Divines et Innocentes

Divines et Innocentes

Fureur lesbienne.

Même s'il peut être facile de dire, lors d'un dîner, que l'on a envie de coucher avec une femme, passer à l'acte est une autre histoire. Banalisée, l'aventure d'une fille avec une fille l'est indéniablement. Mais il ne faut pas se tromper, le fossé est grand entre le fantasme et l'acte. D'ailleurs, lorsqu'elle femme n'a connu que des hommes, comment se retrouve-t-elle face à un corps de femme ? Comment naît le désir ? Autant de questions que ne se posait certainement pas Jade, enlisée à presque 40 ans dans une routine sexuelle qui ne l'inquiétait aucunement. Mais voilà, un soir d'orage, de fièvre érotique, d'audace, elle répond un peu trop vite au défi de son mari Yannis, et accepte stupidement de se prêter au jeu, séduire une lesbienne, sans aller plus loin. Malgré sa méfiance, elle se laisse donc prendre au jeu, sous le charme d'une femme un peu plus jeune, Anne, séduisante et charismatique, qui va l'entraîner dans un jeu de séduction beaucoup plus dangereux qu'elle ne le pensait, où elle va perdre le contrôle. Comme pour son mari, également présent dans la discothèque homo, aussi vite dépassé par les événements...

Jade va se retrouver confrontée à ses propres démons, une sexualité refoulée, où vont  émerger les ténèbres, des forces obscures, sa vraie nature. Une autre femme. Ardente, passionnée, indécente, sauvage. Elle a ouvert la boite de Pandore, sans prendre conscience du danger car cet univers lui était complètement inconnu. Trop tard. Elle va se retrouver comme prisonnière de ce rapt fou et démentiel, un continent de plaisir inconnu et intense, qui va bouleverser à jamais sa vie sentimentale et sexuelle. Excès, fureur, démesure, pulsion sauvage, ravage, ce sont ces quelques mots qui vont résumer cette expérience bouleversante, où elle a succombé corps et âme.  Pour son bonheur ? Pour son malheur ? A vous de décider en vous laissant emporter par son histoire...


Anne se retourne, allonge le bras et éprouve aussitôt un angoissant sentiment de frustration. Elle ouvre difficilement les yeux, encore plongée dans un demi-sommeil. Elle se redresse malgré tout avec brusquerie en réalisant que Carole, debout prés du lit, se rhabille, lui tournant le dos. Anne s'affole.

-     Tu t'en vas déjà ? Quelle heure est-il ?

-     Midi passé. Je dois rentrer.

Anne reste assise, les jambes sous le drap. Elle remet de l'ordre dans ses idées. Elle a dragué Carole cette nuit, à l'anniversaire de Matthias, alors que la Fête arrivait à sa fin. Elle l'a séduite assez facilement. Carole noyait son chagrin dans l'alcool, en quête d'une épaule amie, et décidée à passer du bon temps pour oublier sa fureur et sa petite amie avec qui elle venait de rompre. Anne a été là au bon moment, et elle aussi avait une déception amoureuse à oublier. Elles se sont consolées mutuellement. Déchaînées, fougueuses, elles ont fait l'amour comme on se bat, avec rage. Après chaque étreinte, leur colère intérieure et leur envie de se défouler rallumaient sans arrêt leur désir. Carole, plus âgée, d'apparence plus masculine et sportive, s'est comportée comme une tigresse affamée, en proie aux exigences d'une libido presque désespérée. Dominatrice, elle a mené au départ le jeu dans des ardeurs impérieuses, autoritaires. Mordant, griffant, léchant, sa sauvagerie égalait sa perversité. Elle semblait ne pas vouloir délaisser le moindre centimètre carré de ce jeune corps délicatement féminin, gonflé de tendres secrets, doux et grisant, dont les trésors la comblaient. Anne, emportée par cette frénésie érotique, a répondu docilement aux sollicitations qui l'embrasaient. Et, peu à peu, les rôles se sont inversés. Anne, au premier abord timide et fragile, a toujours trompé son monde. En amour elle est incomparable, tendre, câline, d'une imagination raffinée. Elle a attendu le moment propice pour affirmer son expérience, et l'a soumise à ses jeux érotiques, la guidant et l'initiant dans des voluptés infinies.

