Le château des Tribades 5.
Sans la lâcher, elle l’entraîne au fond du salon. Elles croisent Jean Vernier et Maria qui regagnent leur place, ce qui n’est pas pour rassurer Inès. De plus, elle se sent mal à l’aise dans sa tenue trop sexy et regrette maintenant de s’être fait violence pour sortir de l’ordinaire : minijupe en cuir blanc cassé, ce qui fait ressortir le teint mat de ses longues jambes fuselées ; et un débardeur en résille de coton, rebrodé de perles et de paillettes, si moulant qu’il lui colle comme une seconde peau, faisant jaillir avec agressivité ses seins un peu trop volumineux par rapport à sa taille élancée. Tout ça parce qu’elle voulait faire bonne impression auprès de Jean Vernier, persuadée d’avoir un entretien confidentiel au lieu de se retrouver avec tout ce monde pour un banquet de bienvenue ! On l’y reprendra plus ! Elle se dit que c’est un peu tard pour les regrets alors que toutes deux se retrouvent dans la pénombre. Réticente, elle reste figée sur place, droite comme un piquet, et son malaise ne fait que s’accroître lorsque Gabrielle, à deux pas d’elle, se met d’abord à danser toute seule. Elle oscille sur place, bras au-dessus de la tête, se déhanche souplement, exagérant sa cambrure et faisant saillir ses seins en se rapprochant d’elle petit à petit. Enfin, tout en se trémoussant lentement, elle l’attrape par la taille et la colle fermement à elle. Tendue, Inès se laisse guider.
Elles pivotent au rythme langoureux du slow. Imperceptiblement, Gabrielle colle son mont de vénus contre le sien puis, tout en se balançant, se frotte légèrement, avant de s’écarter à peine pour recommencer son petit jeu. Abasourdie, Inès se laisse faire sans trop comprendre ce qui lui arrive. La tête lui tourne, elle se demande un instant si elle n’est pas en train d’imaginer certaines choses obscènes. Ce n’est pas possible, cette femme ne peut pas mimer un acte sexuel tout en dansant avec elle. C’est si furtif, si insignifiant… Son imagination lui joue des tours. Elle a de plus en plus chaud alors que Gabrielle l’enlace plus étroitement, comme cherchant à se fondre en elle, pour ne faire qu’une… Elles sont si soudées l’une à l’autre qu’une feuille d’un millimètre ne pourrait pas se glisser entre leur deux corps… Gabrielle lui prend une main, la serre, entrelace leurs doigts. Puis, en même temps, se cambre en arrière, écartant le haut du corps en secouant les épaules et sa splendide poitrine. Et, telle une ventouse, se recolle à elle.
Seulement, cette fois-ci, elle lui a emprisonné la main de sorte qu’elle la plaque contre son sein droit et s’arrangeant pour que chaque mouvement la fasse glisser un peu plus vers le sommet, pour une caresse plus précise. Inès constate avec effroi que la chair tout contre sa paume est ferme, tiède et d’une douceur incomparable. Au lieu de ressentir du dégoût ou de l’indifférence, voilà qu’elle se sent émue comme jamais elle ne l’a été. De plus, il monte du corps de cette femme une odeur exquise, ensorcelante. Et ces ondes lascives, comme électriques, qui émanent de chaque atome de cette chair blanche et parfumée, lui communiquant sa chaleur, son désir, et l’enveloppant d’une sournoise faiblesse. Toutes ces nouvelles sensations qu’elle n’a jamais connues et qu’elle doit, là, dans les bras de cette troublante femme, affronter d’un coup. L’affolement total intervient lorsque sa main presse fortement le bout du sein droit. Elle pousse une plainte éperdue, abasourdie de sentir le raidissement d’un mamelon qui pointe et s’enfonce au creux de sa main.
