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Divines et Innocentes

Divines et Innocentes

Divines et Libertines.

Maud et Jessica doivent slalomer entre tous les couples enlacés qui, debout, assis ou allongés, s’adonnent avec délices aux plaisirs de la chair. Elles passent devant une porte ouverte d’où sortent des bruits suspects. Si des bruits peuvent exprimer la débauche et la luxure, ce sont bien ceux-là. Maud n’en a aucun doute malgré sa naïveté, surtout depuis quelques heures où elle n’en a jamais vu autant de toute sa vie.

 

Poussée par la curiosité, elle tourne la tête et aperçoit, une brève seconde, un dos splendide, d’une cambrure exceptionnelle, puis des fesses magnifiques, rondes et d’une blancheur éclatante, tout de suite cachées par une silhouette masculine qui se penche dessus, les palpant fermement avant d’y appuyer son bas-ventre d’un coup de reins, puis se déhanchant avec rage en poussant des grognements de plaisir. La femme pousse des cris saccadés en tortillant et reculant son splendide postérieur pour mieux se faire pénétrer, et l’obscurité ne fait que suggérer la scène, ne la rendant que plus érotique.

 

Malgré elle, Maud s’est arrêtée, observant la scène. Ce spectacle la fascine et la révolte à la fois. Elle n’en croit pas ses yeux. Son éducation et ses inhibitions l’ont toujours empêchée de se prêter à ce genre de rapports, se limitant à des étreintes aussi sages que conventionnelles, comme le dictait la bienséance.

 

Ses yeux s’habituent à la pénombre et, brusquement, elle vacille sur place, comme frappée d’un coup de poignard en plein cœur. Elle vient de reconnaître le couple qui fait l’amour si indécemment. C’est Coralie et Olivier. Olivier, son compagnon depuis onze ans, le père de l’enfant qu’ils avaient conçu dans l’amour, l’homme qui lui avait demandé sa main six mois auparavant, celui qu’elle aimait et qu’elle avait choisi comme mari pour le restant de ses jours. Et il est là, entièrement nu, muscles tendus dans l’effort, le visage ruisselant de sueur, les traits figés par l’extase, le regard embué d’un désir primitif, en train de faire l’amour à cette femme comme jamais il ne lui avait fait l’amour.

 

Ses premiers sentiments sont la haine, la colère, la jalousie, toute cette confusion qui, à la fois, lui fait mal et lui donne envie de pleurer. Elle retient ses larmes, se mord les lèvres jusqu’au sang. Son cœur, alors serré dans un étau à lui broyer la poitrine, se remet à battre à un rythme accéléré. Maintenant, il y a la tristesse et l’incompréhension. Puis, enfin, la fatalité. Après tout, à quoi pouvait-elle s’attendre en se rendant dans une soirée privée entre couples échangistes ? Tout cela n’était-il pas de sa faute puisque c’est elle qui avait poussé Olivier à l’accompagner ? Il semblait logique qu’elle en fasse les frais, même si tout dérapait avec une rapidité qui dépassait l’entendement. Elle doit faire face à la réalité, en tirer les leçons qui s’imposent.

 

La jalousie ne cesse de la torturer, mais un autre sentiment indéfinissable s’y mêle, qui ressemble à une poussée d’adrénaline, à une excitation malsaine alors qu’elle ne cesse d’observer son fiancé avec une autre femme. Pour des raisons obscures, elle se sent submergée par une violente bouffée de chaleur quand Olivier plonge la tête sur la nuque de sa compagne, la léchant goulûment comme un animal affamé le ferait. Tenant solidement les hanches de sa partenaire, il accélère son va-et-vient, mêlant ses râles aux gémissements éperdus de celle qui se fait si délicieusement prendre par derrière.

 

Maud détourne vite les yeux, horriblement mal à l’aise de se sentir si excitée, mais une envie irrépressible la pousse à regarder de nouveau, et elle n’arrive plus à détacher son regard du couple. La scène lui paraît violemment érotique, elle tremble nerveusement quand Coralie pousse un cri libérateur, gémissant ensuite sans discontinuer alors que l’orgasme la prend pour ne plus la lâcher. Maud vibre à l’unisson, comme possédée à son tour. C’est comme si Olivier la prenait avec la même intensité. Elle sent la présence de Jessica tous près, derrière elle, son souffle sur sa nuque, son regard intense qui ne la lâche plus. Celle-ci lui susurre d’une voix douce :

 

  • — Refoule ta jalousie. Olivier est entre de bonnes mains. Dis-toi que tout ce qu’il apprend te servira, c’est toi qui en profiteras à l’avenir… Son bonheur doit être le tien.

 

Confuse, Maud regarde ailleurs. Elle se sent coupable d’être partagée entre la jalousie et une excitation sans nom. Elle en a assez vu. Le temps des explications viendra plus tard. Elle veut avancer mais, avec une soudaine brusquerie, Jessica lui barre le passage.

 

  • — Maud, il ne tient qu’à toi de partager le même bonheur avec moi… Je peux te donner du plaisir comme aucun homme ne t’en a donné, de mille façons différentes. Jamais tu ne le regretteras.

 

Maud en est persuadée, et c’est bien ça qui l’effraie. Et le désir de Jessica est si fort que cela en est contagieux, comme une fièvre qui la gagne à son tour. Un amour passionné vibre dans cette voix, comme une délicieuse promesse qui lui donne la chair de poule. Elle n’ose pas affronter son regard. Elle craint trop de céder à la tentation si elle la regarde de nouveau, aussi articule-t-elle faiblement :

 

  • — Jamais je n’aurais dû venir ici. Ce n’est pas un endroit pour moi. Je regrette…
  • — Et ton baiser de tout à l’heure ? Tu le regrettes aussi ?
  • — J’ai eu un moment de faiblesse. Excuse-moi…
  • — Ne lutte pas contre tes désirs. Et accepte ta vraie nature, laisse-toi emporter par tes pulsions… Tu en as envie, je le sens…
  • — Je ne sais pas ! Tout ça me dépasse, je ne sais plus où j’en suis…
  • — Écoute. Pour ta première fois, on peut juste faire des câlins et se contenter de pratiques soft. C’est toi seule qui décideras si, oui ou non, tu veux aller plus loin. Je t’en prie, accepte… J’en ai tellement envie moi aussi…

 

La voix se brise, enrouée par une profonde émotion. Troublée, Maud lève les yeux. Ce qu’elle voit la bouleverse. Jessica pleure en silence, incapable de se contrôler, déchirée par des sentiments si intenses qu’elle n’arrive plus à prononcer un mot. Maud, de ses doigts tremblants, lui essuie les larmes, autour des yeux rougis et gonflés, puis sur les joues, et ne peut résister à l’envie de lui caresser les lèvres. Comme elle aime cette bouche !

 

Encore une fois, elle se sent oppressée par un désir impétueux, comme l’envie de goûter à une gourmandise irrésistible. Elle se reprend, échappe au vertige, se concentrant de nouveau sur les yeux pour sentir sur sa main le contact mouillé des larmes. Elle a besoin de constater par elle-même que tout ce qu’elle vit est réel, que le chagrin qu’elle a provoqué n’est pas le fruit de son imagination. C’est la première fois qu’elle émeut quelqu’un à ce point, et ce quelqu’un est une femme… une libertine qui ne cesse de clamer haut et fort ses pratiques échangistes, une forme d’amour récréatif et ludique où elle ne fait que prendre le plaisir comme il vient en se détachant de tout sentiment amoureux. Et elle vient de renier tous ses principes, lui ouvrant son cœur sans la moindre retenue.

 

Maud a du mal à réaliser ce qui lui arrive. Elle se sent flattée de détenir un tel pouvoir sur cette femme, ce qui serait sans danger, si elle n’avait pas non plus des sentiments. Elle réprime à son tour un sanglot, submergée par une violente émotion, perturbée comme elle ne l’a jamais été. Elle ne doit pas pleurer. Elle ne doit pas céder. Pour Olivier. Pour leur fils. Pour tout ce qu’ils ont construit ensemble. Bon sang, comment tout cela a-t-il pu arriver ? Comment Olivier se retrouve-t-il à faire l’amour aussi ardemment à une autre femme, et comment peut-elle se sentir autant attirée par une autre femme ?

 

Alors que Jessica la prend par la main et l’entraîne derrière elle, Maud n’a plus de volonté pour résister. Son cerveau, comme déconnecté de la réalité, embrumé par l’éternel combat entre le bien et le mal, la raison et la tentation, remonte lentement et difficilement dans le temps, dérive à travers les vapeurs de volupté. Les détails se gravent peu à peu avec plus de précision. Leur aménagement à Antibes, il y a trois ans. Et les retrouvailles d’Olivier avec Jessica, une amie d’enfance, qui est venue malgré elle bouleverser leur petite vie bien rangée.

 

À leur insu, c’est effectivement cette rencontre qui a tout changé.




Antibes, six mois plus tôt



Jessica finit son verre, jetant de façon discrète un coup d’œil à sa montre. Il lui tarde de partir. Décidément, les soirées avec ses amis conventionnels – ceux qu’elle appelle « les classiques » – finissent par la lasser assez vite. Tout paraît si fade et ennuyeux. Parler de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, refaire le monde, des conversations interminables qui n’aboutissent sur rien de concret. De l’abstrait et du superficiel. Rien à voir avec ce milieu libertin qu’elle fréquente assidûment depuis quelques années. Là, on sait s’amuser, faire preuve de fantaisies et d’imagination, raviver des émotions charnelles et sexuelles, inventer des jeux érotiques et transgresser des tabous pour le plus grand plaisir des yeux et des sens. Ce qui ne risquerait jamais d’arriver avec Olivier, et encore moins avec sa trop douce et trop réservée fiancée.

 

De plus, dans ses oreilles retentissent les cris et les jérémiades d’un gamin encore plus insupportable que d’habitude. Il a été encore plus turbulent que lors de sa dernière visite, au point de débouler en hurlant dans le salon, négociant mal son virage pour heurter de plein fouet son bras alors qu’elle portait la coupe de champagne à ses lèvres. C’est malheureusement son pantalon en cuir qui en a subi les conséquences. Jessica tolère difficilement les enfants, les acceptant seulement s’ils font partie de la famille, et encore lorsqu’ils sont sages, posés, sachant rester à leur place. Mais Luc est turbulent et capricieux du haut de ses deux ans. Il est devenu le nombril du monde par sa présence excessive, ayant pris le dessus sur des parents trop tolérants et littéralement dépassés par les événements. Manque de rigueur et d’autorité. Cela la peine pour Olivier. Celui-ci s’excuse alors que son fils continue de brailler à l’étage.

 

  • — Désolé pour ton pantalon. Luc est particulièrement pénible en ce moment…
  • — Ce n’est pas grave.
  • - Tiens, en reparlant des anciens du Lycée, j'ai eu Jojo au téléphone la semaine dernière. Il a frôlé la crise cardiaque quand je lui ai parlé de toi, ton retour, que l'on se revoyait régulièrement... A ce que j'ai pu constater, tu fais toujours le même effet après toutes ces années.
  • - Jojo le dragueur fou ? Comme il était lourd ! Un vrai boulet celui-là...
  • - Mais qui ne t'a pas oublié. Tu étais la reine du lycée, la plus belle et sexy, celle qui faisait fantasmer tous les mecs, la briseuse de cœurs !
  • - C'est vrai qu'à l'époque j'aimais les hommes... Une erreur de jeunesse.

Olivier change de conversation, prenant un ton léger en demandant :

  • — Alors, tu t’es bien amusée à ta soirée libertine ?
  • — Bien sûr, comme d’habitude. C’était une fête royale, très originale, avec pas mal de surprises. Dans ce domaine, on peut toujours faire confiance à Coralie.
  • — Si j’ai bien saisi, c’était du sexe non-stop.
  • — Pas uniquement. Il y a une ouverture d’esprit et une exaltation des sens comme il ne peut y en avoir nulle part ailleurs. C’est un échange de séduction et de volupté qui ne finit pas obligatoirement au lit. C’est terriblement stimulant. Mais si tu tenais absolument à t’en rendre compte par toi-même, il fallait venir.
  • — Merci, mais très peu pour moi. C’est là un univers que je ne connais pas et que je ne veux surtout pas connaître.

 

À un autre, elle lui aurait cloué le bec en le traitant de vieux jeu, à l’esprit étroit et sectaire. Surtout qu’un beau garçon comme lui aurait été certain de rencontrer un succès fou. Olivier, avec son mètre quatre-vingt-cinq, tout en muscles, ses épaules larges, son visage carré au menton volontaire, son sourire avenant, presque enfantin, et ses yeux bleus emplis de douceur et de gentillesse, avait une vraie petite belle gueule d’ange irrésistible. Or, au lieu d’abuser de son physique et se la jouer séducteur ténébreux, Olivier était tout le contraire, quelqu’un de réservé, lisse et effacé. Et si naïf et idéaliste. Elle ne veut pas briser ses illusions. Et puis, c’est surtout un ami d’enfance qu’elle vient de retrouver récemment, et pour rien au monde elle ne voudrait le blesser ou le contrarier. Aussi fait-elle preuve de tact.

 

  • — Tu as raison. Goûter une seule fois au fruit défendu peut vite devenir une dépendance. Alors autant rester dans l’ignorance.

 

Olivier éclate de rire.

 

  • — Quelle assurance ? La sexualité peut se vivre aussi pleinement à deux. Pour moi, il n’y a pas de vrai bonheur sexuel sans amour.
  • — Là, je ne suis pas d’accord. Le sentiment amoureux n’est absolument pas nécessaire à la plénitude érotique. Au contraire… Une femme se lâche davantage si elle se délivre du poids de l’affectif, des contraintes et conflits amoureux que peuvent occasionner un fiancé ou un mari de longue date. Avec un autre homme, il n’y a que le plaisir et rien d’autres. Et dans le milieu libertin, elle ne culpabilise pas puisqu’elle a la permission de son conjoint qui fait la même chose de son côté. Elle ne prend alors que le meilleur et se permet beaucoup plus de choses avec un inconnu, dans une relation légère qui sera sans lendemain. Crois-moi, l’inconnu et le goût du risque sont les plus forts stimulants que je connaisse.
  • — Je ne pense pas que l’on puisse s’abandonner aussi bien avec un inconnu qu’avec un être aimé.
  • — Cela n’arrive pas sur commande. Mais l’alchimie peut fonctionner beaucoup plus vite que tu ne le crois. Déjà, c’est un état d’esprit, et cela ne peut arriver que si l’on est dans un état de réceptivité totale. Quand on a la capacité à s’abandonner assez facilement, l’harmonie peut très bien s’établir d’emblée, de manière magique… Là aussi, même si l’on ne revoit jamais la personne, il peut y avoir beaucoup de tendresse, d’amour, un vrai flash érotique. Et l’idée que son conjoint puisse partager la même alchimie de son côté ne fait que stimuler ce pouvoir érotique.
  • — C’est l’expérience qui parle ?
  • — Expérience avec un conjoint, certainement pas car j’en ai jamais eu et je n’en veux surtout pas. Par contre, si tu parles d’expérience avec plusieurs partenaires du sexe dit faible, oui, je confirme… J’en ai vu de toutes les couleurs et je ne m’en lasse pas. Je préfère la quantité, la qualité et la diversité.
  • — Je crois toujours que l’on peut aimer la même femme pour toute une vie.
  • — Bien sûr. Qui te dit le contraire ? Mais cet amour peut être encore plus fort dans le partage, la confiance et la compréhension. La plus belle preuve d’amour n’est-elle pas dans la réalisation réciproque de ses désirs et de ses fantasmes ? Et briser la routine n’est-il pas le moyen le plus sûr de cimenter l’amour de façon durable ?
  • — L’amour peut se maintenir solide et durable sans obligatoirement pratiquer l’échangisme ou le mélangisme. Il y a d’autres façons de ranimer la flamme et…

 

Olivier s’interrompt, couvert par les cris hystériques de son fils qui s’excite tout seul, là-haut dans sa chambre. Il s’apprête à intervenir lorsqu’une voix douce et cristalline se fait entendre :

 

  • — Allez, Luc, dans la salle de bains pour se laver les dents. Exécution !

 

C’est Maud qui sort de la cuisine et vient de lancer un ordre. Peine perdue. Le petit monstre s’égosille, rivalisant d’énergie pour montrer à tout le monde qu’il a la voix la plus stridente et, surtout, la plus stressante. Il semble difficile à battre dans ce domaine. Olivier est obligé de se lever, grimpant vite les escaliers en prenant une grosse voix de baryton. Jessica espère de tout cœur qu’il fera preuve d’un peu plus d’autorité. Elle l’entend crier encore plus fort. Cela semble enfin efficace, le garnement se tait, sermonné longuement par un père excédé.

 

Maud sourit à Jessica. Elle est à peine plus jeune que son mari, tout juste vingt-huit ans. Son visage d’une grande beauté est encadré de magnifiques cheveux noirs et soyeux où les mèches, sur les côtés, s’entortillent en boucles fines. Une impression d’innocence et de vulnérabilité se dégage de ses traits fins délicatement dessinés, de ses yeux bleus cristallins, expressifs et curieux, de sa délicieuse bouche en forme de pétale, aux lèvres charnues. Elle a une peau rosée sur un ton doré comme une pêche bien mûre, une peau éclatante de santé qui accentue sa fraîcheur et sa beauté naturelle. Elle n’est pas du tout maquillée, elle ne l’est jamais d’ailleurs, et Jessica regrette qu’elle ne fasse jamais d’effort pour paraître encore plus belle ; quelques retouches auraient un effet encore plus spectaculaire.

 

Maud s’assoit en face d’elle en poussant un gros soupir de soulagement. Depuis le début de la soirée, elle n’a pas eu un instant de répit, s’occupant du repas, de son fils, courant de la cuisine au salon avec une fébrilité épuisante.

 

  • — Jessica, tu ne peux pas imaginer la chance que tu as ! Célibataire, libre comme le vent… Comme je t’envie !

 

Il est vrai qu’elle préfère être à sa place qu’à la sienne.

 

  • — Je ne te le fais pas dire, c’est dans les moments difficiles que je réalise réellement la chance que j’ai. Si je devais me retrouver en même temps épouse et mère, crois-moi que je ne tiendrais pas une journée, je serais vite mûre pour l’asile de fous, et avec camisole de force !
  • — Ne dis pas ça. Pour l’instant tu n’es pas prête, mais tout peut basculer un jour.
  • — C’est gentil, mais cela n’a rien à voir. Même hétéro, je crois que je ne serais pas faite pour cette vie-là. Tiens, regarde-toi. Voilà toute la différence. Tu es plus jeune que moi et tu te régales déjà dans ce rôle de mère et d’épouse, tu le prends à cœur, cela ne t’effraie pas… Moi, j’en serais toujours incapable, je ne veux pas de contraintes, je suis trop égoïste pour me consacrer à quelqu’un d’autre que moi.

 

Ses paroles amusent Maud qui a alors ce petit rire radieux et enfantin qui la rend si attachante.

 

  • — Tiens, cela aurait été rigolo et instructif si nos vies avaient été inversées. Moi dans ta peau et toi dans la mienne… Je me serais sans doute adaptée à ton mode de vie, sans attache, sans contrainte. Oui, cela m’aurait peut-être convenu… Qui sait ?

 

Jessica se penche en avant, la fixant de son regard intense. Elle connaît l’effet troublant de ses yeux verts, elle use et abuse de ce pouvoir de séduction sans le moindre remord. Maud est une victime perdue d’avance.

 

  • — Échanger nos vies, avec tout ce que cela comporte ? Cela inclut donc également nos choix sexuels ?

 

Maud devient aussi rouge qu’une pivoine, mais ses yeux se plissent avec espièglerie et elle affronte Jessica bravement.

 

  • — Pourquoi pas ? Il se pourrait que cela me plaise, dire le contraire sans avoir jamais essayé serait stupide de ma part !

 

Jessica est étonnée de son effronterie, cela ne lui ressemble pas. Elle la connaît peu, certes, mais jusqu’ici elle s’était montrée plutôt réservée et conventionnelle, pour ne pas dire ennuyeuse… Malgré elle, Jessica se prête au jeu, son côté provocateur est trop impétueux.

 

  • — En ce qui me concerne, on connaît la réponse, j’ai déjà goûté aux hommes et je sais faire la différence et affirmer mes préférences sans la moindre hésitation. Pour d’autres, comme toi, il est plus sage de rester dans l’ignorance et de ne jamais tenter l’aventure, tu pourrais t’y brûler les ailes. Ce serait trop dangereux.
  • — Et si j’aimais le danger ?

 

À son tour de se pencher vers elle, et la provoquer si hardiment que Jessica en reste sans voix. Elle ne reconnaît plus la douce et timide Maud, préférant ne plus s’engager sur un terrain aussi glissant. Elle l’apprécie trop pour continuer ce jeu brûlant avec elle. Jusqu’ici, il y a toujours eu entre elles une estime et un respect réciproques, elles ont en commun un être cher qu’elles aiment chacune à leur façon. Elles savent toutes les deux qu’un fossé les sépare, Maud a opté pour une vie traditionnelle, elle a eu le courage d’affronter les responsabilités familiales avec toutes les concessions et les sacrifices que cela implique. Servir son mari, éduquer ses enfants, s’occuper du bien-être de chacun est devenu sa seule raison de vivre, et apparemment elle se complaît dans ce rôle.

 

C’est là un choix de vie qui dépasse Jessica. Elle est fière d’entretenir une grande indifférence et une totale incompréhension à l’égard des couples hétérosexuels, n’y mettant son grain de sel qu’en de rares occasions, si la femme lui plaît, par exemple… Elle tente alors de lui ouvrir les yeux sur la vacuité d’une existence qui ne vaut pas la peine d’être vécue si elle s’enferme à perpétuité dans l’image morose de la femme au foyer. L’esclavage n’a-t-il pas été aboli ? Dans le couple hétéro, l’homme se réserve toujours le bon rôle, et la femme doit porter plusieurs casquettes : femme et maîtresse, mère et bonne-à-tout-faire ! Et pourquoi se consacrer corps et âme à une seule personne alors que la terre est une source inépuisable de partenaires différents et de plaisirs différents. Pour toutes ces idées subversives, Jessica est consciente de passer aussi pour ses amis libertins comme une immorale dépravée et décadente, mais on ne se refait pas ! En ce qui concerne ses amis « classiques », elle garde bien évidemment ce genre de pensées pour elle, ne tenant en aucune façon à se mêler de choses qui ne la regardent pas ou, pire, à provoquer la zizanie. Elle sait de temps à autre rester à sa place quand il le faut.

 

Maud lui ressert une coupe de champagne, comme pour souder leur nouvelle complicité et l’encourager à continuer leurs joutes verbales. Le portable de Jessica se met à sonner à cet instant. Sauvée par le gong ! Elle s’excuse, se lève et sort sur la terrasse. Elle sourit malgré elle, c’est le genre d’appel dont elle raffole. Son amie se montre toujours aussi directe :

 

  • — Salut, c’est moi. Il faut que tu te libères le plus tôt possible.
  • — Pourquoi ?
  • — À ton avis ? Une soirée privée qui promet d’être mémorable, chez Lydie. Tu peux venir oui ou non ?

 

Le plaisir laisse place à l’agacement. Parfois, Coralie est si sûre d’elle, si autoritaire, habituée à ce que les gens viennent lui manger dans la main, que cela la prend souvent à rebrousse-poil.

 

  • — Tu vas vite à la besogne, je ne suis pas à ta disposition au cas où tu l’aurais oublié. Tu ne cesses de vanter les qualités de l’amour libre, alors acceptes-en les contraintes. Aucune obligation, aucune concession, faire ce qui nous plaît quand on en a envie. Tu as envie de t’éclater au lit avec de nouveaux partenaires, alors fais-le. Moi, cette nuit, j’ai envie de souffler et de passer une soirée tranquille. En ce moment, je suis chez Olivier et Maud.
  • — Olivier ? Il est trop beau gosse pour n’appartenir qu’à une seule femme, celui-là ! Quel gâchis ! Surtout que Maud m’a l’air hyper coincée, c’est pas avec elle qu’il doit pratiquer le kamasoutra et autres acrobaties spectaculaires ! Amène-le à la soirée, que je lui apprenne les choses de la vie. Maud peut venir, elle pourra toujours prendre des notes, si tu lui en laisses le temps bien évidemment… Allez, viens avec eux. Plus on est de fous…

 

Jessica désapprouve de la tête. Décidément, Coralie Ha Tong, sa jolie petite thaïlandaise dépravée, comme elle s’amuse à la surnommer, ne pensera toujours qu’au sexe et à la bagatelle. D’un tempérament volcanique, Coralie est une véritable tornade survoltée et insatiable. Pour elle, le sexe est son territoire, un espace vital à conquérir et à parcourir inlassablement. Une quête de jouissance toujours plus aiguë, comme cherchant à repousser toujours plus loin des limites.

 

Cette exigence sexuelle est parfois difficile à assumer pour Jessica qui, tout en partageant cette sexualité non-conformiste, doit souvent se remettre en questions. La peur d’être larguée, de ne plus être à la hauteur, et d’être remplacée par un autre… Un homme. Car là aussi était le problème, la bisexualité de Coralie. Avant, elle avait vécu avec d’autres hommes, et rien ne l’empêchait d’y retourner un jour. Cette idée la braque encore plus et c’est énervée qu’elle réplique :

 

  • — Olivier n’est pas de ton monde. Apprends à respecter le choix des autres. Allez, on se voit demain. Tchao.

 

Furieuse, elle coupe la communication. Elle ouvre la baie vitrée et regagne l’intérieur, où l’attend Maud. Celle-ci trempe doucement ses lèvres dans son champagne, l’observant attentivement par-dessus son verre. Décidément, Jessica la trouve très bizarre. Peut-être ne tient-elle pas l’alcool, elle l’a vue boire plus que de raison, elle qui est du genre à se révéler très sobre dans tous les domaines… Pensive, Maud la fixe toujours d’un regard énigmatique, et lui balance brusquement sur un ton anodin :

 

  • — Tu sais, j’ai toujours été fascinée par les femmes comme toi, les femmes qui aiment les femmes…

 

Jessica s’en trouve la voix brisée, et c’est tout juste si elle parvient à croasser :

 

  • — Ah ! Et pourquoi ?
  • — Je ne sais pas… Ce qui sort de l’ordinaire m’intrigue. L’inconnu… À vrai dire, je ne sais même pas ce que deux femmes peuvent faire ensemble. Tu sais, je suis issue d’une famille si conservatrice et si pratiquante. Maman me protégeait des choses de la vie, elle appartenait à une époque révolue, toujours très humble et puritaine, enfermée dans ses croyances catholiques et refusant de s’ouvrir sur le monde extérieur, par peur sans doute d’affronter les péchés des autres. Et papa, lui, en tant que militaire, était très strict et rigide, si protecteur… Je suis en retard sur tant de choses ! Des fois, il m’arrive de me poser cette question : quel serait le bon choix entre un homme qui fait mal l’amour et une femme qui ferait divinement bien l’amour ? Devrais-je quand même choisir un homme pour faire comme tout le monde, entrer dans le moule parce qu’une société bien-pensante nous inculque ses obligations morales ?

 

Jessica est gênée d’avoir ce genre de discussion avec Maud. Avant leur rencontre, cette dernière était bien évidemment au courant de ses orientations sexuelles, mais n’avait jamais abordé ce sujet et s’était toujours comportée comme si de rien n’était. Elle est habituellement d’une discrétion exemplaire, avec un sens aigu du respect de la vie privée d’autrui. Jamais elle n’a essayé d’obtenir des détails croustillants sur son mode de vie. Elle n’est pas du genre à se laisser aller à ces conversations intimes et indiscrètes que les personnes d’aujourd’hui se sentent obligées d’entretenir pour se lier d’amitié. Jusqu’à cette nuit, car elle semble soudainement frappée par une curiosité inexplicable. Jessica met de côté sa nature libertine pour la jouer plus raisonnable :

 

  • — Le choix idéal, pour toi, est sans aucun doute un homme qui ferait divinement bien l’amour.
  • — Mais arriverait-il encore à rivaliser avec une femme ? Il paraît que leur expérience est incomparable.

 

Jessica ne sait plus quoi dire, se demandant si elle est sérieuse ou non. Elle doit faire une telle tête que Maud se met à rire.

 

  • — Jessica, je plaisante voyons…

 

Celle-ci n’en n’est pas si sûre car les yeux de Maud brûlent d’une étrange façon. Cette dernière se penche légèrement vers elle, et lui dit sur un ton de confidence :

 

  • — Je suis peut-être naïve, mais pas à ce point…

 

Jessica va pour acquiescer mais elles sont interrompues par Olivier qui revient en poussant un soupir de soulagement.

 

  • — Ouf ! Le petit monstre est enfin couché !

 

Encore déroutée, Jessica se donne une contenance en portant brusquement le verre à ses lèvres, avalant nerveusement plusieurs gorgées. Olivier s’assoit à côté de sa fiancée.

 

  • — Alors les filles, de quoi parliez-vous ?

 

Maud lui adresse un sourire innocent.

 

  • — Oh, rien d’extraordinaire… On parlait des choix qui nous sont malheureusement imposés dans cette chienne de vie…

 

Jessica s’étouffe, avalant de travers. Honteuse, elle s’excuse. Maud, un sourire étrange aux lèvres, se lève pour gagner la cuisine. Jessica, encore peu remise de ses émotions, la suit des yeux malgré elle. Maud a une démarche souple et gracieuse, mais c’est avant tout sa fine silhouette aux courbes pleines qui attire son attention. On ne se refait pas…

 

De taille moyenne, elle a un corps apparemment appétissant, mais qu’elle ne sait pas mettre en valeur, par manque de goût. Elle porte des vêtements amples, tristes, que Jessica n’oserait même pas mettre pour jardiner. Robes-sacs ou pantalons trop larges, elle n’a aucun sens de l’harmonie, et s’habille n’importe comment. Elle devine déjà dans ce laisser-aller les prémices de la routine qui s’installe dans le couple, le désir de ne pas faire d’effort pour plaire. Elle espère se tromper, ne souhaitant voir aucune menace planer sur leur couple. Si tel était le cas, c’est à Olivier d’être vigilant, d’être à la fois un homme attentionné et un amant inventif, de lui enseigner l’art de la séduction, de lui faire comprendre que rien n’est jamais acquis de façon définitive dans une relation à deux.

 

D’instinct, Jessica devine que la sensualité de Maud n’est pas encore arrivée à maturité, par manque d’expérience évidemment, et surtout freinée par une éducation trop religieuse et conservatrice. Il y a certainement en elle un feu intérieur qui ne demande qu’à s’éveiller, une sensualité qui plus tard se dévoilera, avec son futur mari s’il sait attiser ses désirs. S’il ne sait pas la satisfaire, le risque est qu’elle aille voir évidemment ailleurs ce qu’elle n’a pas à la maison. Avec d’autres hommes. Ou avec des femmes.

 

À cette dernière possibilité, Jessica sent son sang bouillonner. L’image de Maud nue et pâmée dans les bras d’une autre femme lui traverse l’esprit comme un délicieux flash érotique. Avec l’enivrante sensualité des caresses féminines, Maud découvrirait sans doute des voluptés insoupçonnées, à la fois raffinées et brûlantes, le goût des plaisirs saphiques, la soudaine révélation de sa propre féminité… Les allusions qu’elle a exprimées dans leur conversation n’étaient-elles pas un signe révélateur d’une bisexualité latente ? Cette possibilité la trouble au plus haut point, un mélange d’excitation intense et de honte, jamais elle n’avait réalisé jusqu’ici que Maud était une jeune femme très attirante. Elle ne lui avait porté aucun intérêt d’ordre physique parce qu’elle est la fiancée d’un ami d’enfance, donc une femme intouchable et inaccessible…

 

Jessica réalise brusquement qu’elle s’égare dans des fantasmes interdits et s’efforce vite de reprendre pied à terre. Elle aide Maud à desservir la table et lui promet, sur sa demande, à l’accompagner demain pour faire quelques emplettes. Maud semble en effet décidée à changer de look, à renouveler sa garde-robe. Jessica ne peut que l’encourager, ce ne sera pas du luxe !

 

Maud émerge timidement de la cabine d'essayage. Elle se sent horriblement mal à l'aise en s'observant dans la glace. Jessica adore le cuir, elle essaie de l'influencer en lui faisant essayer une minijupe en cuir noir, avec débardeur en jacquard. Elle reste époustouflée devant sa beauté. Elle n'avait jamais vu Maud dans des fringues moulées ou sexy, le résultat en vaut vraiment la peine. Elle est admirablement proportionnée, svelte et élancée. Plus grande, elle aurait pu faire carrière comme top-model sans aucun souci. Elle le lui dit tout de suite et Maud rougit de plaisir. Elle hésite encore à s'offrir cet ensemble, osant à peine lever les yeux sur son reflet. Jessica devine là les conséquences d'une éducation puritaine, sa mère avait apparemment un siècle de retard sur l'évolution des mœurs. Cela a laissé des traces indéniables sur sa fille et elle compte bien l'aider à s'en défaire.
- Maud, si l'ensemble te plaît je te l'offre.
- T'es folle ! Il en est hors de question !
- Je t’en prie, cela me fait plaisir.
- Je ne peux pas accepter, ça coûte une fortune.
- Peu importe, l’argent n’est pas un problème. Le sujet est clos.
Devant son insistance, elle finit par céder. De joie, Maud sautille sur place, lui saute au cou, déposant un gros bisou sur sa joue. Sa bouche est pulpeuse, un contact frais et humide qui procure vite un frisson voluptueux à Jessica. Le parfum capiteux qui monte de ce corps splendide finit de la troubler. Confuse, elle la suit des yeux tandis qu'elle regagne la cabine. Jessica aspire à fond, repoussant ce sentiment indéfinissable qui vient de la gagner. « Jessica, ma vieille, on se calme ! » Elle a retrouvé tout son sang-froid lorsque Maud ressort. Elles inspectent les lieux, à la recherche d'un autre article "coup de foudre". La vendeuse, qui connaît bien Jessica, les observe de loin. Elle sait très bien que sa cliente en connaît un bout sur la mode, elle sait en conséquence rester à sa place, sans chercher à l'influencer, et encore moins à la baratiner. Jessica fouille du regard, l'œil perçant. Rien de spécial n'attire son attention. Elle paie les articles achetés et elles sortent. Jessica est ravie de cette sortie lèche-vitrines entre filles, elle craignait au départ de s'ennuyer mortellement, n'ayant jamais eu l'occasion de se retrouver seule avec Maud. Elle s'attendait à ce qu'elle la saoule de paroles sur l'éducation des enfants en général, la scolarité, ou autres soucis ménagers. A sa grande surprise, rien de tel. Au contraire, il s'est très vite installé une grande connivence, un esprit frivole et léger, sous le signe de la bonne humeur. Maud, contrairement à la première impression qu’elle donne, a beaucoup d'humour, elle est curieuse, énergique et pétillante. Jessica la découvre avec joie. Sans son fiancé et sans son fils, elle n’est plus la même. En plus d’être d’un naturel désarmant, elle semble se libérer totalement, une véritable tornade de fraîcheur et de spontanéité, dont le charme opère divinement. Sa soudaine envie de changer radicalement de style vestimentaire intrigue malgré tout Jessica qui n'hésite pas à la questionner. Maud hausse les épaules.
- Oh, je ne sais pas, un ras le bol d'être toujours pareille…Mes fringues sont ringardes, vieux-jeu, il y' a longtemps que j'aurais dû les jeter !
Jessica sourit. Elle lui fait remarquer :
- Vas-y doucement, on ne change pas sa garde-robe en une semaine. C'est ton portefeuille qui va en prendre un coup, et Olivier qui va faire la gueule !
- D'accord, promis, j'y vais mollo…Mais ça va être difficile, il y' a tellement de belles choses. Tu sais, où je vivais avec mes parents, je te jure que c’était un trou perdu, il ne s’y passait jamais rien, il n’y’ avait pas tous ces magasins et toute cette vie qui bouge.
Elle s'arrête brusquement devant une vitrine qui expose des sous-vêtements affriolants. Sa première attitude est de paraître à la fois gênée et fascinée. Jessica trouve cela amusant, elle ressemble à une gosse émerveillée devant plein de bonbons, qui en meure d’envie mais n’ose pas céder à la tentation. Maud finit par se tourner vers elle.
- Jessica, qu'est-ce que tu mets comme sous-vêtements ? Des culottes ou des strings ?
- Des strings bien sûr, ou des boxer. Tu me vois avec des culottes grand-mère ! Quelle horreur, jamais je pourrai mettre des trucs pareils !
A son air confus, Jessica devine que c'est apparemment son cas, ce qui ne l’étonne pas trop. Elle prend un air désapprobateur et faussement maternel.
- Il va vraiment falloir que je te prenne en main, il y' a toute une éducation à refaire ! Allez, viens.
Elle l'entraîne à l'intérieur de la boutique. Elle connaît évidemment la gérante en tant que cliente fidèle, sa marchandise est de qualité, des dessous chics pour femmes au top de la séduction, des femmes qui n'ont pas froid aux yeux pour revendiquer leur féminité. Dominique l’embrasse avec effusion. Jessica lui présente Maud, sa beauté ingénue fait encore grande sensation. Dominique en est tout excitée :
- Splendide, où cachais-tu ce pur joyaux ! Tu te la gardais pour toi, c'est pas bien de me faire des cachotteries !
- Maud est une hétéro et c’est la fiancée d’un ami d’enfance, alors bats les pattes !
- Déjà à la colle avec un homme ? Quel dommage ! Enfin, il faut de tout pour faire un monde… Je présume que cette délicieuse enfant, si sage qu’elle paraît, veut s'encanailler avec quelques dessous diaboliquement érotiques !
- Exact. Tout sauf du classique, rien de sobre ou trop sage non plus, mais de l'audacieux, du suggestif, sans tomber dans le vulgaire. Je pensais à…Oh, excusez-moi !
La sonnerie de son portable vient de l'interrompre. Tandis qu’elle l'attrape, elle lance à Dominique :
- Bon, je te la laisse, elle est tout à toi.
- Tout à moi ? Tu prends des risques, ma chérie, je ne sais pas si je vais te la rendre !
Elle saisit doucement Maud par le bras et la dirige de l'autre coté du magasin. Avant de disparaître, Maud lui jette un regard amusé. Jessica lui adresse un clin d'œil complice en même temps qu’elle répond au téléphone. C'est son rendez-vous de jeudi prochain qui l'appelle, un couturier inventif et innovateur, promis à une belle carrière si elle arrive à en convaincre son rédacteur en chef. Jessica est journaliste de mode dans un magazine féminin, un métier qu’elle adore et qui lui fait gagner beaucoup d’argent. Son client l'informe d'une idée qu'il vient d'avoir pour l’interview, elle la trouve géniale et ils mettent au point les derniers détails. Cela lui prend dix minutes. Elle retrouve ensuite Dominique qui attend avec une impatience fébrile, faisant les cent pas.
- Alors ?
- Je crois avoir trouvé ce qu'il lui faut. Attendons le résultat, mais je suis certaine que l'effet sera renversant !
Jessica acquiesce avec confiance. Dominique connaît son métier. Elle aime les femmes, leur beauté, elle sait mettre en avant tous les signes distinctifs de leur sensualité. Dominique est une lesbienne vieillissante, délurée et mondaine, qui malheureusement évoque sous une forme caricaturale l'homosexualité féminine. Les cheveux gominès en arrière, elle affiche des attitudes masculines, dandy à l'Anglo-saxonne, teintées d'excentricité. Elle est habillée d'un pantalon noir en coton, chemise rayée légèrement féminisée par le jabot, boutonnée jusqu'au haut, foulard mauve, et veste d'homme en drap de coton. Ses manières sont démonstratives, trop exagérées. Jessica reste plantée à coté d'elle devant la cabine d'essayage. Maud se fait attendre. Enfin elle écarte le rideau, elle sort la tête, lançant des coups d'œil apeurés tout autour d'elle. Jessica la rassure.
- Il n'y a personne d'autres, tu peux sortir sans crainte.
Dominique s'impatiente.
- Mais c'est qu'elle se fait prier notre jolie biche aux abois ! Aurait-elle peur du grand méchant loup ?
Jessica lui adresse un regard agacé. Qu'est-ce qu'elle peut-être idiote celle-là ! Pas étonnant qu’elle soit toujours célibataire ! Maud prend son courage à deux mains, elle se risque enfin à sortir d’un pas hésitant. Jessica en a le souffle coupé, comme si on lui avait balancé un magistral coup de poing en plein ventre. Maud est littéralement craquante en body-string couleur chair, au soutien-gorge triangle, et porte-jarretelles en stretch assortis. La beauté du diable dans toute sa splendeur. Maud combat sa timidité, elle pivote sur elle-même, s'efforçant de sourire, et c'est son corps que Jessica mange des yeux, dans l'incapacité d'en détourner le regard. Ses seins sont petits, mais arrogants. Ses fesses sont agressives, bombées et fermes, son ventre plat, ses jambes fuselées à la perfection, le tout avec cette peau dorée, éclatante de santé et de vitalité, qui transcende avec délicatesse chaque forme affriolante. Jessica a de plus en plus chaud, et c’est à grand effort de volonté qu’elle réussit à se détacher de sa contemplation. Dominique, elle, en est bien incapable, droite comme un piquet, bouche béante, yeux exorbités, ressemblant piteusement à un mérou que l'on vient de sortir de l'eau. Jessica espère de tout cœur ne pas avoir eu la même expression stupide. Sa voix semble venir de très loin lorsqu’elle s’exclame :
- Superbe, Maud, cela te va à ravir !
Dominique arrive à croasser péniblement :
- Divine, tout bonnement divine !
Elle se racle la gorge, avec une telle force que l'on pourrait croire qu'elle s'apprête à battre un record de crachat. Elle reprend, d'une voix faible et extasiée :
- Femme- enfant, mi- ange mi- démon, si innocente et perverse à la fois…
Jessica comprend ce qu'elle veut dire. Maud est métamorphosée, une troublante lolita, ingénue et voluptueuse. Elle se dit qu'il n'est pas plus mal après tout que Maud soit inconsciente de son pouvoir de séduction, elle pourrait être terriblement calculatrice si elle le voulait, obtenant tout ce qu'elle voudrait posséder par son irrésistible charme. Maud, comme devinant leurs pensées, s'enhardit, les mains sur les hanches, prenant des poses lascives, et demandant d'une voix langoureuse :
- Jessica, tu avais totalement raison, j'aurais pu tenter ma chance comme mannequin, je viens de découvrir enfin ma vocation !
Dominique est sur des charbons ardents, prête au viol tandis que Maud aguiche involontairement son petit monde. Jessica s'empresse d'intervenir, poussant Maud vers la cabine, lui parlant comme à une enfant capricieuse que l'on essaie de raisonner, en appuyant sur chaque mot :
- Très bien, tu as raison. Maintenant on se rhabille vite, on paie cet article et on s'en va. C'est l'heure de la fermeture, Dominique a certainement des choses plus urgentes à faire.
Celle-ci proteste.
- Pas de problème, cela ne me dérange pas. Si vous voulez essayer d'autres lingeries, n'hésitez pas…
- Non, non, c'est gentil, mais on doit se sauver. N'est-ce pas, Maud ?
Jessica roule de gros yeux, grimaçant pour quémander son soutien. Mais Maud ne comprend pas, ou fait semblant de ne pas comprendre.
- Oh, non, pas déjà… J'aimerai essayer encore deux ou trois petites choses, j'ai repéré un joli caraco bordeaux qui…
- Celui-là.
Jessica se retourne, surprise. Comme par magie, Dominique vient d'apparaître avec l'article en question. Maud tape des mains avec émerveillement.
- Oui, c'est tout à fait celui-ci. Comment avez-vous fait pour deviner ?
- L'instinct professionnel, l'habitude…
Elle affiche un air faussement modeste. Tu parles ! Elle avait dû auparavant guetter chaque expression de sa cliente, repérant les articles qui éveillaient son intérêt, et maintenant elle saisit tous les prétextes pour la garder sous la main, dans l'unique but de se rincer l'œil et mieux faire connaissance. La vieille truie est aux anges, frôlant Maud à chaque occasion, faisant traîner la vente. Désespérée, Jessica assiste à la scène avec impuissance, excédée que Maud ne se rende compte de rien, avec surtout un étrange sentiment de colère, de désir possessif, comme si Maud lui appartenait. Elle repousse vite cette idée saugrenue. Leur petit jeu dure une petite demi-heure, elle feint l'indifférence la plus totale, ne dit pas un mot lorsqu’elles se retrouvent toutes les deux dans la rue. Devant son silence, elle cède la première, entrant dans une rage folle.
- Maud, t'es inconsciente ou quoi ! Tu ne voyais donc pas qu’elle te regardait comme si tu étais un esquimau glacé ? Si je n'avais pas été là elle t'aurait littéralement dévoré d’une seule bouchée, elle en bavait d'envie !
Maud la surprend encore une fois en prenant un petit air malicieux. Elle claque sa langue dans son palais, et roucoule :
- Hmm ! Cela aurait pu être agréable ! Une femme mûre, expérimentée, qui m'aurait appris pleins de choses ! Tu me compares à un esquimau glacé… Mais dis-moi, les glaces, ça fond dans la bouche, hein ? Qui sait, peut-être que moi aussi j’aurais aimé fondre sous ses baisers enfiévrés. Dire que je suis passée à coté d'une telle occasion sans m'en rendre compte !
La colère de Jessica tombe d'un coup. Ironique, Maud se moque d’elle, et elle tombe à pieds joints dedans. Elle maudit son comportement aussi stupide qu'irrationnel. Elle n'a aucune raison d'être jalouse, cela ne lui ressemble pas… Elle qui prône l’amour libre et crie à tue-tête son désir d’indépendance, là voilà bien à ressasser des pensées aussi rétrogrades ! De bonne guerre, elle sourit à son tour.
- Tu m'as bien eu ! Moi qui croyais que tu ne voyais rien !
- Je suis crédule, mais pas stupide. Bien sûr que j'ai réalisé qu'elle avait le béguin pour moi, cela m'a amusé de faire l'idiote, de rentrer dans son jeu. Une femme sait si bien faire semblant. Et c'était trop marrant de t'observer, si t'avais vu ta tête, un vrai doberman à qui l'on essaie de voler son os !
Jessica se rebiffe un peu trop vite.
- N'importe quoi, où vas-tu chercher des idées pareilles !
Maud ne dit rien, l'observe en coin avec amusement. Elle sort un bristol de sa poche et l'agite devant son visage, comme pour la narguer.
- Regarde, elle m'a donné ça discrètement avant qu'on s'en aille. Sa carte de visite, avec numéros de son fixe et du portable.
C'est sans réfléchir que, d'un geste vif et furibond, Jessica essaie de le lui arracher des mains. Maud est plus rapide qu’elle et le range dans sa poche.
- Non, non, je garde précieusement ses coordonnées, on ne sait jamais, ça peut servir... J’ai repéré plein d’articles sympas, je pourrai sans doute en négocier quelques-uns uns sans débourser un centime, si tu vois ce que je veux dire !..
Encore cette petite pointe de jalousie qui serre le cœur de Jessica. Imaginer Maud dans les bras de cette femme lui paraît insupportable. Du coup, elle se laisse submerger par une colère froide :
- La garce ! Quel toupet elle a cette vieille peau ! Elle vient de perdre sa meilleure cliente, je ne suis pas prête de remettre les pieds dans sa boutique minable ! Tiens, si, justement, j'y retourne maintenant, pour lui dire ma façon de penser !
Elle fait brusquement demi-tour, accélérant le pas. Maud la rattrape en courant.
- Jessica, arrête, c'est pas grave !
Elle lui prend la main avec une infinie douceur. Cela a un effet instantané. Jessica n’a plus de haine. C'est Maud maintenant qui la guide, sans la lâcher. Leurs doigts sont entrelacés et ni l'une ni l'autre n'osent rompre le charme, comme si un lien indéfectible venait de se lier entre elles. Des sentiments confus désarçonnent Jessica qui s'efforce vite de mettre ça sur le compte d'une soudaine et profonde amitié. De toute façon, il ne peut pas en être autrement. Maud fait partie des personnes sacrées et intouchables pour qui elle n’aura jamais de pulsions irréfléchies. Maud semble également émue par cette nouvelle complicité, elle le dit avec sa spontanéité habituelle.
- C'est drôle, Jessica, mais avec toi je me sens si bien, si femme, je revis complètement, c’est indéfinissable comme sentiment !
- C’est gentil.
- C’est vrai. Et je t’admire tant. Tu es à part en aimant les…
Elle hésite un peu avant de se lancer :
- …Les femmes. Au lieu de t’en cacher tu vis ça avec un tel naturel, presque de la fierté, comme si c’était glorifiant.
- C’est normal. Pour moi, ce fût comme une nouvelle vie, une chance d’être enfin heureuse et épanouie, trouver enfin cet équilibre qui me manquait tant. Je bénis le ciel d’être ce que je suis. Lesbienne et libertine, je ne peux que croquer la vie à pleines dents !
- C’est vrai, tu donnes l’impression d’être plus vivante que les autres femmes. Et plus libre aussi… C’est ça, plus libre, plus libre… s’écrie t- elle avec véhémence.
Elle lâche la main de Jessica et se met à courir, de plus en plus vite. Elle ouvre grand ses bras, comme un oiseau qui déplie ses ailes pour prendre son envol, et elle rit à gorge déployée, sans pouvoir s’arrêter. Jessica la suit, enchantée de la voir si heureuse, étourdie et grisée par cette frivolité contagieuse qui la fait rire à son tour. Elles finissent par ralentir, hors d'haleine, échangeant un regard ravi. Leur folle poursuite les a entraînée loin des grands axes, dans une rue résidentielle, calme et sereine. Elles passent sous des érables, un oiseau chante une douce mélodie, comme pour célébrer cette joyeuse harmonie. Jessica reprend son souffle plus rapidement et va parler lorsque Maud lui demande brusquement :
- Jessica, est-ce que je pourrais t’accompagner à une de tes soirées libertines ?
C’est si brutal qu’elle en reste sans voix. Maud, elle, est toujours hors d’haleine, mais c’est l’émotion surtout qui lui coupe le souffle. Ce qui ne l’empêche pas de relancer :
- J’aimerai tant voir comment cela se passe dans ce genre… ce genre de réunions.
Jessica retrouve sa voix.
- Cela n’a rien d’une réunion. Et ce que tu pourrais y voir risquerait de te choquer.
- Je sais… Voilà, c’est que… Olivier et moi n’avons aucune expérience, et notre vie sexuelle est un fiasco total. Je suis sa première fois tu sais, et lui aussi est mon premier amour. Au début, c’était une catastrophe… Il me faisait mal car il ne savait pas y faire, alors je me bloquais, et plus je me bloquais et c’est lui ensuite qui avait des pannes sexuelles tellement il angoissait ! Ce cercle vicieux a duré des années. Maintenant, cela va mieux, mais le sexe est encore un sujet tabou que l’on pratique peu. Olivier s’y désintéresse totalement, car c’est là quelque chose qu’il maîtrise mal et qui lui fait toujours peur.
- Il n’y’ a que le dialogue et la communication qui peuvent vous aider à surmonter ce genre de problèmes. Tu sais, il ne faut pas croire que l’échangisme est une solution pour un couple en crise. Cela ne recollera pas les morceaux comme par magie… Bien au contraire, il faut énormément d’amour pour accepter que l’autre aille voir ailleurs, il faut à l’origine des bases solides pour envisager de passer à autre chose…
- Mais l’échangisme est peut-être une solution pour un couple dont la crise est d’ordre uniquement sexuel. Pour tout le reste, on s’aime, on est heureux, on communique énormément. Il n’y a que le sexe qui ternit notre bonheur, sinon tout va à merveille !
Maud vient de lui lancer un cri désespéré, un appel à l’aide, et Jessica ne peut pas faire la sourde oreille. C’est contre ses principes. Elle est toujours persuadée du bien fondé de ses convictions sexuelles, à savoir que le libertinage peut réveiller des couples, renforcer une relation affaiblie par la routine et révéler des pulsions insoupçonnées. Pour elle, il est évident qu’elle trouve exclusivement du plaisir à l’homosexualité féminine, explorant un monde qui s’ouvre continuellement sur des horizons aussi vastes qu’infinis. Un instant, elle se demande si ce n’est pas justement ça qui plaît tant à Maud.
- Et si tu devais le faire, ce serait avec qui ? Avec un homme ou une femme ?
Maud retient sa respiration, le visage cramoisi. Sa réponse tarde à venir.
- Avec une femme. Enfin, en premier… Je crois que cela me débloquerait et briserait totalement mes inhibitions. Ce serait comme un déclic. Ensuite, je pense que j’aimerai goûter aussi à d’autres hommes, cela ne me déplairait pas d’essayer !
- Et bien, t’es une sacrée coquine toi ! Moi qui te donnait le bon Dieu sans confession !
Sa réflexion spontanée détend l’atmosphère, arrachant à Maud un petit rire nerveux.
- J’ai souvent des pensées impures, tu sais… Des fois, cela m’effraie !
- Quand il s’agit de fantasme ou de sexe, rien n’est sale ou impure, crois-moi. Surtout si cela est partagé avec celui que tu aimes. Cela n’est pas aberrant si, après le piment que vous procure le libertinage, vous continuez à garder tous deux vos moments d’intimité dans des rapports normaux. Et, en ce qui te concerne, cela ne te ferait pas de mal de dépasser ces préjugés grotesques que la bienséance t’a inculqués. Tu as été trop écrasé et étouffé dans ta jeunesse, et je pense qu’inconsciemment tu cherches à gagner une certaine liberté et autonomie dans une autre sexualité. Par le sexe, beaucoup de femmes prennent le dessus, gagnent en confiance et en assurance, se rassurent sur leur pouvoir et leur potentiel de séduction. Tu as besoin de briser des chaînes, et ce n’est pas ta sexualité frustrante qui va t’y aider. Mais ces chaînes, c’est à deux que vous devez les briser, c’est ensemble que vous devez prendre votre envol. Et qu’en pense Olivier ?
- Il ne sait pas trop, il est tellement indécis. Cela fait plusieurs années qu’on en parle et on tourne toujours en rond, sans prendre réellement de décisions. La seule chose sur laquelle on est d’accord, c’est que… c’est que…
Soudain, elle hésite, le souffle court.
- C’est que, si jamais je devais le faire avec une femme, ce serait avec toi. Seulement avec toi.
Une boule de chaleur irradie brutalement le bas-ventre de Jessica. C’est à son tour d’avoir du mal à respirer. Plein d’images traversent son esprit à une vitesse foudroyante. Elle et Maud dans le même lit, roulant l’une sur l’autre dans la même frénésie, se mélangeant leur corps, leur souffle, leur salive, dans des étreintes à n’en plus finir… Bon sang, comme elle aimerait partager ce moment unique avec Maud, l’initiant à des plaisirs divins, la révélant à elle-même et exploitant tout son potentiel érotique ! Voilà le genre de défi qu’elle adorait relever, et on le lui apportait sur un plateau d’argent. Elle tente de contenir son excitation pour garder les idées claires.
- Olivier serait prêt à te laisser faire l’amour avec moi ?
- Oui, s’il pense que cela peut me libérer et m’apporter de l’assurance pour nos relations futures, il serait prêt à l’envisager. C’est aussi une question de confiance, il me sera plus facile de m’abandonner avec une amie que je connais qu’une illustre inconnue. Enfin, je crois…
- C’est trop d’honneur ! Et Olivier, il ferait quoi en attendant ?
- Il m’assure que ni rien ni personne ne le tente, mais je crois que Coralie lui plaît beaucoup. Elle a le don de le dérouter et le mettre dans tous ses états, elle est bien la seule personne qui réussit à le troubler autant.
Évidemment, Coralie avait ce don inné de désarçonner tout être vivant sur terre, hommes ou femmes. Ses origines thaïlandaises l’imprègnent d’une beauté indéniable, exotique, qui se passe d’artifice. Elle est la jeunesse, la volupté, la grâce et l’amour. Et, dans ce dernier domaine, elle rivalise d’une imagination débordante. Pour ne pas la décevoir, il est conseillé de la suivre dans ses divagations, et même la précéder pour la surprendre ou ne pas rester à la traîne. Souvent, plusieurs partenaires suffisent à peine à assouvir ses ardeurs, et Jessica imagine mal le pauvre Olivier se débrouiller seul avec une telle tornade asiatique. Il ne s’en remettrait jamais. Et, pire, aurait ensuite du mal à se contenter de relations fades et monotones avec sa fiancée. Coucher avec Coralie est accéder à un tel bonheur que cela laisse des traces indéniables. On en sort étourdi, ébahi, et souvent perturbé. Elle n’est donc pas surprise que son charme agisse sur Olivier. Coralie est capable de débaucher un moine tibétain pour le transformer en étalon inépuisable, de tenter l’homme le plus amoureux et le plus fidèle, comme elle est capable aussi de transformer une hétérosexuelle convaincue en lesbienne déchaînée. Personne ne peut lui résister.


Coralie exhale un gros soupir, fronce son joli petit front d’un air pensif, puis finit par secouer énergiquement la tête en déclarant d’un air convaincu :
- - Non, je maintiens ce que j’ai dit. Beaucoup de couples viennent à l’échangisme pour chercher de nouvelles sources d’excitation et fuir ainsi la routine. Il n’y a pas de pire ennemie que la monotonie. Avec le temps on finit par se persuader que l’amour de l’autre nous est acquis de façon définitive, et c’est ainsi que l’on ne fait plus d’efforts pour plaire, on ne fait plus attention, on néglige son apparence et on en oublie l’importance de la séduction. Boulot-dodo, le stress, les enfants qui accaparent toute l’énergie, les problèmes quotidiens de la vie, tout cela fait que les couples délaissent sans le vouloir leur intimité. Alors, moins de désirs sexuels, moins d’amour, et voilà pourquoi autant de couples divorcent. Or le libertinage est la solution idéale pour ne pas tomber dans le piège de la monotonie. Du coup, les couples pimentent leur vie sexuelle, transgressent ensemble des interdits, et surtout font beaucoup plus d’efforts pour se plaire mutuellement et pour plaire aussi à leurs futurs partenaires.
- Tu exagères. Des couples qui s’éclatent ensemble au lit peuvent très bien en venir au libertinage pour d’autres raisons. Simplement pour assouvir une libido au-dessus de la moyenne, aller toujours plus loin dans la réalisation de leurs désirs.
Maud finit son verre d’un trait, assez vite pour que l’on ne remarque pas sa main qui tremble.
Elle en a appris beaucoup sur certaines pratiques de tous ces couples libertins qui, autour d’elles, semblent amoureux et complices, soudés par un lien indéfectible. Elle est presque convaincue du bien fondé de cette sexualité non-conformiste, ce qui l’étonne de sa part. Elle est littéralement fascinée par tout ce qui l’entoure et tout ce qui se dit. La polémique entre l’homme et Coralie dure depuis une bonne demi-heure, où chacun reste farouchement campé sur ses positions, et ne fait pas avancer le débat d’un pouce. Coralie a trouvé un interlocuteur aussi tenace et obtus, un bourgeois branché, pseudo- intellectuel aux idées bien arrêtées. D’emblée, Maud ne l’a pas aimé, et les minutes qui ont suivi n’ont fait que confirmer cette première impression. Elle laisse son regard se fixer sur le chèvrefeuille qui grimpe sur la pergola, suit distraitement les branches qui se croisent et s’entrecroisent au-dessus de leur tête. En l’absence de leur hôtesse, trop occupée à se faire culbuter dans une des chambres de sa villa, c’est Jessica qui les a reçue tous deux pour les installer sur la terrasse, au fond du jardin, prés d’un massif d’orangers du Mexique, dont les odeurs entêtantes leur chatouillent agréablement les narines. Maud se laisse griser par ce parfum délicieux, prenant sans le savoir une expression heureuse. La soirée a très bien commencé, sous les meilleurs auspices, surtout lorsque Maud s’est aussitôt laissée imprégnée par l’ambiance électrique, ce qui l’a plongée dans des sentiments contradictoires, entre malaise et une inavouable excitation. Les invités, pour la plupart, étaient charmants, originaux, faisaient preuve d’esprit, sans le moindre complexe. Deux femmes, jeunes et superbes, rayonnaient d’une beauté provoquante, un peu vulgaire, et apparemment côtoyaient souvent Jessica et Coralie dans le contexte libertin. C’est ainsi qu’elle avait apprit le métier de l’une d’entre elles - une volcanique brune italo-américaine - fière d’être call-girl et strip-teaseuse, et cela l’avait choquée un peu, mais à discuter avec des gens qui sortaient de l’ordinaire elle s’était sentie elle aussi un peu marginale, vivante, et surtout audacieuse. Cette sensation était exaltante, comme une joyeuse ivresse, ce qui mettait sa sensibilité à fleur de peau. Jessica, au départ, avait été aux petits soins avec elle, dévouée et attentive, faisant attention de mettre également Olivier à l’aise, et Maud avait trouvé cela très flatteur, comme un prince et une princesse qui ont droit à toutes les marques d’attention. Et puis, la tenue qu’elle portait, pantalon noir en stretch et Top soutien-gorge à paillettes, sans bretelles, au décolleté plongeant, avait fait grande impression. Elle s'était fait violence pour s’habiller un peu osée, mais elle en était largement récompensée. Apparemment, elle pouvait être sexy sans porter des ensembles ultra court ou tape-à-l’œil. Du coup, Jessica n’avait cessé de la complimenter, et une complicité s’était vite instaurée, un troublant jeu de séduction auquel elles se prêtaient avec ravissement. Le charme avait été brisé lorsque Olivier l’avait attrapé par la taille pour ne plus la lâcher, gardant un œil jaloux sur ce qu’il considérait comme sa propriété alors que d’autres hommes lui tournaient autour sans s’en cacher. Maud en avait été agacé, terrassée ensuite par un sentiment de jalousie quand Jessica avait filé avec une autre femme pour rire à gorge déployée, l’enlaçant d’un peu trop prés. Tout cela était confus, cette attirance qu’elle voulait refouler, ce genre de conflit intérieur qu’elle n’avait jamais eu à affronter parce que son existence avait été jusqu’ici un modèle de conformité et de droiture. Désorientée, Maud s’était retrouvée sous la pergola à écouter Coralie débattre avec cet homme prétentieux, « Monsieur je sais tout et j’ai la science infuse » ! La femme de ce dernier, une petite rousse moulée grossièrement dans un ensemble transparent, esquisse un petit sourire indulgent et s’adresse à Maud :
- Vous l’excuserez, mon mari ne peut s’empêcher de monopoliser toutes les conversations, il est incurable !
- Il n’y a pas de mal, il dit des choses tellement passionnantes !
Maud le dit sur un ton tellement faux et hypocrite qu’elle ne sait plus où se mettre. Elle se lève brusquement. Olivier, qui n’avait cessé de lui tenir la main sous la table, tente de la retenir.
- Tu vas ou ?
- Ou tu ne peux pas aller pour moi.
Elle s’en veut d’être agressive, consciente que l’absence de Jessica lui met les nerfs en pelote. Elle se rattrape par un sourire.
- Ne t’inquiète pas, je reviens.
Coralie rassure à son tour Olivier.
- Dans le milieu échangiste, c’est toujours la femme qui est seule maîtresse à bord. Tout est permis mais rien n’est obligé. C’est à elle seule à décider, elle est un peu comme une reine qui a plein pouvoir, qui contrôle tout. Ta femme ne risque donc absolument rien. Sauf si elle en décide autrement…
Cette dernière réflexion n’est pas pour le rassurer. Inquiet, il suit sa fiancée des yeux alors qu’elle disparaît à l’intérieur de la majestueuse villa qui domine la baie de Cannes. Coralie tente de le distraire.
- Alors, qui a décidé de venir à notre petite fête ?
- Tous les deux. Nous prenons toujours nos décisions en commun.
Un léger sourire narquois étire les jolies lèvres de l’Eurasienne.
- Voilà une entente qui vous honore. Et vous avez établi des règles avant de venir ici ?
- Quelles règles ?
- Qui fait quoi avec qui, ensemble ou séparément, petits câlins ou relations complètes, avec ou sans pénétration…. Tout ce genre de petits détails qui peuvent être établis pour que chacun fasse ce qui lui plaît dans la sérénité et le respect.
Elle ne cesse de l’observer d’un regard fixe et insistant. Olivier s’en trouve paralysé, le cœur battant soudainement plus vite. Bon sang, comment une telle femme pouvait exercer une telle fascination ? Et comment un si beau visage pouvait dégager d’un coup une telle perversité ? Ses grands yeux en amande sont en parfaite harmonie avec le doux ovale de son visage, ses traits sont sensuels, pimentés par une bouche chaude et généreuse. Ses cheveux noirs comme du jais rebondissent sur ses épaules, luisants, comme animés d'une vie propre, avec la même vitalité qui semble émaner de tous les atomes de son corps. Olivier a du mal à garder la tête froide. Il en bafouille :
- Je… non, on n’y a pas réfléchi. Enfin, si. On a juste dit que si l’un d’entre nous était tenté il devait en parler à l’autre d’abord. Et, si cela dérapait malgré nous, que seul le flirt était autorisé.
- Et bien voilà ! On y arrive… C’est ça que j’appelle des règles. Et tu penses réellement garder le contrôle si cela dérape ?
- Je pense, oui. Cela dépend avec qui.
- Et avec moi ?
Olivier tente de dissimuler son malaise. Il a l’impression d’être sur des charbons ardents, jouant avec le feu avec la plus irrésistible des tentatrices. Coralie dégage une telle aura de sensualité dans ses gestes, ses postures, qu’elle semble rayonner d’une force sulfureuse, ce qui la rend encore plus envoûtante. Et elle d’une beauté à couper le souffle dans son kimono en soie qui, volontairement écarté sur le haut, laisse ses seins découverts. La ceinture qui l'enserre met admirablement en valeur sa taille souple et évasée.
Encore plus troublé, la gorge sèche, il n’arrive plus à parler, de peur d’articuler un croassement autant inaudible que ridicule. Avec la souplesse d’un serpent, elle se lève et lui tend la main.
- Viens.
Sa voix douce est comme une caresse. C’est dans un état second qu’il saisit sa main et se laisse guider à l’intérieur de la villa. Il croise plein de monde sans les voir, comme aveugle, comme si c’était quelqu’un d’autre qui se laissait entraîner dans une chambre. Une porte claque, et il se retrouve sans savoir comment collé contre un mur, enlacé par Coralie qui se colle étroitement à lui. La chaleur de son corps et ses formes affriolantes lui provoquent instantanément une érection incroyable qu’il ne peut maîtriser. Un dernier sursaut de conscience le fait réagir.
- Attends, Coralie… Il ne faut pas…
Celle-ci n’a qu’à se hisser sur la pointe des pieds pour le faire taire. Ses lèvres humides et chaudes ont une infinie douceur, et il est impossible de ne pas répondre aux délicieuses sollicitations de la langue qui s’est déjà habilement faufilée entre ses dents. Olivier y répond malgré lui et découvre aussitôt qu’elle embrasse divinement bien, avec un art consommé à rendre n’importe quel homme fou de désir. C’est dans cet état qu’il se retrouve rapidement, lui mordant presque sauvagement la bouche alors qu’elle ne cesse de le provoquer en l’embrassant voluptueusement, ondulant en même temps des hanches contre lui. N’ayant jamais échangé un baiser aussi long et aussi fougueux, il doit s’écarter un instant pour reprendre son souffle. Le désir qu’il lit dans ses beaux yeux en amande lui donne le vertige. Il voit s’entrouvrir ses belles lèvres sensuelles et respire en même temps son parfum capiteux. Il comprend alors qu’il est un homme perdu. Jamais aucune femme ne lui a fait autant d’effet, et ce n’est pas son kimono qu’elle ouvre lentement, dévoilant son corps complètement nu, qui lui fera reprendre ses esprits...

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