Carole s'est alors abandonnée, étourdie, anéantie, à bout de forces… Puis, aussitôt son excitation envolée, des regrets amers l'ont envahie, une lassitude doucereuse, qui est presque du dégoût… Cette jolie brune, aux allures masculines et aux courbes si féminines, lui a trop donné, et s'est acharnée avec trop d'attention, comme si elle voulait se l'attacher pour toujours. Cette avalanche de tendresse est vite devenue étouffante. Carole n'est pas mûre pour une relation sérieuse. Distante, elle se dépêche de se vêtir. Anne à compris. Les mots sont inutiles. Elle hésite à la retenir, puis s'étend sans un mot sur le coté, lui tournant le dos. Le drap qui la recouvre s'agite au rythme de ses sanglots, ses épaules nues tressautent convulsivement. Elle ne se retourne même pas lorsque, sans un mot, Carole quitte la chambre. Anne n'en est pas à sa première déception, mais elle n'arrive toujours pas à s'endurcir. Pourtant elle devrait. Sa naissance a déjà été source de malheurs. Elle est à l'origine une catastrophe, et ne sait que causer déceptions sur déceptions. Pour son père, qui ne lui a jamais pardonné d'avoir provoqué la mort de la femme qu'il aimait le plus au monde. Coralie est morte en mettant au monde leur fille, Anne. Il a aussitôt rejeté cette enfant, dans l'incapacité de l'aimer, et de lui pardonner. Il l'a confié très rapidement à un pensionnat, se limitant à de brèves visites, une ou deux fois par an. Ce rejet, ce silence lourd de reproches, a enfoncé Anne dans un effroyable sentiment de culpabilité. Sa mère était morte par sa faute. Son père était malheureux et brisé par sa faute. Et sa découverte très tôt de son homosexualité ne fit qu'aggraver son mal de vivre, son désarroi. Éduquée dans une institution religieuse, elle-même croyante et pratiquante, elle ne pouvait pas concevoir de se sentir attirée par des pulsions contre-nature, et essaya d'évacuer tous ces fantasmes dans les prières et la solitude. Elle était tentée par le diable, les démons de la chair, les pires péchés, elle était condamnée à vivre d'affreux tourments si elle ne parvenait pas à refouler toutes ces maudites pensées ! Et durant des années elle se révolta de toutes ses forces contre ces passions sataniques qui bouillonnaient dans ses veines et la possédaient d'horribles émois. La mort de sa mère n'était-elle pas une punition, parce qu'elle était née lesbienne ? Anne, en grandissant, devint homophobe, et en rejetant sa propre nature n'osait même plus se regarder dans la glace. Elle se détestait. Et c'est sa rencontre avec l'un de ses professeurs, au lycée, qui changea sa vie. Elle s'appelait Mireille, de vingt ans son aînée, et devint sa mère spirituelle, sa confidente, sa meilleure amie, tout cela à la fois. Puis enfin sa maîtresse, son amour. Cette passion lui permit de franchir le pas et de mieux s'accepter telle qu'elle était. Leur rupture la replongea dans des abîmes de profonde détresse, où le cœur brisé elle se perdit dans des aventures sans lendemain, sans amour, sans espoir, comme des pansements pour l'aider à cicatriser et oublier. Et réalisant aussi que le célibat n'était pas fait pour elle, synonyme d'angoisse existentielle où elle se sentait brutalement moche, inutile, et si vulnérable… Sa vie fut jalonnée d'instants trépidants, heureux, et brusquement des pires angoisses, au gré de ses amours ou de ses vides affectifs… Et, en ce moment elle se sent plus seule que jamais. Le cœur brisé en mille morceaux par son dernier amour, une femme mariée, sa plus belle rencontre, celle qui lui a fait redécouvrir la passion et l'extase. Bien plus que Mireille. Bien plus que Christelle, le deuxième amour de sa vie... Non, là, cela avait été plus fort, plus intense, plus magique. Sa première hétéro, elle qui avait toujours fuie les hétéros. Trop indécises, trop compliquées... Mais là les circonstances avaient été tellement insolites, absurdes, un simple jeu qui s'était accéléré et avait pris une direction déroutante et imprévisible. Où cette femme mariée avait fini par succomber à ses avances, avec toutefois certaines réserves. D'abord déroutée, un mélange de fascination, d'excitation et de peur aussi… Il lui a fallu plusieurs heures pour briser cette crainte, la mettre en confiance, et enfin arriver à ses fins, et ce qui s'était ensuivi avait été une sarabande de passion effrénée, de sexe intense, où la femme mariée s'était révélée la plus incroyable et surprenante amante. Pour finalement se détourner d'elle pour des raisons stupides de morale et de bienséance. Endoctrinée par une société bien -pensante qui l’empêche d'ouvrir les yeux et accepter sa vraie nature. Alors oui, elle se sent terriblement seule, pourchassée par la malchance, celle qui lui refuse le bonheur et une relation stable.

- Oh, Jade, je t'aime tellement ! Reviens-moi, reviens-moi s'il te plait !

Des suppliques qui, comme d'habitude, vont se perdre dans le néant. Une vie de déceptions et d'injustice...

Le même jour, au soir, trente kilomètres plus à l'ouest, le soleil couchant embrase les eaux du canal du Midi, noyant de ses rayons mordorés une péniche qui suit pesamment le cours à quelques kilomètres de Béziers. Deux autres péniches, à cent mètres d'intervalle, se croisent, tout doucement, semblables à des jouets sur un miroir immobile.

Assis à l'ombre des platanes, Yannis se laisse gagner par la sérénité des lieux. Oubliant presque son chagrin et sa souffrance. Il sent la main de Jade sur son épaule, qui la serre doucement. Ce simple contact est comme un choc électrique. A sa grande honte, une larme s'échappe et coure, brûlante, sur sa joue. Il cligne des yeux rapidement, incapable de parler, soulagé qu'elle se tient derrière lui et qu'elle ne peut la voir. Son autre main se pose sur son autre épaule, et Yannis sent la chaleur de son souffle sur sa nuque. Une charge érotique le parcourt comme un éclair, il tremble, sentant un fourmillement envahir tout son corps.

- Je suis désolée, murmure t-elle tout doucement.

Il déglutit, sent soudain une boule dans sa gorge.

Et pose enfin la question qui lui brûle les lèvres.

- Tu vas me quitter pour vivre avec elle ?

- Oui, je pense... Elle ne le sait pas encore mais je sais qu'elle n'attend que cela. Et maintenant j'en ai envie, très envie...

La voix se brise sous l'effet de l'émotion. Elle resserre son étreinte pour tenter de le réconforter. Avec tendresse et affection. Mais plus d'amour. Un amour qu'il a perdu à jamais depuis qu'elle est tombée follement amoureuse d'une autre femme. Toutefois, il lui reste un faible espoir qu'il exprime faiblement.

- Mais ne penses-tu pas que c'est juste un égarement passager ? Si c'est le cas je t'attendrai le temps qu'il faudra... Ne précipite rien. Prends le temps de réfléchir...

- Non, Yannis, je l'aime. J'ai besoin d'elle et elle a besoin de moi. J'ai lutté un moment contre cette attirance mais c'est un combat perdu d'avance et je dois me rendre à l'évidence. Je l'ai dans la peau. J'ai cette femme dans la peau et je l'assume. C'est en moi. Ma vraie nature. Je l'ignorais mais je suis faite pour ces amours-là... Avec elle.

Elle se glisse à côté de lui tandis qu'il acquiesce péniblement, sans la regarder.

- C'est de ma faute. C'est moi qui t'ai poussé dans ses bras.

A ce souvenir, il sent ses yeux le brûler, il cligne des yeux, surpris de se découvrir aussi malheureux et vulnérable. Lui d'habitude si fort, exubérant, bon vivant, grande gueule, prenant la vie avec dérision où tout est sujet à moquerie ou cynisme, sa façon à lui de se détacher et se protéger. Mais, là, toutes ses murailles viennent de se fissurer et tout son monde vient de s'écrouler. Elle place son bras autour de ses épaules en se rapprochant davantage. Ses cheveux lui balaient le visage, il en respire le parfum, shampoing frais mêlé à son odeur propre, chaude et enivrante. Une odeur dont il ne pourra jamais plus se griser.

- Promets-moi une chose, dit-il.

- Quoi donc ?

- Sois prudente. J'ai l'impression que tout va trop vite, tu t'emballes, tu t'enflammes, alors que tu la connais à peine. C'est peut-être juste un plan cul - différent et donc excitant - et elle t'a fait tourner la tête avec des trucs de filles qui t'ont chamboulés et...

Elle tourne brusquement la tête et le regarde dans les yeux sans ciller.

- Arrête, tu te fais du mal pour rien. Cela n'a rien à voir avec le sexe. On en a déjà parlé. C'est une question de peau, d'osmose, d'alchimie, je te l'ai déjà dit. Personne ne peut lutter contre cela. Même pas toi...

Ses yeux embués de larme brillent d'une flamme résolue. Vaincu, il baisse la tête, ses épaules semblent s'affaisser. Il prends sur lui pour ne pas insister davantage, par peur de la froisser, que le ton monte. Ils sont passés par tous les excès, des larmes à la colère, et tant d'émotions l'ont vidé et éreinté. Las, il ne dit plus rien, perdu dans ses pensées. Soulagée qu'il en reste là, elle relève la tête, écarte les mèches dorées devant son visage.

Que de douleur et de souffrance ! Elle reconnait à peine son mari, d'habitude si hilare, fanfaron et survolté. Là, plus de joie ni d'énergie... Un homme anéanti. Éteint...

Elle tente de repousser les sombres pensées qui l'assaillent, cette vie parfaite qu'elle est en train de détruire par amour pour une autre femme. Réduisant à néant tout un passé et toute une histoire en commun.

Ensemble, au cœur d'Agde, prés de Béziers, ils ont trouvé la vie dont ils rêvaient : une grande et vieille maison de village à retaper dans un petit village , un bar à acheter qui a toujours été le rêve de Yannis, et une mutation pour elle à quelques kilomètres de là. Une vie simple et rurale, sans les tracas de la ville, la pollution, ou les longs trajets en voiture depuis la banlieue. Tous les deux se sont connus à Paris. Son BTS d'assistante de direction en poche, elle s'est vue obliger de quitter son Aude natale pour la capitale, à la recherche d'un emploi. Puis elle est entrée à la Poste par hasard, d'abord un boulot d'été comme guichetière au bureau, puis ensuite comme factrice. Elle y a trouvé un métier qui lui plait, ainsi que son conjoint, Yannis, facteur titulaire d'une tournée mixte en voiture, confirmant la Poste d'être "la plus grande agence matrimoniale de la fonction publique". Assez vite, il ne lui ai plus venu l'idée d'échanger sa place contre un travail sédentaire de bureau, rivée derrière un ordinateur, avec un patron en permanence sur le dos pour exiger des résultats impossibles à atteindre. Alors elle a passé le concours, l'a réussi du premier coup, et a vite demandé sa mutation. Avec la certitude que son conjoint la suivrait jusqu'au bout du monde...enfin jusqu'au bout de son terroir d'origine. Quitte à sillonner des rues bruyantes et agitées en plein centre de Paris, elle préférait autant distribuer le courrier dans des petites routes de campagne dans la région qui l'avait vue grandir. En attendant que son rêve bucolique se réalise, elle s'est mariée, attendue, pris son mal en patience, faisant de son mieux pour préserver ce que l'anonymat de la capitale s'ingénie à faire disparaitre : le dialogue, la solidarité, le lien social, le sens du service. Des vertus qu'elle peut maintenant appliquer avec gaieté et une joie communicative. Jade, ici, se sent heureuse et épanouie. Comme une abeille, vive et blonde, voletant de boite aux lettres en boite aux lettres, projetant un rayon de soleil sur le village qu'elle dessert avec bonne humeur. Fille du vent, la Tramontane, elle joue avec, l'apprivoise, en fait son alliée, s'agrippe à la sacoche, se mets en danseuse, filant en prenant les rafales, dévalant les pentes, virant souplement, dans de vieilles ruelles, et ensuite aux franges campagnardes du village, parcourant près de vingt kilomètres sur son vélo à assistance électrique. Elle adore cette vie de liberté, ouverte aux autres, ouverte aux saisons. Alors elle rit. Elle rit sans cesse, jamais avare d'une plaisanterie ou d'une gentillesse, aimant partager sa joie de vivre à ses clients. La gaité personnifiée. Conservant son innocence et son âme d'enfant qui la rendent si sympathique et populaire. Puis, quand elle ne travaille pas, passe son temps libre à construire et rénover, restaurant leur maison, sans s’inquiéter du temps qui passe. Jade a appris à avancer sans s'effrayer ou se presser. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Et tous leurs projets se sont concrétisés tout doucement. Comme pour Yannis qui a démissionné de la Poste et a acheté le bar de ses rêves. Avec son accent  inimitable, mélange de sonorités marseillaises et gouailleuses, il manie un verbe haut et coloré, s'intégrant facilement et régalant ses clients de blagues tonitruantes et salaces.

Oui, ils ont obtenus tout ce qu'ils désiraient, lentement mais sûrement, un long fleuve tranquille... Le couple modèle... Jusqu'à cet été de canicule, six mois plus tôt.

Six mois plus tôt...

Un éclair zébra le ciel, suivi d'un coup de tonnerre si puissant que les baies vitrées de séjour en tremblèrent. L'orage éclata soudain et des trombes de pluies s'abattirent dans le village et ses environs.  Il était tôt dans la soirée et Yannis se sentait agité et nerveux. Rien à voir avec le temps pourri. Il se retourna vers la grande fenêtre au-dessus du bureau pour jeter un coup d’œil à l'extérieur. La pluie tombait si fort qu'on aurait pu croire que le ciel déversait d'un coup des cargaisons d'eau, réduisant à  néant la visibilité. Un vrai déluge. Yannis était soulagé de ne pas à sortir ce soir, c'était son jour de repos et la fermeture de son bar, comme tout les lundis. Mais cela ne soulageait en rien sa tension. Sans savoir pourquoi, il avait cette sensation anxieuse et il n'arrivait pas à en trouver la cause. Comme si un événement primordial allait se produire ce soir, un grand changement dans sa vie.  C'est alors que sa femme sortit de la douche et entra dans la chambre, une serviette drapée autour de sa taille, splendide et le corps encore ruisselant de gouttelettes. Souple et longiligne, avec de longues jambes racées, une démarche à la fois sensuelle et d'une grâce juvénile, elle avait ce genre de sex-appeal redoutable et insolent, celui d'une femme très attirante qui n'a pas conscience de son pouvoir de séduction. En la voyant si belle et désirable, il découvrit la cause de son anxiété, qui n'était autre qu'une frustration sexuelle. Ils n'avaient pas fais l'amour depuis 4 ou 5 jours et il commençait à ressentir le manque... surtout lorsque Jade lâcha la serviette et resta nue devant lui, alors qu'elle commençait à chercher quelque chose à se mettre. La vision de ses fesses tendres et rondes, ses seins hauts perchés admirablement, fermes et provocants, lui donna des picotements dans les mains. L'envie de toucher et de caresser. Elle avait un corps qui appelait les caresses, si insolent, si attirant. Des caresses dont il était privé de plus en plus souvent ces derniers temps. Et il savait que pour la bagatelle il fallait la prendre avec des pincettes et ne pas l'attaquer de front.
Avant qu'elle ne trouve un pyjama à mettre, sa tenue préférée pour traîner le soir, il lui suggéra alors de mettre plutôt sur elle quelque chose de sexy.

Elle le regarda avec étonnement et lui demanda :

- Pourquoi ? Qui est-ce qui en profiterait à l'exception de toi ? 

Alors il la défia du regard et lui dit :

- Personne. Et c'est bien ce qui est dommage... Un corps comme le tien... Peut-être que, pour relancer ta libido et reprendre confiance en toi et tes désirs, tu devrais permettre à quelqu'un d'autre d'avoir un aperçu de ton joli corps !!!

Il avait balancé cela sans réfléchir, à la va-vite.

- Dis moi exactement ce que tu entends par là ?  lui demanda t'elle.

Son cœur commença à battre à un rythme élevé. Il ne savait pas ce qui lui avait traversé l'esprit alors qu'il lui expliquait plus précisément  sa pensée.

- Mon cœur, je sais que tu n'aimes pas ton corps et tout son potentiel érotique, et de là vient ton manque d'intérêt pour les choses du sexe.  Peut-être que si tu allumais le désir chez une autre personne tu prendrais conscience de tes charmes !

Elle haussa les épaules avec agacement, mais en rougissant légèrement, avec une petite lueur curieuse au fond des yeux. Puis, comme à chaque fois qu'un sujet l'embarrassait, elle changea vite de conversation.

- Hmm... Cela sent drôlement bon ....

Elle avait émergé de la salle de bain avec l'odeur d'une bonne soupe aux légumes. Elle s'étira longuement, ravie que son mari lui prépare le repas. