contrairement aux animaux, c’est chez elle un état permanent. Et pour Nicole, elle n’a aucun mérite de l’avoir dévergondée, il faut d’abord connaître les tenants et les aboutissants de l’histoire. Sachez donc que Nicole a enfin réalisé qu’elle était cocue depuis de longues années, que ses amis et sa belle-famille étaient au courant mais se gardaient bien de la prévenir, et c’est sans aucun doute par dépit qu’elle s’est laissé entraîner dans son lit. Voilà, Sandra était là au bon endroit au bon moment, fin de la discussion.

 

La grande femme aux cheveux verts ne semble pas d’accord.

 

— Dis, si toutes les femmes déçues ou trompées par les hommes devaient se jeter dans les bras de la première femme venue, crois-moi qu’il n’y aurait plus beaucoup d’hétérosexuelles dans le monde. Je ne suis pas contre, mais je ne pense pas que ce soit le cas ici. Nicole a couché avec Sandra parce qu’elle en avait réellement envie, tout simplement. Et il faut cesser de baver sur son compte, t’es plutôt dure avec elle ! Elle traîne derrière elle une sale réputation, on dit les pires horreurs, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut prendre tous ces ragots pour argent comptant. J’ai lu pas mal d’articles la concernant, et je peux vous dire qu’elle en a bavé. La vie ne lui a pas fait de cadeaux, je ne souhaite à personne d’endurer ce qu’elle a enduré.

 

Anne lui jette un regard agacé. Son exaspération est aussi palpable qu’un orage sur le point d’éclater. Stéphanie est adorable, mais d’une bienveillance excessive, croyant toujours en la bonté de l’âme humaine, guidée par une incorrigible compassion qui lui fait partager les soucis et les peines de toute personne qu’elle rencontre, même les plus viles. En d’autres circonstances, c’est là une qualité qui l’honore, mais pas lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi sensible que celui-ci. Par amitié, elle se contrôle, se contentant de prendre un air tout juste catastrophé.

— Oh, la pauvre Sandra ! Elle a tabassé à mort la maîtresse de son mari à la sortie de son boulot et a été inculpée de coups et blessures, mais ce n’est pas de sa faute ! On l’a arrêtée plusieurs fois pour conduite en état d’ivresse, excès de vitesse, exhibition sur la voie publique, consommation de drogue, et je dois en oublier certainement, mais elle n’y est toujours pour rien ! C’est une victime innocente de notre impitoyable société, pauvre petite fille riche, c’est vrai que ce n’est pas facile d’avoir des parents milliardaires !

Stéphanie ne dit rien, consciente de s’être aventurée sur un terrain épineux. Elle adore trop Anne pour la contrarier. Son amie est rarement cynique, elle a tout sauf un cœur de pierre, et elle doit avoir ses raisons pour détester Sandra. Pour détendre l’atmosphère, Stéphanie s'apprête à sortir une boutade, mais une clameur monte soudain de la foule. Les personnes qui se situent près du hall d’entrée reculent brusquement. Un cow-boy d’une soixantaine d’années avance, tenant par les rênes un magnifique cheval à la robe noire et luisante qui, levant haut les pattes, fait tinter bruyamment ses sabots sur le marbre du salon. C’est un animal fougueux, la tête haute, les muscles frémissants, il se cabre un instant pour manifester sa nervosité, mais l’homme le maintient solidement. Une femme pousse un cri effrayé, sa compagne la prend dans ses bras pour la rassurer. Des murmures de surprise accompagnent la progression de la monture et du cow-boy. Ce dernier, avec ses longs cheveux gris maintenus par une queue de cheval, a de la prestance, et surtout la verdeur et l’allant d’un homme beaucoup plus jeune. Il s’arrête à quelques pas d’Anthony et de sa sœur, ôte son chapeau et s’incline d’un geste théâtral.

 

— Veuillez accepter ce modeste cadeau en gage de notre amitié.

Anthony se dresse d’un seul élan et claque ses mains l’une contre l’autre comme un gosse surexcité. Sa tunique de soie pourpre renvoie des chatoiements colorés à chacun de ses mouvements. Il trépigne sur place, pris d’une agitation fébrile, riant et s’exclamant, et ceux qui ne le connaissent pas pourraient croire qu’il en fait trop, mais Anthony est ainsi. À côté de lui, Sandra s’est également levée, abandonnant les poses alanguies et profondément ennuyées qu’elle affichait jusqu’ici. Elle est maintenant sur des charbons ardents, repousse d’un air agacé la servante qui agite près d’elle un éventail en plumes d’autruche, et semble quêter du regard une autorisation de son frère. Il en est conscient et lui accorde sa bénédiction d’un léger hochement de la tête. Elle se précipite en avant avec un cri victorieux et monte sur le cheval d’un seul bond léger, saisissant fermement les rênes, enserrant de ses jambes musclées les flancs de l’animal qu’elle fait pirouetter impatiemment. Sandra est habillée en guerrière amazone, et sa tenue se prête admirablement à la situation tandis qu’elle chevauche sa monture, essayant de la maîtriser alors que celle-ci rue brusquement avec un hennissement de protestation. L’animal baisse la tête, décoche en tournant sur lui-même de furieuses ruades en direction de la foule, et la clameur terrifiée qui monte de celle-ci le rend encore plus nerveux. Il se dresse d’un seul coup, si haut qu’il donne l’impression de basculer sur le dos, puis ses sabots de devant retombent lourdement sur le marbre. Sandra réussit enfin à le calmer et le conduit à l’extérieur. Docile, le cheval se laisse mener.


Les invités applaudissent avec effusion, les plus courageux se bousculent dehors, excités à l’idée d’assister à une exhibition spectaculaire. Ébahis, ils sont en effet témoins d’une démonstration impressionnante, contemplant le cheval et sa cavalière qui ne semblent faire qu’un, dans une harmonie parfaite. L’animal part plus vite que le vent dans un galop effréné. Couchée sur l’encolure, Sandra excite sa monture de paroles encourageantes pour accélérer l’allure. À bride abattue, elle s’éloigne des lampadaires qui éclairent l’entrée du parc pour disparaître dans la pénombre, comme avalée par la nuit. Soudain, le cheval réapparaît, jaillissant dans la lumière, et Sandra semble sur lui si petite qu’elle en est à peine visible. Elle le dirige sans hésitation droit sur une haie de buis, donnant des coups de talons pour l’amener à un rythme excessif devant l’obstacle. Pendant un bref instant, le temps semble s’être arrêté, l’image figée, comme si le cheval et sa cavalière étaient suspendus en l’air, stoppés en plein élan. Le choc sourd de l’étalon qui atterrit de l’autre côté de l’obstacle ramène les spectateurs à la réalité, c’est avec soulagement qu’ils crient des hourras triomphants. Sandra est restée en parfait équilibre sur sa selle, accompagnant l’envol de l’animal avec une maîtrise stupéfiante. Enfin, elle se décide à rentrer, obligeant le cheval à allonger sa foulée dans un mouvement rythmé, et ce avec un tel sens artistique, que la plupart des spectateurs en restent encore abasourdis. Avec regret, elle le laisse au vieux cow-boy puis rejoint son frère. Un mouvement admiratif l’accompagne, certains laissent exploser leur joie avec exubérance, d’autres la suivent des yeux, sans voix. Elle ne manifeste aucune bravade d’être devenue le centre d’intérêt, elle a fait ce dont elle avait envie, tout simplement. Elle est le genre de femmes à satisfaire ses caprices et assouvir ses désirs sans rendre de comptes à qui que ce soit, à n’en faire qu’à sa tête, habituée qu’elle est à ne jamais se priver. Elle roule des hanches comme d’autres roulent des mécaniques, avec une indifférence cynique. Avant de s’asseoir, elle administre une tendre fessée sur le joli postérieur d’une jeune femme qui était sur son passage, et devant l’air offusqué de celle-ci lui adresse un clin d’œil égrillard.


— Pas de doute, Sandra c’est la grande classe ! constate Anne avec dégoût.

Ses amies trouvent cela au contraire assez drôle.

— Pour une fois que c’est une femme qui se la joue macho !
— C’est vrai, voilà une nana bien dans son corps, bien dans sa tête, et bien dans son cul ! Cela fait plaisir à voir !

Anne préfère ne pas répondre et se contente de hausser les épaules. Ses yeux brillent d’une haine contenue lorsqu’elle fixe Sandra avec insistance. Cette dernière, inconsciente des sentiments contradictoires qu’elle suscite, a repris ses attitudes nonchalantes et lascives, les jambes croisées. Hautaine, elle salue de manière distraite les invités qui défilent. À sa droite est posé un guéridon sur lequel sont disposées coupes et assiettes remplies de gâteaux apéritifs, elle pioche dedans sans regarder et grignote avec gourmandise, se léchant goulûment les doigts. Il se dégage de toute sa personne une aura vénéneuse, à la fois malsaine et voluptueuse. Elle fascine et électrise de sa seule présence, avec plus de charme que de beauté. Le visage anguleux semble taillé au scalpel, dur, rigide, avec un teint pâle presque maladif, mais le tout est adouci par des yeux intenses, bruns avec des paillettes d’or, qui brûlent d’un feu secret, avec la même fièvre qu’un oiseau de proie. Sa mâchoire est trop forte, son nez légèrement busqué, mais une bouche proéminente apporte de la féminité et une arrogance charnelle. De longs cheveux blond

croulent sur ses épaules, avec des mèches soyeuses qui tombent sur son visage, voilant la lueur prédatrice de son regard. Son apparente rêverie lui donne les allures sournoises d’une lionne assoupie. Ses airs langoureux ne trompent personne. Tous connaissent son impétuosité, ses appétits pervers, son long corps souple et nerveux, son caractère de sale garce et de grande gueule qui fait fuir les hommes ventre à terre. Tout le monde l’a vue à la télévision ou dans les journaux, elle est la star maudite du rock, la chanteuse sexy et irrespectueuse qui choque et scandalise. À travers ses chansons, elle règle ses problèmes contre la société, se venge des hommes, méprise l’autorité et crache sur le pouvoir, revendique haut et fort son homosexualité, parle de sexe, de drogue, du droit à la différence. Ses manières franches et crues ne plaisent pas davantage, mais elle a un talent incontesté qui séduit une jeunesse rebelle, et son style outrancier fait le charme du personnage. Elle ne laisse pas indifférente, et cela fait vendre. La tenue qu’elle porte n’est pas faite non plus pour passer inaperçue, son déguisement d’amazone est très déshabillé et lui confère une apparence dominatrice, laissant entrevoir son ventre plat et, sous le nombril marqué d’un piercing, un large tatouage d’anaconda. Anne cesse un instant son examen sévère, distraite par une jolie serveuse qui porte des coupes de champagne sur un plateau. Elle se sert, aussitôt imitée par ses deux compagnes. L’une d’entre elles observe avec curiosité la jeune femme qui continue son service.


— Ne travaille-t-elle pas au Sapho Club ?

Anne confirme :


— Si, elle dispense ses faveurs aussi vite qu’elle sert l’alcool. Si tu veux une fille facile, c’est elle qu’il faut choisir, mais attends-toi à un service express sans la moindre qualité !

Toutes deux gloussent et s’enlacent amoureusement.


— Plus la peine, j’ai trouvé mon bonheur !

Anne les observe avec une certaine tendresse. Comme elle les envie ! Julie et Stéphanie filent le parfait amour depuis six ans. Anne les fréquente depuis de nombreuses années, elles se sont toutes les trois connues en Terminale. Julie s’est démarquée très tôt en portant costard et cravate au lycée, affichant sa différence lorsqu’elle hésitait encore entre les garçons et les filles, mais avec déjà une grande prédilection pour ces dernières. Son choix définitif étant fait, elle est passée par plusieurs étapes, avec des remises en question, avant d’affirmer son homosexualité par ses tenues vestimentaires, exhibant piercings et pantalons militaires, et adoptant une posture agressive pour mieux se distinguer des autres, les hétérosexuels. C’est ainsi que Stéphanie a compris vers où s’orientait la libido de son amie et a pu la séduire sans crainte. Son parcours à elle fut différent, plus prudent, elle venait d’un petit village de l’arrière-pays niçois où être homo était mal vu, honteux et tabou. Pour Stéphanie, il était donc normal de dissimuler sa différence, et elle a gardé cette attitude en s’installant à Cagnes sur Mer, même si elle fut rassurée de constater que dans les grandes villes les homos étaient mieux acceptés et avaient leurs propres lieux de rendez-vous. Elle vit sereinement sa sexualité, sans montrer ses tendances, sans s’en cacher non plus, ayant trouvé dans l’amour une totale plénitude. Anne admire ce juste équilibre que chacune a su établir. Elle n’a jamais eu cette force de caractère pour être en paix avec elle-même, ayant le sentiment d’être rejetée, une étrangère dans un monde hostile. Son humour exubérant est sa façon à elle de se protéger, de prendre du recul, d’observer la vie avec dérision. Fragile, d’une extrême sensibilité, elle s’évade dans ses créations artistiques, rêvant au grand amour qui finira un jour par frapper à sa porte. Sa solitude affective lui pèse énormément. Anne pense avec amertume aux seuls vrais instants où elle fut complètement heureuse. Avec Christelle... Avec l’amour elle se sent belle, forte, invulnérable, et elle peut affronter tous les obstacles, soulever toutes les montagnes. Anne se secoue, repoussant avec vigueur les doutes et les incertitudes qui viennent de l’assaillir. Elle ne va tout de même pas broyer du noir à l’une des soirées les plus prestigieuses de ce début d’été ! Elle est là pour faire la fête et espère bien se laisser griser par les fastes et les magnificences qui vont se succéder jusqu’au lever du soleil. Ce n’est pas Sandra qui va lui gâcher son plaisir. On leur a promis mille surprises - avec Anthony on peut s’attendre à tous les excès - et elle compte bien savourer chaque instant avec délectation. Elle jette un regard curieux tout autour d’elle, en quête d’un amusement quelconque. Les occasions ne manquent pas. Elle s’attarde brièvement sur les membres de l’orchestre qui, au fond de la salle, finissent d’installer leur matériel, mais préfère plutôt se concentrer sur le hall d’entrée. Elle observe le Marquis de Sade qui tient enchaînée l’une de ses esclaves, faisant battre le fouet devant lui pour la faire avancer plus vite. Devant ce spectacle, Sandra réagit vivement, elle se redresse de son siège et les contemple avidement, se passant une langue gourmande sur les lèvres. Son frère s’écrie d’une voix stridente :


— Enfin un spectacle digne d’intérêt !

Il se tourne vers Sandra.


— Ma chère sœur, ne vous mettez pas dans tous ces états, la soirée ne fait que commencer. Je suis certain qu’avant minuit vous aurez trouvé chaussure à votre pied, il y a bien dans l’assemblée une prude jeune fille à pervertir et à châtier !

Des éclats de rire fusent de toutes parts. Sandra ne relève pas, le regard fixé vers le fond de la salle. Une superbe noire, le visage empreint d’une grande dignité, s’approche d’une démarche chaloupée et se soumet au protocole, avec un sourire narquois. Elle a de l’allure, le port altier d’une princesse de légende. Stéphanie, intriguée, sollicite des informations sur cette sculpturale africaine. Anne satisfait sa curiosité, avec pour la première fois un profond respect :


— Le destin de cette femme est exemplaire et a fait couler beaucoup d’encre, il y a quatre ou cinq ans de cela. Elle a été condamnée à mort dans son pays et doit la vie sauve à une vaste campagne de mobilisation internationale.
— Elle a commis un meurtre ?
— Non, son seul crime a été d’aimer une femme. On l’a accusée d’homosexualité, et chez elle cela est passible de la peine de mort.
— Tu rigoles ou quoi ? On est au vingt et unième siècle, de nos jours ça n’existe plus ce genre de barbarie !
— Crois-moi, c’est véridique. Les circonstances sont particulières, Christelle en connaît tous les détails, elle l’a reçue comme invitée dans son émission. Pose-lui la question, tu verras !

Anne ne l’écoute pas. On vient de l’enlacer tendrement. Elle se retrouve face à un jeune homme camouflé dans une tenue en métal léger, sorte d’androïde post-apocalyptique version gay, avec des plaques multicolores qui brillent et miroitent dans des reflets irisés. Elle n’est pas surprise de sa présence.

— Julien, t’as pas trop chaud là-dedans ?
— Si, je fonds à petit feu. Et toi, que fais-tu ici ? C’est pas ton genre d’assister à ce genre de soirées, et ne me dis pas que ce sont Sandra et Anthony qui t’ont invité, je ne te croirais pas !
— Christelle avait plein d’invitations à refiler, c’est elle qui a insisté pour que je vienne. Crois-moi, maintenant je compte me divertir, même si c’est aux dépens des autres !

Julien lui dépose un baiser affectueux sur le front puis se dirige en ondulant vers un néo-punk qui ne cessait de lui décocher des œillades enflammées. Anne le suit un instant des yeux puis se détourne. Elle prête maintenant une attention toute particulière à une grande rousse qui est l’une des dernières invitées à entrer dans la salle, accompagnée de son mari. Stéphanie suit son regard et, intriguée, se presse contre elle avec une expression fébrile.



— C’est elle, Michèle ?

Julie, qui s’était un peu éloignée, surgit et hausse le ton.



— Michèle, celle qui résiste à Christelle !
— Pas pour longtemps. Qu’elle le veuille ou pas, elle aussi complétera son tableau de chasse. Christelle va se charger de la convaincre, on peut lui faire confiance… Il lui faut du temps, c’est tout. Mais la présence du mari jaloux ne va pas lui faciliter la tâche, c’est certain…
— Draguer une femme avec son mari à côté ! Quand même ! Christelle n’a peur de rien, pour une femme elle en a dans le pantalon ! Il faut lui filer un coup de main. On peut demander aux copains de se charger de l’éducation du mari encombrant, cela laissera le champ libre à Christelle. Je déteste reconnaître lorsqu’un homme est pas mal, mais celui-là est plutôt beau gosse.
— En effet, et tu n’es pas la seule à partager cet avis.

Anne signale d’un geste de la tête la présence de trois hommes qui, en face d’elles, s’agitent dans un bruissement de gloussements émoustillés et de murmures grivois. Déguisés en mousquetaires, ils ont le regard braqué sur le mari de Michèle. Anne échange avec ses amies un sourire entendu.



— Je crois que les volontaires ne vont pas manquer à l’appel pour divertir le mari gênant. Tous sont prêts à faire preuve d’un incroyable sens du sacrifice !
— Même Anthony va se désigner apte pour cette mission… Quel acte de générosité, quel dévouement ! Regardez-le se lécher les babines, même un dogue allemand ne baverait pas autant, la concurrence va être dure !
— Attention, la chasse est ouverte, l’hallali général va bientôt sonner !
Elles rient en observant avec attention tout ce qui se passe autour d’elles. Les couples homosexuels sont aussi nombreux que les couples hétérosexuels. Anne repère Claire, leurs regards se croisent et elles échangent un sourire amical. Claire saisit le bras de son mari et tous deux se dirigent dans sa direction. Leur présence n’étonne pas Anne, ils sont de toutes les fêtes, des habitués des soirées Gay Friendly qu’organise régulièrement Anthony. Ce sont des hétéros branchés, avec un look et un physique qui en imposent à leurs amis gays. Ils apprécient ces derniers pour leur sens de la fête, du spectacle, et ils ne ratent pas une occasion pour s’amuser en leur compagnie. C’est avec eux et ses semblables qu’Anne se sent réellement à l’aise, des personnes aux idées larges qui ne portent aucun jugement, aucune critique. Anne sourit en constatant l’évolution des mœurs ; à une époque ils devaient se cacher dans les ghettos pour simplement aimer, exister, et maintenant ils deviennent pour certains hétéros, dans certains milieux, des modèles à suivre. Ils influencent la mode et inspirent des choix culturels. Impossible presque de reconnaître dans l’apparence, crâne rasé et T-shirt moulant, piercings et pantalons militaires, un homosexuel d’un hétéro branché. Heureusement qu’il reste l’attitude et l’instinct, le feeling, pour faire la différence. Et certains codes entre eux pour se distinguer. Anne ne s’y est trompée qu’une seule fois, draguant une femme qu’elle pensait de son bord car elle en avait tous les signes extérieurs, et le souvenir de cet échec humiliant ne l’amuse toujours pas. Avec Claire elle avait failli également se laisser abuser, mais heureusement une amie l’avait prévenue à temps.
Claire et Fabrice la rejoignent enfin. Claire a osé la provocation glamour et folle des années trente. Robe de soie qui, à la taille, s’achève par des plumes d’autruche. En haut, un top en mousseline de soie brodée de fils d’or. Fabrice a la distinction racée des gangsters de la même époque, avec chapeau de feutre Borsalino sur la tête. Julie et Stéphanie les connaissent bien et les embrassent chaleureusement. Anne a du mal à ne pas quitter Claire du regard, et elle s’efforce de ne pas montrer son intérêt. Elle a toujours eu un petit faible pour elle. Claire est divinement jolie, avec ses boucles blondes tombant sur ses épaules délicates, son nez retroussé et mutin, sa bouche espiègle, ses yeux rieurs et son adorable minois juvénile d'une grande pureté, illuminé par sa peau claire et laiteuse. Anne détourne vite les yeux, réalisant que Fabrice l’observe avec une expression moqueuse. Elle est certaine qu’il a deviné depuis longtemps les sentiments qu’elle ressent, et cela la gêne horriblement. Pour se donner une contenance, elle boit d’un trait son verre et prend une poignée de raisins, suivant la conversation d’une oreille distraite. Son regard se perd dans la masse des danseurs, et un couple l’accroche rapidement. Michèle et son mari se trémoussent discrètement, ce dernier ayant remarqué avec dédain les trois mousquetaires qui ne cessent de tourner autour de lui en lui jetant des coups d’œil énamourés. Il les ignore, certainement habitué à provoquer des ravages chez les mâles comme chez les femmes, et il joue de son charme avec condescendance. Grand, élancé, sans une once de graisse, avec des muscles saillants qui se dessinent sous sa cotte de mailles de Chevalier de la Table Ronde, il bouge avec une aisance de félin, souple et vigoureux. Il a la beauté des séducteurs italiens, insolente, hautaine, certaine de son pouvoir et de sa suprématie. Un teint mat soigneusement bruni par le soleil, un nez aquilin, des yeux noirs perçants, la moustache conquérante, des cheveux noirs gominés et plaqués en arrière, il semble dominer sa femme avec une autorité méprisante. Cette dernière n’est ni soumise ni servile, mais elle lui obéit avec une indifférence polie, sans rien perdre de cette classe et de cette distinction racée qui la différencient des autres femmes. Sa tenue est celle d’un trappeur, avec veste et jupe en daim, et besace en agneau agrémentée de queues de ratons laveurs. Elle a l’air triste, et cela ne la rend que plus émouvante et mystérieuse. C’est sans un mot qu’elle le suit alors qu’il lui fait signe de regagner le buffet. Il ne souhaite pas la laisser seule, gardant un œil jaloux sur ce qu’il considère comme sa propriété. Julie les observe également, collée à Anne.
Puis vient évidemment le show de la soirée. L’interprétation de Sandra, qui chante les deux meilleurs morceaux de son dernier album. Avec son style très particulier, à la fois déjantée et lascive, déchaînée et impudique, Sandra subjugue son public, mêlant harmonieusement guitares électriques et synthétiseurs. Elle laisse ensuite sa place à la divine Léa Ruiz qui avait déjà fait grande impression lors de son entrée, superbement déguisée en jeune paysanne à la fois ingénue et voluptueuse. Il s’agit là d’un tout autre registre, ambiance feutrée, calme et volupté, rythmes langoureux et tempos sensuels pour une chanteuse éclectique, aussi à l’aise en interprétant du jazz que de la pop. Elle illumine souvent de sa présence le Festival de jazz de Juan-les-Pins. Léa est une magnifique brune au charme envoûtant. Elle doit ses yeux bleus à son père breton, et son teint mat, sa longue chevelure brune et ses formes plantureuses à sa mère corse. Un héritage détonant pour une plastique parfaite qui déchaîne les passions les plus sauvages. On ne lui connaît aucun vice, à la grande déception de ses nombreux admirateurs et de Sandra qui ne rate pas une occasion pour essayer de la corrompre.
Anne laisse ses amies pour se servir un autre verre lorsque la musique change radicalement de rythme, plus classique, pour donner le ton au défilé qui prend la suite. De jeunes et jolies femmes descendent d’un pas mesuré un large escalier, atteignent la dernière marche, pivotent sur elles-mêmes, les mains sur les hanches, et remontent en croisant leurs compagnes, toutes indifférentes au tonnerre d’applaudissements qui les accompagne tout au long de la présentation. Malgré elle, Anne se laisse entraîner par ce tourbillon d’émotions, de couleurs flamboyantes, de musique lancinante et envoûtante, un spectacle aux accents lyriques auquel il est difficile de résister. Au bas des escaliers, le vieil homme déguisé en cow-boy suit le défilé d’un regard vigilant, l’air sévère.

— N’est-ce pas le couturier Jean-François Chelton ?
C'est Julien qui vient de lui poser la question, sirotant à ses côtés une boisson alcoolisée.
Anne acquiesce.

— Lui-même. L’un des derniers mythes vivants de la haute couture française. J’adore son style, il a toujours bouleversé les tendances, en quête permanente d’un absolu. C’est un génie, toutes ses créations sont de pures merveilles !
— Un génie qui a la grosse tête. À chaque fois qu’il apparaît à la télé, c’est pour piquer des crises de colère et rembarrer les journalistes. Je ne l’aime pas et, si tu veux mon avis, je ne suis certainement pas le seul à partager cet avis.
— Ne te fie surtout pas aux apparences. Il est à l’opposé de l’image qu’il donne. Il est gentil, cultivé et drôle. Comme tout perfectionniste il est un peu exigeant, c’est tout.
— Et son besoin de rabaisser les mannequins qui travaillent pour lui ? Christelle m’a raconté qu’il pousse les filles à bout, jusqu’à les faire complètement craquer ! Excuse-moi, mais si c’est ça la perfection… Je me demande comment elle a pu le supporter aussi longtemps !
— Il pousse les filles à aller au-delà de leurs possibilités, à se surpasser, pour atteindre cette même perfection que lui aussi recherche. Si elles y arrivent, crois-moi qu’elles lui en sont reconnaissantes, il déborde alors d’une générosité sans limites, sa gratitude est aussi démonstrative que ses coups de gueule. Christelle n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, mais elle a vite cerné le personnage et a accepté de faire ce qu’il attendait d’elle. Tu sais, elle est loin d’être stupide, et elle a foncé tête baissée lorsque Chelton l’a repérée pour représenter sa dernière collection, une chance inouïe qu’elle a saisie aussitôt parce que des opportunités comme celles-là ne se présentent qu’une fois dans une vie. Christelle a beau être insoumise, elle a vite appris à mettre de l’eau dans son vin, même si des fois il y a eu quelques frictions. Et c’est ça qui lui plaisait à Jean-François, c’est ça qu’il a exploité, le côté farouche et révolté de Christelle, en totale osmose avec la ligne de ses vêtements. Elle est devenue l’icône de la beauté, par son mélange de naturel et de sophistication, et a créé un style unique, le sien. Comme tu le sais, son succès a été immédiat, une reconnaissance internationale qui dure maintenant depuis cinq ans, et même en ayant mis un frein à sa carrière elle est toujours aussi sollicitée. Être l’égérie de Jean-François Chelton vous marque à jamais. Christelle lui doit énormément.
L’enthousiasme illumine son visage tandis qu’elle s’emballe avec passion. Mais une ombre de tristesse vient éteindre toute flamme alors qu’il lui dit :

— Et toi aussi, non ? Tes photos ont lancé sa carrière à une vitesse prodigieuse. Et tu l’as présentée à des personnes compétentes. Tout cela elle ne l’oubliera jamais.
— Je lui ai donné un petit coup de pouce, c’est tout. Elle est tellement belle qu’elle aurait réussi de toute façon.
— Arrête d’être aussi modeste. Tes photos ont fait la une des magazines de mode, tous se les ont arrachés, tu avais ton style bien particulier pour mettre Christelle en valeur. Avec toi elle rayonnait d’une beauté violente et ambiguë, elle représentait toutes les facettes et les contrastes du charme féminin ! Tantôt femme fatale, racée et sensuelle, elle devenait l’instant d’après une femme enfant, espiègle et mutine. Rien à voir avec toutes ces starlettes superficielles et éphémères qui encombrent les défilés de mode ! Tu as su transcender et sublimer son image d’une façon inimitable !

Anne fixe le défilé sans le voir, le regard perdu bien plus loin, et c’est d’une voix aussi lointaine qu’elle répond :



— Parce que je la voyais avec les yeux de l’amour. La passion stimule l’artiste, elle a été mon chef-d’œuvre. Pour ce que cela m’a apporté…
— Ta consécration. Et ta plus belle histoire d’amour. Ce n’est déjà pas si mal.

Son visage prend une expression douloureuse, creusant quelques rides sur son front tandis qu’elle lutte contre ses émotions. Ses mains fermement serrées l’une contre l’autre se tordent nerveusement. Elle pousse un soupir amer.



— Oui, sauf que toujours en parler au passé me déprime complètement ! Je préfère le présent, et pour l’instant c’est le grand vide, l’échec total, sur le plan sentimental comme professionnel. Ruminer le bonheur passé n’est pas fait pour me remonter le moral, je vais finir vieille fille lesbienne si ça continue, et en plus aigrie et acariâtre ! La totale, quoi !

Son humour reprend le dessus. Julien l’observe avec tendresse. Il a beaucoup de sympathie pour Anne, c’est sans doute la plus sincère et la plus attachante des femmes de son milieu, elle est restée nature, authentique, en retrait des manières hypocrites et superficielles. Elle se joue des convenances et croque la vie avec beaucoup d’humour et de justesse, et cela est d’autant plus admirable que cette allégresse apparente cache une immense blessure. Anne est toujours pourchassée par les fantômes de son passé et en reste profondément fragilisée. Photographe de mode très brillante, elle a un mal fou à gérer ses problèmes personnels, et ses aventures amoureuses tournent le plus souvent au fiasco. Elle est assez bohème très rêveuse, et son détachement des valeurs matérielles ainsi que son caractère autonome provoquent évidemment quelques soucis relationnels qui portent ombrage à sa carrière, mais Anne l’assume complètement, résolue à défendre sa liberté créative. Elle a du mal à renouer avec la passion. Depuis Christelle qui fut une révélation à l’état brut, un modèle parfaitement maîtrisé par une photographe en état de grâce, Anne n’a plus jamais atteint la même exaltation, et elle se repose maintenant sur ses lauriers avec une certaine indolence. Julien est persuadé que seul l’amour pourrait l’aider à se relever, Anne a besoin de cette force pour être rassurée et épanouie. Il la soupçonne d’avoir toujours des sentiments très profonds pour Christelle, c’est une femme que l’on n’oublie pas facilement, et Anne est beaucoup trop romantique pour tirer un trait définitif sur ses plus beaux souvenirs. Sa deuxième grosse déception amoureuse est récente et n’a fait que la perturber davantage. Il n’en connaît pas les détails, mais il sait que la rupture fut très pénible. Anne dissimule parfaitement ses sentiments, elle se confie à peu de personnes. Elle scrute toutes les silhouettes et les visages qui l’entourent, apparemment à la recherche de Christelle. Indifférente au défilé des mannequins qui présentent toujours la dernière collection du grand couturier. C’est un festival de couleurs chatoyantes, un chic bourgeois qui réinvente la féminité, alliant élégance et raffinement, mais cette abondance de luxe clinquant finit par la lasser.

Son regard est attiré par une foule compacte et bruyante qui vient de se regrouper au fond de la salle. Tout cela sent les intrigues et le complot, surtout avec Sandra au milieu qui semble être la meneuse, s’agitant et donnant des ordres avec une fébrilité communicative, comme un chef de meute organisant ses troupes pour l’hallali. Tout ce petit monde emprunte soudain le long escalier qui mène à l’étage, entraînant à sa suite la pulpeuse Léa qui paraît un peu désorientée, comme hésitante. Son mari est également de la partie, tête basse et épaules voûtées, comme si un lourd fardeau venait de lui tomber dessus. Intriguée, Anne se décide à les suivre. Cela ne lui dit rien de bon. Julie l’attrape par le bras alors qu’elle s’éloigne.

Où vas-tu ?
— Voir ce que mijote Sandra. Elle prépare encore un sale coup.
— Génial ! Je viens avec toi.

De la porte ouverte leur parviennent des exclamations et une agitation confuse. Julie et Anne pénètrent à l’intérieur d’une somptueuse chambre. Un spectacle insolite s’organise au fond de la pièce, sur une estrade où un superbe athlète roule des muscles, se pavanant devant une foule agitée qui s’écrie et marchande le prix.

— J’en propose 200 euros.
— 250…

Le géant brun gonfle le torse pour faire monter les enchères. Il est tout juste vêtu d’un paréo, et son corps robuste est soigneusement huilé afin de mieux faire ressortir ses muscles luisants. Sandra est présente, sur l’estrade, et elle excite les spectateurs, jouant le rôle du commissaire-priseur. Elle touche les muscles noueux de l’homme d’un air admiratif, comme pour mettre en valeur la qualité de la marchandise.

— Allons, Messieurs, ce magnifique apollon est d’une vigueur incomparable et promet une longue nuit aussi incomparable ! C’est une superbe affaire à saisir ! Il vaut son pesant d’or, ne soyez pas radins !

— 300 euros !

Le prix continue de monter. Julie et Anne se sont mêlées à la foule qui se fait de plus en plus nombreuse. Anne est abasourdie, plongée en plein délire. Elle se tourne vers son amie.

— C’est un jeu ou ils sont vraiment sérieux ? Celui qui gagne remporte vraiment le droit de coucher avec son trophée ?
— Je ne pense pas, non.

Mais Julie n’en est vraiment pas sûre. Et préfère ne pas savoir. À sa droite, un couple homosexuel qui roucoule sans discrétion relance le prix. Tous deux sont habillés en galants gentilshommes de la cour du roi, avec volants de dentelle aux manches et aux genoux. L’un d’eux s’écrie d’une voix précieuse :

— Montrez-nous la totalité de la marchandise, à savoir si la mèche est proportionnelle à la dynamite !

Son compagnon éclate d’un rire guttural, levant vers lui un regard langoureux. Sandra accepte la proposition et enlève le paréo, dévoilant un sexe qui, bien qu’au repos, garde des proportions plus que correctes. Cris admiratifs et soupirs extasiés se font entendre et, d’un coup, les enchères remontent vivement. Anne murmure :

— Pincez-moi, je rêve !

Tout est luxe et tape-à-l’œil, des tapis persans au parquet en bois admirablement ciré, du lourd rideau en velours rouge aux nombreux tableaux à connotation sexuelle. Sur l’estrade, derrière Sandra, sont assises sur de larges coussins trois autres personnes qui attendent patiemment leur tour. L’une d’elles est la superbe chanteuse Léa. Elle paraît agitée, l’air inquiet. Elle parcourt l’assistance d’un regard vacillant, se fixant sur une belle femme costumée en Reine de Saba, qui ne cesse de l’observer, lui adressant sans gêne un clin d’œil coquin. Léa se retient pour ne pas se sauver précipitamment. Elle regrette sincèrement d’être ici, maudissant son mari qui l’a entraînée dans sa chute, l’enfer du jeu qui, telle une spirale infernale, a inexorablement tissé sa toile, les engluant tous deux dans un piège inévitable. Claude Bonnet, directeur d’une banque privée, lui avait longtemps dissimulé ce mal qui le rongeait depuis de longues années : le vice du jeu. Un mal incurable, une obsession perfide et maladive où il avait tout sacrifié, la fortune familiale et celle de sa femme, n’hésitant pas à mentir et tricher avec un aplomb désarmant pour mieux tromper tous ceux qui l’aimaient et lui faisaient confiance. Ses dettes s’étaient accumulées, atteignant des sommes colossales, et il avait enfreint toutes les règles pour continuer d’assouvir sa passion. Léa avait fini par apprendre la vérité lorsqu’il avait hypothéqué la villa secondaire de ses parents, et c’est autant par désespoir que par pitié qu’elle l’avait soutenu et protégé, cherchant à chaque fois à réparer ses erreurs alors qu’il y replongeait toujours. La situation semblait définitivement perdue lorsque Sandra, apprenant on ne sait comment leurs déboires financiers, leur avait proposé une issue de secours, un odieux marché qu’ils avaient fini par accepter. Sandra se proposait en effet de rembourser la totalité de leurs dettes si Léa acceptait, durant toute une nuit, de se prêter entièrement à tous ses caprices, sexuels ou autres, et cela, sans aucune retenue. C’est un mélange d’affection et de haine pour son mari qui l’a décidée à accepter la proposition. Une leçon humiliante pour un homme inconscient et désinvolte, pour lui montrer jusqu’où ils devaient se rabaisser pour s’en sortir et rattraper ses erreurs. Ils étaient acculés au pied du mur, et elle devait maintenant payer de sa personne, et lui ravaler son orgueil de mâle bafoué pendant qu’elle deviendrait le jouet sexuel d’une bande de dépravés. Un sacrifice qui ne serait pas vain s’il guérissait du démon du jeu. Et c’est aussi par une fierté stupide de ne pas se dégonfler et montrer sa peur à Sandra qu’elle avait répondu positivement au défi que lui avait lancé celle-ci.

Et voilà, comme une idiote elle se retrouve maintenant à jouer les esclaves que l’on vend sur le marché ! Elle n’aurait jamais dû accepter, surtout en ayant connaissance depuis toujours des mœurs dissolues de cette lesbienne carrément nymphomane, adepte du bondage, SM et autres déviances sexuelles. Mais ses motivations de repartir à zéro et sur de nouvelles bases avec son mari étaient aussi pour elle une deuxième chance à saisir, aussi grand fût le prix. 

Léa toise avec dédain cette foule bruyante et impudique. Il règne une ambiance décalée et extravagante, mais aussi elle doit le reconnaître un certain érotisme dans tous ces corps dénudés ; les hommes sont beaux et les femmes splendides. Il émane de la foule une fièvre contagieuse, une sensualité lourde et oppressante. Léa y est malgré elle sensible et fait tout pour le dissimuler. Surtout à Sandra, plutôt mourir que lui avouer ses faiblesses ! Elle s’est toujours refusée à elle et, depuis, Sandra la poursuit d’une hargne tenace, la défiant à la moindre occasion pour la mettre dans des situations embarrassantes. Et elle a enfin l’occasion de parvenir à ses fins, la tenant totalement à sa merci. Avec appréhension, Léa se demande ce qui l’attend. Surtout que cette obstination d’une femme pour une autre femme est nouvelle et troublante. Jamais elle n’a suscité un tel désir. Comme cette femme brune qui l'observe dans la foule, rayonnant d'un tel feu intérieur qu'elle se démarque des autres . Elle la connait. Catherine, un grand chef cuisinier qui a ouvert de nombreux établissements culinaires de Nice à Marseille... Une femme d'affaire impitoyable et exigeante  régulièrement auréolé de très nombreuses distinctions et prix culinaires, l'une des femmes les plus étoilées dans un domaine particulièrement réservé aux hommes. Sandra la dévore des yeux comme un fauve affamé, et son regard luisant, d’un noir fougueux, a quelque chose de magnétique. Salma cède à la tentation et l’observe à son tour avec moins d’hostilité, se livrant plus qu’elle ne le voudrait. Elle frémit en recevant l’appel de ses grands yeux exigeants, brûlants de désir. Cette femme lui paraît brusquement différente, scandaleusement belle et provocante, avec sa bouche charnue, son pâle visage à la peau lisse, le pli des lèvres qui se creusent avec une expression gourmande. Il y a une abondance de luxure dans les yeux aux paupières lourdes et dans les lèvres sensuelles, une force sexuelle totalement déroutante. Elle tente de s’en dégager, et son attention est heureusement détournée par l’acquisition du faux esclave qui a enfin trouvé preneur, une brute épaisse à qui le déguisement de gladiateur va à merveille. Tous deux s’apprécient du regard puis traversent la foule en paradant et minaudant, insensibles aux congratulations et pincements aux fesses. Des réflexions salaces les accompagnent encore alors qu’ils sortent de la chambre.

 

C’est au tour de Sandra d’être vendue, elle se lève et avance. Un murmure approbateur gagne les spectateurs. Les enchères commencent, mettant vite la barre très haut. Sandra tourne autour d’elle avec agitation, le regard brillant, et encourage les offres d’une voix rauque. Salma est surprise que ses yeux reviennent souvent sur elle, et elle y lit un désir si ardent que c’en est presque effrayant. L’envie de répondre à ce désir la tenaille sournoisement, elle se demande pour la première fois de sa vie si elle aimerait goûter à une autre femme. L’idée soudaine de se laisser aller à cette liaison coupable, de se donner corps et âme à une lesbienne volcanique qui brûle de désir pour elle l’excite prodigieusement. Dans le public, un homme malingre propose une forte somme pour la posséder, sa voix est frêle et à peine audible. Mais deux femmes veulent également l’acquérir, dont la Reine de Saba. La bataille est rude, et Salma espère de tout cœur que personne n’aura le dernier mot, que tout finira normalement. Les enchères s’éternisent, elle relâche sa vigilance, oubliant la présence perfide de Sandra qui s’approche de plus en plus d’elle. Cette dernière avance les mains pour tenter de la déshabiller. Le regard glacial de Salma la stoppe en plein élan.

 

— Touche-moi et je t’arrache les yeux !

 

Sandra prend un air effrayé, prenant la foule à témoin.

 

  • — Quelle jument fougueuse ! Qui aura le plaisir de la monter pour lui apprendre les bonnes manières ? Qui sera l’heureuse élue ? Mais ne serait-il pas normal de voir cette pouliche dans son plus bel appareil ? Pourquoi aurait-elle un traitement de faveur ?

 

La foule en délire s’écrie :

 

  • — À poil, à poil !

 

Une lueur de joie sadique illumine le regard de Sandra tandis qu’elle prend un air peiné.

 

  • — Désolé, la foule réclame son droit le plus élémentaire. Tu vas devoir te laisser faire.

 

Elle entreprend de la déshabiller avec hâte, presque brutalement. Salma se crispe, ferme les poings. Son superbe visage de madone, encadré par de longs cheveux d’un noir intense, reste froid et imperturbable. Leurs regards se croisent un instant, et Sandra est déroutée par la limpidité des yeux bleus qui ne se dérobent pas. Elle dévoile nerveusement les épaules gracieuses, dégage les seins ronds, généreux, fiers et aux aréoles sombres, le ventre plat, la taille flexible. Salma a un corps magnifique, sculptural, tout en courbes insolentes et harmonieuses. La foule retient son souffle, émerveillée, subjuguée. Puis un murmure fébrile agite les spectateurs lorsque Salma apparaît enfin nue jusqu’à la taille. Elle frémit puis a le réflexe immédiat de ramener ses longs cheveux sur sa poitrine pour la dissimuler aux regards avides. Impitoyable, Sandra les lui ramène en arrière, l’obligeant à se dévoiler au maximum. Ses yeux sont brûlants de fièvre tandis qu’elle la dévisage goulûment. Elles se défient encore du regard, Salma cède la première et baisse les yeux. Sandra profite de son avantage et s’adresse à la foule.

 

  • — Voyons si elle est saine.

 

Puis, se tournant vers Salma :

 

  • — Ouvre la bouche !

 

Elle pose ses doigts sur la lèvre supérieure de la métisse et la caresse lentement sur toute la longueur. Puis, avec volupté, elle introduit deux doigts dans sa bouche, les écartant pour mieux palper l’intérieur avec profondeur. Salma la laisse faire, l’observant fixement avec bravade, le visage figé. Elle sursaute malgré elle lorsque les doigts vont et viennent dans sa bouche, simulant l’acte sexuel, dans sa signification la plus crue. Elle accepte l’humiliation, fixant alors son fiancé d’un regard chargé de haine, comme pour le culpabiliser encore plus alors qu’elle accepte tout cela pour réparer ses erreurs. Honteux, le visage cramoisi et le front moite, celui-ci baisse les yeux. Salma, au contraire, ne cille pas, regardant maintenant Sandra droit dans les yeux, comme habitée d’une force intérieure et d’un courage exceptionnel, alors que des doigts habiles continuent d’explorer l’intérieur de sa bouche avec une minutie obscène. Sandra esquisse un léger sourire de triomphe, ravie de l’humiliation qu’elle lui fait subir. Puis c’est à son tour de sursauter violemment. Salma, sans la quitter des yeux, se met à lui lécher les doigts, avec une gourmandise perverse, avalant les doigts pour les sucer avidement. Mais son expression est moqueuse, une joie cruelle de l’avoir prise à son propre piège et de se moquer ouvertement d’elle. Sandra retire vite sa main, troublée et désorientée. Un coup de poing en plein ventre aurait été un choc moins violent, et seule la foule autour d’elle l’empêche de se jeter sur cette femme pour la posséder avec une fureur dévastatrice. Elle se reprend vite et se retourne vers la foule.

 

  • — Pas de problème, elle est saine. Allez, faites monter les enchères !

 

Elle bout d’une rage contenue et d’un désir si frustré que c’en est douloureux. Salma l’a toujours excitée comme aucune autre femme, avec une intensité telle qu’elle en devient insoutenable. C’est une femme fière et indomptable qui résiste à la passion, qui se refuse aux plaisirs de la vie, de la chair, par conviction religieuse sans doute. Sandra reste persuadée que sous ce masque de froideur et de respectabilité coule un feu ardent, de la lave en fusion qui ignore encore ses effets dévastateurs. Elle veut réveiller cette nature voluptueuse, l’enflammer. Salma lui résiste, et cette rébellion ne fait que l’aiguillonner davantage. Cette nuit, elle réussira à la soumettre et à la posséder. Cette idée lui procure une délicieuse exaltation. Elle sent son pouls et sa respiration s’accélérer en l’imaginant ardente et souple entre ses bras, roucoulante, défaillante de plaisir. Elle entend à peine les propositions du public qui se bat pour avoir le dernier mot. Son envie se fait trop pressante. Sa voix est encore plus rauque lorsqu’elle déclare :

 

  • — Désolée, mais cette femme m’appartient, elle est à moi pour toute la nuit…

 

La foule se tait soudain. Le désir de Sandra est si palpable que l’air semble grésiller d’électricité. Celle-ci saisit un collier en cuir, avec nœud coulant, et l’enfile autour du cou de la métisse. Salma relève la tête d’un air altier alors que Sandra resserre la prise autour de son cou et l’oblige à s’approcher d’elle d’un coup sec.

 

  • — Alors, prête à remplir la part de notre contrat ? N’oublie pas, aucune rébellion ne sera tolérée.
  • — Faites de moi ce que vous voudrez, mais ne pensez surtout pas que je vais y prendre du plaisir. Vous aurez mon corps, mais ce sera un corps sans vie et sans passion ; alors, si cela vous excite, autant vous défouler sur une poupée gonflable !

 

Sandra secoue tristement la tête.

 

  • — Qui te dit que tu n’y prendras pas plaisir ? Tu me sous-estimes, ma chérie…
  • — Je n’aime que les hommes. Ils sont les seuls à pouvoir me faire vibrer.

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 


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