Divines et Innocentes

Divines et Innocentes

Le Château des Tribades 2.

Une jeune femme court à perdre haleine sur le sable fin d’une plage bordée de cocotiers. Elle se précipite à la rencontre d’un beau cavalier qui, empressé de la retrouver également, donne de furieux coups de talons sur les flancs d’un superbe étalon noir. A quelques pas de la femme, il stoppe l’élan fougueux de son cheval, met vivement pied à terre pour l’accueillir dans ses bras ouverts. Elle s’y jette éperdument avec un rire de bonheur. Le couple s’embrasse avec passion, tendrement enlacé, tournoyant au bord de l’eau. Ils sont seuls, isolés et les plus heureux du monde dans un décor paradisiaque qui renforce l’aspect romantique et onirique de cette scène. Une douce mélodie accompagne les étreintes du couple.

Le mot Fin apparaît brusquement sur l’écran de l’ordinateur.

C’est Inès qui vient de finir les dernières lignes de son nouveau roman à l’eau de rose. Le visage ruisselant de larmes, elle se mord les lèvres en levant les yeux au plafond, bouleversée par ce qu’elle vient de taper. Elle ne peut contenir d’autres sanglots alors qu’elle se relit. Elle clique sur enregistrer puis, à regret, éteint son ordinateur, quitte son bureau et se dirige vers sa bibliothèque où sont alignés tous les livres qu’elle a écrit, et qui ont fait sa gloire. Tout en s’essuyant les yeux du revers de la main, elle contemple rêveusement toutes ses œuvres, les effleure du bout des doigts avec une affection toute particulière. Elle se rend ensuite dans la cuisine, se sert un verre d’eau, puis passe par la baie vitrée pour se rendre dans son jardin.

Vue aérienne de sa maison, isolée dans une forêt de moyenne montagne. Elle habite dans un immense chalet. L’entrée est en vieille pierre, mais tout le reste de la façade est habillé de bardage et de bois, avec de grandes baies vitrées et un toit à double pente. Une originalité architecturale qui mélange l’esprit rustique savoyard et la modernité.

Inès passe sous une tonnelle pour gagner un splendide jardin parsemé de fleurs – un havre de paix, multicolore et parfumé, parfaitement entretenu. Elle inspecte sereinement son sanctuaire, avec ravissement. Le moment n’est pas à l’entretien, mais à de secrètes pensées qui lui font prolonger sa promenade solitaire en toute quiétude. Elle caresse ses roses avec délicatesse, renifle ses fleurs les plus odorantes avec un ineffable bonheur. Tout dans son comportement révèle une grande douceur, une sensibilité à fleur de peau, un caractère fragile et indépendant. Cet esprit romantique, cet attachement à une époque révolue et surannée, se confirmera dans tout ce qu’elle entreprendra par la suite. Sa tenue vestimentaire le prouve également, une longue robe toute simple en coton, imprimée de fleurs rouges et de motifs démodés. Mais même ainsi vêtue, Inès est divinement sexy, un délicieux bouquet de séduction et de volupté. C’est une femme terriblement attirante, auréolée d’une grâce juvénile et d’une innocence touchante, avec des formes harmonieuses et sensuelles.

Sa chevelure est blonde comme le blé, un manteau d'or fin qui transcende sa peau dorée  dans les éclats ardents du soleil, ses yeux immenses et sombres à s’y noyer, avec des cils épais. Son visage est celui d’une enfant presque, avec des traits fins et délicats, un nez étroit, des lèvres pleines et joliment ciselées en forme de cœur.

Ses pensées vagabondes sont interrompues par une sonnerie. Souple et légère, elle court ouvrir. Une femme bourgeoise et excentrique entre d’un pas décidé.

-  Inès, quand vas-tu te décider à sortir de ce trou perdu ? J’angoisse rien qu’à l’idée de tomber en panne en plein milieu de cette forêt sauvage. Il faut vraiment que je tienne à toi pour venir jusqu’ici.

-  Bonjour, Julie.

-  Oui, oui, bonjour. Excuse-moi, je suis encore sous le choc.

- Tu n’as rien à craindre, tu sais. Il n’y a pas de loups ici, ni aucune autres bêtes affamées… Juste quelques renards sans doute plus effrayés que toi.

-  Des renards, quelle horreur ! Et s’ils avaient la rage ?

Inès éclate de rire. Les allures précieuses de son amie l’amuse. Exaspérée, celle-ci ne cesse de lui faire des reproches sur son entêtement à vouloir s’enterrer en pleine montagne.

-  Ma chérie, tu as les moyens de vivre dans un somptueux appartement en plein cœur de Paris, alors fais-moi plaisir, fous le camp d’ici. A quoi sert tout cet argent que tu gagnes ? C’est à se le demander !

-  Que veux-tu que je fasse à Paris ? Je déteste les mondanités, je laisse la gloire et les paillettes pour les gens en quête de célébrité facile, qui veulent se montrer et pavaner. Tu sais bien que tout ça me met mal à l’aise, et il n’y a qu’ici où je peux écrire. J’ai besoin de calme, de solitude, d’être proche de mes racines, la famille, les amis d’enfance, de rester en contact permanent avec mes origines. C’est la source même de l’inspiration, c’est la clé de mon succès. Enlève-moi ces plaisirs simples et je ne serai plus capable d’écrire une ligne. A moins que tu ne préfères que je devienne un écrivain raté ?

-  Tu rigoles ou quoi ! Je suis ton amie, mais avant tout ta directrice d’édition. Plus tes romans ont du succès et plus je gagne de l’argent. Ils se vendent tous à des millions d’exemplaires, sauf le dernier qui n’a pas trop bien marché, mais cela arrive à tout le monde de traverser une mauvaise passe… Tu vas remonter la pente, j’ai confiance, surtout avec celui que tu écris en ce moment, il va casser la baraque, je compte bien te faire passer la barre des vingt millions avec celui-ci. Au fait, où en est-il ? Tu l’as bientôt fini j’espère ?

-  Oui, je viens de le terminer à l’instant. Deux ou trois petites corrections et je te le remets aussitôt.

-  Parfait. Oh ! Toi, tu as pleuré, tu as les yeux tout rouges ?

Inès esquisse un sourire contrit.

-  C’est rien, ça va passer…

Devant le regard interrogateur et insistant de Julie, elle s’explique :

-  Bon, j’avoue, c’est le dénouement de mon roman qui m’a un peu ému. Je suis une éternelle sentimentale, on ne se refait pas !

-  Ma pauvre chérie, tu es née un siècle trop tard ! Toutes ces valeurs auxquelles tu crois éperdument n’existent plus, reviens un peu sur terre. Et, des fois, tu m’inquiètes vraiment à vivre de façon si intense tout ce que tu écris, tu t’enfermes dans un monde onirique, tu te fais du mal à vivre toutes ces histoires d’amour par procuration. Tu es jeune, belle, désirable, apprends à sortir et à goûter réellement aux plaisirs de la vie. Mais pour ça, avant tout, quitte ce bled paumé, ce ne sont pas les bouseux du coin qui vont faire battre ton petit cœur si romantique, aucun prince charmant ne viendra frapper à ta porte ! Tu risques d’attendre longtemps, tu vas finir vieille fille, crois-moi…

-  Mieux vaut vivre seule que mal accompagnée. Ce n’est pas toi, après ton deuxième divorce, qui me dira le contraire ?

-  Touchée, coulée !

Elles rient en même temps. Julie dissimule son agacement derrière une façade d’exubérance excessive. Inès est un cas unique que rien ni personne ne pourra changer. Auteur de roman à l’eau de rose, elle est depuis deux ans en panne d’inspiration, suite à un traumatisme provoqué par une agression. Depuis, elle s’est isolée dans un chalet de montagne, coupée du monde, indifférente aux injonctions de son banquier et de son éditrice qui s’impatientent. Rêveuse, effacée, elle prend rarement part à l’effervescence de son milieu, se contentant de sa solitude, se déconnectant de la réalité en voulant toujours croire au grand amour et au prince charmant, avec ce même romantisme que les héroïnes de ses romans.

Inès lui propose à boire, Julie accepte avec joie un Martini. En constatant que son amie ne l’accompagne pas, elle la taquine gentiment.

-  Ma chérie, prends un verre d’alcool, ça te décoincera un peu. Tu ne te lâches donc jamais ?

-  Je ne tiens pas l’alcool. Un jus d’oranges ira très bien.

Julie hausse les épaules avec résignation. Elles s’installent dans le salon, s’asseyant l’une en face de l’autre. Inès croise les jambes, et dans son mouvement la robe remonte bien au-dessus du genou, dévoilant de longues jambes racées, à la peau dorée. Julie en est toute chose, avec de soudaines bouffées de chaleur. Menant une vie de tous les excès, elle avait goûté à tous les plaisirs, se lassant assez vite des hommes pour s’intéresser plutôt aux femmes qui, elles, ne l’avaient jamais déçue. Un choix qui ne cessait de s’affirmer, et ce n’est certainement pas la présence troublante d’Inès qui allait la faire changer d’avis. Elle aurait donné une bonne partie de sa fortune pour avoir une aventure avec celle-ci, un fantasme secret qu’elle entretenait depuis pas mal de temps déjà. Et un fantasme qui le resterait sans doute jusqu’à la fin de sa vie… Découragée devant tant d’injustice, Julie abandonne ses manières démonstratives et exubérantes pour afficher un air un peu plus sérieux.

-  Comme je te l’ai dit au téléphone, j’ai une affaire en or à te proposer. Un scoop sans précédent, qui pourrait avoir des retombées faramineuses. Je devais t’en parler de vive voix, c’est une occasion comme il ne s’en présente qu’une seule fois dans sa vie, et il faut la saisir sans la moindre hésitation, tu m’entends ? Je suis là pour te convaincre, tu ne peux pas imaginer ce que cela me coûte de quitter Paris et ses folies nocturnes. J’espère que tu apprécies à sa juste valeur l’ampleur de mon sacrifice, alors ne me déçois pas.

-  Je suis flattée que tu m’accordes tant d’importance, lui répond Inès avec une pointe d’ironie.

-  Bon, venons-en aux faits. Tu connais évidemment le producteur Jean Vernier ?

-  Bien sûr, qui ne le connaît pas. Le richissime et mystérieux Jean Vernier a toujours fait couler beaucoup d’encre, il est autant adulé que contesté, et qu’il soit aimé ou détesté ne l’empêche pas d’être un mythe vivant du cinéma français, un personnage charismatique et fascinant. Producteur, distributeur, homme d’affaires redouté, il a bâti un véritable empire autour du cinéma populaire, on lui doit nos plus grands classiques et les plus grands succès commerciaux de ces vingt dernières années. Il n’y a pas un jour sans qu’on le voie dans des magazines ou à la télé, mais malgré cette notoriété, c’est un homme très énigmatique, il a toujours préservé jalousement sa vie privée, et toutes sortes de bruits courent sur lui. Certains disent que c’est l’être le plus cynique et le plus prétentieux qui existe, d’autres l’accusent d’être un véritable débauché, et certains restent persuadés qu’il est bel et bien cet assassin dont on l’accusa il y a quelques années. Il a été innocenté pour le meurtre de sa deuxième épouse, mais certains soupçons pèsent toujours sur lui, il est fort probable qu’il en fût l’investigateur. Mais je ne suis pas habilitée à porter le moindre jugement, je ne le connais pas suffisamment pour ça.

-  Donne-moi quand même ton avis personnel. Que penses-tu de lui ?

-  Il est certain que je n’appartiendrai jamais à son fan club. Je le trouve présomptueux et arrogant, et il cultive cette vanité avec un art inimitable. Mais je me trompe peut-être, les apparences peuvent être trompeuses, comme je te l’ai dit, je ne le connais pas personnellement.

-  Et bien justement, voilà une lacune qui peut être réparée. Figure-toi qu’il est prêt à t’accorder l’exclusivité sur toute sa vie, de sa jeunesse tumultueuse à sa rencontre avec Catherine. Il veut surtout lever le voile sur cette sombre affaire, leur véritable histoire d’amour et les circonstances affreuses dans lesquelles elle a perdu la vie, et pourquoi on l’a soupçonné à tort. Il est prêt à se dévoiler, à se mette à nu, à te livrer ses failles et ses faiblesses les plus profondes pour te permettre d’écrire ce qui sera la biographie la plus passionnante de ce siècle. Tout, quoi ! N’est-ce pas formidable ?

Inès ne peut dissimuler son étonnement.

-  Pourquoi moi ?

-  Je ne sais pas, et je m’en fous littéralement. Il t’a choisie, c’est ça le plus important.

Devant l’air méfiant d’Inès, elle réfrène son exaspération et continue sur sa lancée.

-  Il doit aimer ton style, ou il t’a aperçue lors d’une de tes rares interviews et tu lui as tapé dans l’œil. Je n’en sais rien… C’est son secrétaire particulier qui m’a téléphoné, crois-moi, j’en suis restée sur le cul lorsqu’il m’a demandé tes coordonnées. J’ai refusé, faisant valoir mon rôle de responsable et d’éditrice, et c’est alors qu’il m’a parlé de ce projet, avec une telle insistance que j’ai compris que c’était vraiment sérieux. Tu me connais, je suis dure en affaire, j’ai négocié comme il se devait, et le poisson est ferré. Toi et moi sommes invitées à une réception, dans cinq jours. Tu y rencontreras Monsieur Vernier en personne, et pour conclure cette association il semble tout disposé à t’ouvrir pendant plusieurs semaines les portes de son château cathare. Alors, qu’est-ce qu’on dit à son éditrice préférée ?

Inès ne paraît pas emballée. Inquiète, elle demande :

-  Et cette réception, elle est où ?

Julie semble appréhender sa réaction en répondant faiblement :

-  A Paris.

Et elle ajoute vivement :

-  Mais je te promets de m’occuper de tout, de A à Z. Avion en première classe, chauffeur privé à ton entière disposition, pas une seule seconde tu seras toute seule et…

-  C’est hors de question !

-  Si tu veux, je viendrai moi-même t’accueillir à l’aéroport, je te dorloterai comme une princesse… Je t’en prie, ne me fais pas ça… C’est une question d’une nuit, le lendemain matin tu seras de retour chez toi à une telle vitesse que tu auras eu l’impression d’avoir rêvée tout ça.

-   Non, non et non ! Ne me parle pas de rêve, c’est un véritable cauchemar que tu veux me faire subir ! Je déteste Paris, j’exècre Paris ! La capitale m’oppresse, m’étouffe, c’est une appréhension que j’ai depuis cette agression, tu en connais parfaitement les causes et tu ne peux pas m’obliger à affronter une telle épreuve… C’est au-dessus de mes forces, Paris me rappelle trop de mauvais souvenirs.

Elle est réellement paniquée, tétanisée par de terribles angoisses. Un traumatisme dont elle n’est pas prête de se libérer, mais Julie tente d’amoindrir la gravité de la situation.

-  Chérie, débarrasse-toi du passé, tire un trait sur cet événement qui t’empêche d’aller de l’avant. Cela fait deux ans que ça s’est passé, tourne la page, et pour t’aider à oublier dis-toi que cela aurait pu être pire, tes agresseurs n’ont pas réussi à aller jusqu’au bout, tu as été sauvée in-extremis par la police qui, pour une fois, est intervenue à temps. Allez, je t’en prie, fais un effort…

-  Julie, le sujet est clos. Rien ne me fera changer d’avis, dit Inès avec détermination.

 

On la retrouve vêtue d’une courte robe du soir, splendide en noire qui met en valeur la douceur veloutée de sa peau claire, ses longues jambes fuselées au galbe sublime. Chez une autre femme, sa tenue courte aurait été indécente, voir vulgaire, mais chez elle cela ajoutait un piquant troublant, entre sensualité et romantisme.

Elle est perdue et désorientée dans un immense salon de luxe où se bousculent et s’interpellent de nombreux invités distingués, tous très à l’aise dans ce genre de festivités mondaines. Elle est sauvée de l’ennui par Julie qui, de loin, lui fait signe de venir la rejoindre. Elle lui présente le producteur Vernier. C’est un bel homme, grand et élancé, avec de la prestance. La mine hautaine et fière, il accapare plusieurs femmes de ses paroles pompeuses et de grands gestes théâtrales. Il s’interrompt malgré tout lorsque Julie s’avance en tenant fermement Inès par le bras. Cette dernière donne l’impression de vouloir prendre les jambes à son cou et de s’enfuir le plus loin possible d’ici.

-  Enfin, la grande et secrète Inès ! J’ai le grand privilège de vous approcher de près, on vous dit si sauvage et si inaccessible ! J’espère que cette réputation est erronée ?

-  Non, elle est authentique. Je ne m’apprivoise qu’avec les personnes qui en vaillent vraiment la peine, et Dieu sait qu’ils sont rares.

-  Diable, voilà pourquoi vous vivez recluse au fin fond de votre forêt, un éphémère refuge pour une indomptable biche effarouchée. Quel gâchis, une si jolie femme, si intelligente et pleine de talent. En tout cas, vos romans sont à l’image même de votre personnalité, si naïfs, si purs, pleins de bonnes intentions qui vous vont à ravir.

-  lls restent purs et intacts parce ce que, comme moi, ils savent se tenir à l’écart de la déchéance humaine et de toute cette hypocrisie qui corrompt notre société. Une société qui a perdu toutes ses valeurs, ce que je déplore. C’est cette authenticité et cette quête d’absolu qui font la force de mes romans, et je suis fière de garder espoir sur le destin des hommes et des femmes, même les plus vils.

Décidément, le courant ne passe pas. Inès semble agacée par l’assurance condescendante et moqueuse de son hôte. Celui-ci s’amuse à la piquer, ravi d’avoir en face de lui une femme qui ne se laisse pas impressionner et lui damne sérieusement le pion. Charmé, il s’exclame :

-  Mais j’adore, tout au contraire ! De l’épopée romantique, du souffle épique, voilà ce qu’il me faut, il n’y en aura jamais assez pour raconter toute mon histoire, la vraie, la seule, l’unique… De l’émotion et du romanesque ne pourront qu’atténuer certains côtés sombres de ce passé que j’aimerais tant exorciser en racontant haut et fort la vérité, une vérité que votre plume et votre talent sauront si bien sublimer et transcender. Si vous acceptez mon offre, bien entendu…

Julie, qui était alors crispée en assistant avec impuissance à des joutes verbales qui n’envisageaient rien de bon, semble se détendre peu à peu. La conversation prend une tournure plus amicale. Souriante, elle s’empresse d’intervenir :

-  Bien sûr qu’elle accepte, tous les détails sont réglés. N’est-ce pas, ma chérie ?

-  Faut voir… L’invitation est pour quand ?

-  Ce week-end, pour une semaine. Je vous en prie, acceptez et vous ne le regretterez pas.

Un sourire énigmatique étire les lèvres d’Inès.

-  Julie a les coordonnées de votre secrétaire, je ne tarderai donc pas à vous transmettre ma réponse. Merci de m’avoir accordé un peu de votre temps précieux.

Espiègle, elle lui tourne le dos et se dirige vers le bar. Vernier la suit des yeux avec le regard du prédateur sûr de sa victoire, mais une expression à la fois admirative et intriguée illumine son visage d’un sentiment nouveau. Inès disparaît dans la foule, suivie de près par Julie qui tourne autour d’elle en caquetant comme une hystérique :

-  Tu es folle ou quoi, qu’est-ce qui t’a pris ?

-  Ne t’inquiète pas, ma réponse est oui. Mais laissons ce prétentieux dans l’incertitude, il a tellement l’habitude de tout obtenir que cela ne lui fera pas de mal de mijoter un peu dans son jus.

Rassurée, Julie saisit une coupe de champagne qu’elle boit d’un trait. Inès s’informe auprès d’un serveur s’il y a des boissons non alcoolisées, et selon les conseils de ce dernier trempe les lèvres dans un cocktail à base de jus de fruits.

-  Hmm, excellent.

Julie hoche la tête avec désapprobation.

- Inès, tu pourrais faire un effort pour une fois. Bouleverse tes habitudes et fêtons l’événement comme il se doit, en nous saoulant et en nous amusant comme des folles !

Devant l’air grave de son amie, elle se désespère.

-  Inès, tu es triste à mourir ! Comment peut-on être si sérieuse et si conventionnelle ?

-  Désolée, mais même si j’en ai envie je ne peux transgresser cette règle d’or : ne jamais boire d’alcool. Si je le fais, je deviens une véritable catastrophe ambulante, je perds le contrôle et je commets les actes les plus délirants qui existent, sans m’en rendre compte. Le pire, c’est qu’après je ne me souviens plus de rien, ce qui vaut sans doute mieux quand j’ai ensuite connaissance des dégâts que j’ai occasionnés. Crois-moi, pas une goutte d’alcool et tout le monde s’en portera mieux !

-  A ce point ?

-  Oh, que oui ! A seize ans, pour ma première cuite à la sangria, je me suis retrouvée nue comme Eve à sauter comme un cabri dans toute la maison de mon petit ami. Lui était aux anges, mais ses parents beaucoup moins… Scandale et rupture à la première heure du matin. Et pour fêter mon permis, j’ai échappé de justesse à un viol collectif tellement je me suis montrée aguicheuse et impudique, provoquant tous les mâles du bar après avoir ingurgité imprudemment quelques bières. Et de tout cela, je n’ai aucun souvenir, mais les amis qui m’accompagnaient s’en souviennent encore, surtout ceux qui se sont interposés et pris des coups pour calmer les esprits échauffés. Je n’ai aucune envie de remettre ça.

-  Dommage, j’aimerai bien voir la trop sage Inès se lâcher complètement, je donnerai cher pour assister à un tel spectacle.

-  Dans une autre vie, certainement…

-  Dommage… Il y a en toi un feu secret qui brûle, mais tu refuses de te laisser enflammer.

-  Oh, non, pitié, ne recommence pas avec ta psychologie à trois sous :  » Lâche du lest, profite de la vie, laisse-toi aller… « . Tu radotes ma pauvre Julie, le disque est rayé !

-  Si seulement tu suivais mes conseils, je pourrai enfin assister à ta métamorphose, à une renaissance, pour ton plus grand bonheur…

Et, cette métamorphose, elle aimerait bien que cela se passe avec elle. Dans son lit. Une nuit, juste une nuit… Julie n’était plus très jeune et très belle, mais son expérience est sans limite. Elle lui ferait des choses qui la rendrait folle, la ferait délirer, hurler et supplier…

A SUIVRE...

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