Et, comme si cela ne suffisait pas, la main libre de cette diablesse de femme qui, jusqu’ici, lui caressait le dos, vient de glisser sournoisement sur ses fesses. Au lieu de se dégager, son corps réagit étrangement et instantanément en se collant d’un seul élan contre Gabrielle, avec un long frisson voluptueux. Cela en est trop ! Elle est fin saoule, voilà la raison. Saloperie d’alcool ! Elle a un vertige, titube, s’accroche au bras que lui tend Gabrielle. Elle retrouve vite ses esprits, s’empresse de regagner sa place. Elle se laisse tomber sur le fauteuil avec un soupir de soulagement. Sans avoir conscience de caresser doucement l’intérieur de sa paume, là où la pointe du sein l’a marquée d’une piqûre cuisante. Gabrielle, avant de la laisser, exécute une révérence aussi théâtrale que moqueuse pour la remercier. Avec, sur son visage, un sourire narquois et victorieux. Elle s’est à peine éloignée que Claire prend sa place.
- Et bien, Inès, tu aimes jouer avec le feu. Je tiens à t’informer que cette femme aime les femmes comme toi et moi aimons les hommes. En plus, ta tenue est pour elle une incitation au viol.
- Je sais, merci du renseignement. On a juste dansé, il n’y a pas de mal. Qui est-elle exactement, cette Gabrielle. Je sais qu’elle est journaliste, je l’ai vue quelquefois à la télé, mais elle dégage quelque chose de malsain, comme un odeur de souffre et de scandale. C’est idiot, je sais , je ne me l’explique pas…
- Voilà ce que c’est de se replier dans un chalet perdu, ma chérie. Tu ne lis donc jamais les journaux people et autres magazines à scandale ?
- Jamais.
- Et bien pourtant tu devrais. On y apprend beaucoup de choses. Eux, la Gabrielle, ils la connaissent très bien, ils se régalent de ses frasques autant nocturnes que sexuelles. Elle est leur cible préférée et elle ne fait rien pour redorer son image, bien au contraire… Ses écarts de conduite ont pris en quelque sorte le dessus sur sa carrière de journaliste, elle est devenue une figure emblématique et médiatique de la Jet Set, aux ambitions aussi démesurées que ses appétits sexuels. Seulement, à force d’étaler sa vie privée et ses petites amies à tout bout de champs, le monde du journalisme en a plus que marre de ses excès et le lui fait comprendre en lui claquant furieusement toutes les portes au nez. Autant te dire que sa carrière comme journaliste est foutue.
- D’où sa présence ici, je suppose ?
- Certainement. Jean Vernier a le pouvoir de relancer sa carrière, à moins qu’elle veuille se reconvertir dans le cinéma, ce qui est fort possible. Mystère. En tout cas, elle n’est pas ici pour ses beaux yeux. Toutes ici, moi la première, avons accepté l’invitation parce que nous avons beaucoup à y gagner. Gabrielle est suffisamment calculatrice et vénale pour en tirer les meilleurs profits et… Oh, excuse-moi !
C’est son portable qui vient de sonner. Son visage s’illumine d’une joie immense alors qu’elle engage la conversation.
- Mon chéri, je suis si contente de t’entendre. Oui, tout va bien. Vous me manquez tant… Lisa est prés de toi ? Moi aussi, je veux lui parler… Alors, ma chérie, tu es sage avec papa ? Comment ? Tu as fait du poney et il est parti au trot ! Et tu n’es même pas tombée ! C’est bien, tu es une grande fille, maman est tellement fière…
Les yeux imprégnés de larmes, Claire adresse à Inès un sourire radieux avant de s’éloigner et s’isoler au fond du salon. Inès l’envie. Comme elle aimerait trouver l’homme de sa vie, avoir des enfants, faire plein de projets. Claire, elle, a fondé une famille et concrétisé le rêve de toute jeune femme. Inès, par contre, est toujours seule, désespérément seule, continuant de rêver et d’espérer, trouvant un exutoire au bonheur dans les livres qu’elle écrit. Quelle triste constatation… Depuis combien de temps n’a t- elle pas aimé, ressenti des émotions et pris du plaisir dans les bras d’un homme ? Trois ans déjà… Comme le temps passe vite. Cette longue abstinence ne lui réussit pas, et peut s’avérer dangereuse… C’est certainement ça, et l’alcool aidant, qui lui a procuré ces drôles de sensations dans les bras de cette inconnue. Car s’il y’ a une chose dont elle est certaine, c’est qu’elle n’a jamais été attirée par les femmes et qu’elle n’accepterait pas que cela puisse lui arriver un jour. Imaginer cela est une aberration pure et simple. Ses parents, fervents catholiques, lui avaient inculqué des principes vertueux, une vision pure et généreuse de la vie, et l’idée de piétiner ces valeurs morales ne lui avaient jamais effleuré l’esprit. Bien sûr, elle n’ignorait pas que l’homosexualité existait, mais elle ne voulait même pas envisager l’aboutissement d’une telle relation, physique comme morale, car c’était là un territoire qui sortait de son idéal, un territoire aussi inconnu qu’incompréhensible. Elle ne voulait même pas penser à ce que deux femmes pouvaient faire ensemble. Sans doute faisaient-elles exactement la même chose qu’un homme et une femme, alors pourquoi aller contre la nature ? Après tout, ce n'était pas son problème. Elle n’avait pas à porter le moindre jugement, les gens faisaient ce qu’ils voulaient avec qui ils voulaient… Vivre et laisser vivre, fermer les yeux et ne pas y réfléchir. De toute façon, il n’y avait rien à dire sur ce sujet. Ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? Chacun trouve son bonheur où il peut. Pour elle, le bonheur, le vrai, le seul, ne pouvait se vivre et s’exprimer dans toute sa plénitude qu’avec un couple hétérosexuel. Le parcours logique et normal qui aboutit sur le mariage, les enfants, la maison … Et, malgré sa tolérance, il n’y avait pas à revenir là-dessus. Fin du débat. Armée de ses bonnes résolutions, elle chasse de son esprit cette triste expérience du slow entre femmes. Ses idées en redeviennent plus claires. Elle interpelle l’employée de maison qui passe devant elle.
- Excusez-moi. Vous vous appelez Florence, c’est ça ?
- Oui, Madame.
- Dites, la boisson que vous m’avez servi était alcoolisé, alors que j’avais bien spécifié une boisson sans le moindre alcool.
La servante prend un air profondément ennuyé.
- Désolée, Madame. Je ne savais pas que c’était si important pour vous. En vérité, ce cocktail est tellement léger, frais et fruité, que je n’ai pas jugé utile de vous préciser ce détail.
Son expression sincère et catastrophée lui fait pitié. Ce n’est pas son genre de faire un esclandre. Et, après tout, ce n’est pas bien grave, l’incident est clos. Elle lui sourit chaleureusement.
- Bon, n’en parlons plus… Pourrai-je juste avoir un verre d’eau ?
- Bien sûr, Madame.
Malgré elle, Inès suit des yeux la démarche chaloupée de la servante qui en fait des tonnes pour attirer les regards. Et ça marche. Gabrielle, installée nonchalamment au bar, en garde le verre suspendu aux lèvres, tournant si vite la tête en bravant le torticolis qu’un peu de boisson se renverse et coule sur son menton. Elle en baverait presque ! Malheureusement, elle n’en a pas le temps car, tout prés d’elle, Corinne fait un scandale, gueulant comme une chiffonnière.
- Ta musique, c’est de la merde !
Elle s’en prend à Maria qui, bouche bée, n’a pas le temps d’en placer une, se faisant copieusement insulter. Corinne titube devant elle, le visage livide, la bouche déformée par un rictus mauvais qui, d’un coup, se fige dans un masque de nausée et de douleur. Apparemment, la star-rock a surestimé ses limites en matière d’alcool. Elle va s’écrouler au sol lorsque Gabrielle, avec une irritation flagrante, la rattrape et tente de la remettre sur pieds, aidée par une jeune femme qui, jusqu’ici si discrète qu’elle en était presque invisible, vole à son secours. C’est la farouche jeune femme qu’Inès avait percuté dans les escaliers.
Toutes les deux la soutiennent pour la ramener dans sa chambre. Maria, outrée, s’écrie :
- Bon vent ! Qu’elle aille gerber ailleurs !
Charmante ambiance. Cela arrache à Inès un sourire ! En une soirée, elle vient de plonger dans le vif du sujet, entre drame, haine et jalousie. C’est rock and roll, un château de fous ! En plus, elle s’est faite draguer par une femme, a même dansé un slow avec elle… Là, c’est du vrai vaudeville ! Elle commence à regretter d’être venue ici. Une semaine, cela va être long… Elle boit son verre d’eau que Florence lui a apporté il y’ a quelques minutes auparavant, tire nerveusement sur sa minijupe après s’être levée du fauteuil. Pour elle, il est temps de regagner sa chambre. Il se fait tard. Un bisou du bout des doigts qu’elle adresse à Claire, toujours en communication et en pleurs avec son mari ou sa fille, et un grand bonsoir général à toute l’assemblée avant de prendre congé. Un moment, elle se perd, un dédale de couloirs et de portes qui semblent identiques, puis elle retrouve enfin son chemin. Elle s’engage dans le bon couloir lorsqu’un sanglot lui parvient. C’est la jeune femme timide qui, seule, pleurniche dans son coin, recroquevillée et adossée contre le mur, entre deux portes. Inès, en s’agenouillant devant elle, prend soin de l’examiner. Lèvres charnues, joues roses, visage pur et enfantin, teint nacré qui rend son regard d’un vert émeraude encore plus beau et plus intense, longue chevelure nattée qui descend jusqu’au bas des reins, elle est d’une beauté à couper le souffle. Avec cette fragilité et ce côté indomptable qui la rend à la fois attachante et énigmatique. Inès avait déjà ressenti cette impression lorsqu’elle l’avait brièvement aperçue – et heurtée – à son arrivée.
- Tu ne vas pas bien ?
L’autre renifle et, sans lever les yeux, ronchonne :
- Si, si, tout va bien dans le meilleur des mondes… Je rayonne de joie d’ailleurs !
Sans se laisser démonter, Inès insiste.
- Tu ne te sens pas à ta place, ici, hein ? Tu t’ennuies car tu es si différente des autres… Moi aussi, je m’ennuie, comme toi j’ai rien à faire avec tous ces gens qui adorent s’entendre parler en pavanant comme des paons. Alors, puisque qu’on est pareil toutes les deux, apprenons à nous connaître et devenons amies. Tu veux bien devenir mon amie ?
Dans un geste à la fois nerveux et puéril, la jeune femme essuie son nez de la main avant de réaliser qu’elle n’a pas de mouchoir. Du coup, elle tire sur la manche de son tee-shirt à l’en déformer pour finir de se nettoyer. Elle regarde enfin Inès, un regard à la fois curieux et craintif.
- D’accord.
- Très bien. Alors appelle-moi Inès. Toi, si j’ai bien compris lorsque Mr. Vernier a fait les présentations générales, tu es auteur et compositeur, c’est ça ? C’est toi qui écrit les chansons de Corinne ?
- En partie, oui… Je rends aussi d’autres services.
- Et ton prénom, c’est comment déjà ?
- Patricia.
- Et bien tu vois, Patricia, on est faîte pour devenir les meilleures amies du monde car toutes les deux on se ressemble beaucoup plus que tu ne le crois.
- Comment ça ?
- En plus de ne pas être à notre place ici, on fait un peu le même boulot. Auteur, écrivain, c’est un peu pareil, on joue avec les mots et les lettres…
- Sauf que vous parlez très bien. Moi, j’ai un mal fou à communiquer, et c’est à travers les chansons que j’arrive à exprimer certaines choses.
- Alors, de nous deux, c’est toi la seule et vraie artiste.
Alors Patricia lève des yeux émerveillés sur elle, la regardant comme personne ne l’a jamais regardée, avec admiration et dévouement. Inès se sent embarrassée, elle n’a pas l’habitude de provoquer des sentiments aussi exaltés dans les yeux d’une autre femme. Elle a l’air si perdue, si désemparée. Inès, brusquement, a presque envie de la prendre dans ses bras, la cajoler, la rassurer, et même l’amener avec elle jusque sa chambre, dans son lit, et passer la nuit avec elle, la serrant dans ses bras, pour lui dire que tout allait bien, qu’elle était là maintenant pour s’occuper d’elle. Un instinct maternel presque, l’envie d’être utile, de protéger. Sauf que cette jeune fille a dépassé l’âge d’user ses culottes sur les bancs d’école. Ce n’est plus une gamine, elle doit avoir une vingtaine d’année, avec un corps splendide, à la fois gracile et sensuel, des petits seins insolents aux fesses rondes si joliment dessinées. Confuse, Inès se contente de lui déposer un léger baiser sur le front avant de la laisser. Avec l’horrible sentiment de l’abandonner. Sa culpabilité n’aurait pas eu lieu d’exister si, à cet instant, elle s’était retournée pour observer l’expression de la jeune femme. Patricia n’a plus rien de la naïve enfant désorientée. Son visage trahit le désir le plus primitif alors qu’elle suit avec avidité chaque ondulation du corps à la fois souple et voluptueux de la romancière.
Le léger rideau s’agite en laissant passer une brise délicieusement fraîche. La tramontane vient de se lever. Inès s’étire en ouvrant les yeux, puis se remet en boule au creux du lit. Elle n’a pas envie de se lever.
Elle traîne encore quelques minutes, lisant quelques pages d’un livre qui, vite, l’ennuie profondément, la faisant replonger dans les brumes d’un sommeil persistant.
La nuit a été trop courte. Elle se décide enfin à prendre son courage à deux mains, sortant du lit en petite culotte, débardeur et chaussettes aux pieds.
Ayant toujours eu froid aux pieds, elle a pris l’habitude de dormir en enfilant toujours des chaussettes, se moquant bien du ridicule et le peu d’esthétisme que cela comportait. De toute façon, il n’y avait jamais personne pour se moquer d’elle au petit matin ! Elle se déshabille vite pour se rendre dans la salle de bain.
Après la douche, elle enfile une robe légère, en dentelle finement brodée par la main même de sa mère, et descend dans le parc du château. Sur la terrasse, sous une tonnelle recouverte d’un chèvrefeuille grimpant, aux fleurs blanches et odorantes, l’attend une profusion de fruits, café et viennoiseries qui lui ouvrent d’emblée l’appétit. Elle s’attable à côté de Claire qui, bouche pleine, lui adresse un clin d’œil jovial.
- T’as passé une bonne nuit ?
- Excellente.
Maria, fraîche et maquillée à la perfection, s’installe à sa droite.
- Alors, les filles ? Que nous réserve cette belle journée ? Moi, je vais faire une petite ballade hygiénique… Qui m’aime me suive.
Son visage se ferme d’un coup alors que Corinne, encore toute ensommeillée, vient de se glisser de l’autre côté de la table, entre deux lauriers roses en pot. Elle grommelle un vague bonjour avant de se jeter sur un croissant. Claire, discrètement, échange un regard entendu avec Inès. Pour détendre l’atmosphère, cette dernière lance joyeusement :
- S’il y’ a des vélos, je suis partante pour une promenade. Cela devrait être facile, le relief paraît assez plat.
- D’accord, je viens avec toi, s’écrie joyeusement Claire.
Un serveuse apporte du café. Blonde et presque rasée, le visage émacié, c’est une grande fille sèche et autoritaire assez androgyne, aussi jolie qu’étrange. Apparemment, c’est la responsable des employées de maison et elle prend son travail très au sérieux. Elle se prénomme Fanny. Avant de repartir aux cuisines, elle dit à Inès :
- Monsieur vous attend dans son bureau, pour onze heures. Soyez à l’heure, Monsieur ne tolère aucun retard.
Il faudrait être sourde pour ne pas comprendre le message. Pour Inès, c’est reçu cinq sur cinq. En même temps, elle est soulagée et ravie de ce rendez-vous. Elle n’est pas là pour faire du tourisme, il lui tarde de se mettre au travail.
- Le vélo, ce sera pour plus tard…
Claire acquiesce.
- Pas de problème. D’abord les affaires, ensuite le plaisir.
Maria renchérit.
- Vous verrez, tout se passera bien. Hier soir, j’ai eu un petit entretien avec Jean, et j’ai eu tout ce que je voulais obtenir. Il est tellement généreux.
- Surtout quand on y met le prix. Avec lui, rien n’est gratuit !
C’est Gabrielle qui vient d’intervenir, s’asseyant prés de Maria. Elle est habillée avec distinction, comme si elle allait se rendre à une fête mondaine. La classe jusqu’au bout des ongles… Elle fait la paire avec Maria qui l’accueille avec ironie.
- Ne soyez pas cynique, ma chère. On sait toutes à quoi s’attendre.
- Sauf notre jolie petite oie blanche. Elle ne se doute de rien apparemment… Tout est si beau et si pur, comme dans ses romans…
Inès se sent déstabilisée d’être si rapidement attaquée. Pour la forme, elle veut répliquer mais Maria prend les devants.
- Cesse de la taquiner, Gabrielle. Au moins, à rester naïve et ignorante des choses de la vie, on ne devient pas cynique et aigri. Et c’est pas plus mal ainsi…
- Ah ? Et toi, Maria, dans quelle catégorie tu te situes ? D’ailleurs, je ne savais même pas que tu connaissais la signification du mot « naïf », tu me surprends là…
Maria part d’un rire sec et forcé, prenant l’assemblée à témoins.
- Mesdames, vous avez devant vous une femme de caractère qui ne vit que pour les conflits et les rapports de force. Si vous voulez qu’elle vous respecte, n’hésitez surtout pas à la défier et lui tenir tête, sinon elle vous mangera tout crû.
Une lueur d’amusement brille dans le regard de Gabrielle alors qu’elle approuve avec emphase :
- Mais c’est pour ça que je t’adore, Maria, et que je te respecte tout autant.
Elle reporte son attention sur Inès.
- Alors, quelle est la raison exacte de ta présence ici, gentille petite fleur bleue ?
Inès prend la mouche. Sa voix tremble :
- La gentille petite fleur bleue doit écrire sa biographie, c’est tout. On doit discuter des clauses du contrat, et que j’en sache évidemment un peu plus sur sa vie. Voilà, ce n’est un secret pour personne maintenant.
Elle se mord les lèvres. Pourquoi avait-elle besoin de se justifier ?
Gabrielle, satisfaite de l’avoir piquée au bon endroit, arbore un sourire victorieux.
- Oui, mais pourquoi toi, la spécialiste des romans sentimentaux ? Jean est tout sauf un sentimental, et sa vie l’est encore moins… S’il t’a choisie, ma jolie, c’est qu’il doit avoir ses raisons et un but bien précis…
- Et bien il se trompe s’il pense pouvoir m’acheter ! Et puis, d’ailleurs, je lui fais confiance, il n’y aura rien à négocier !
A SUIVRE...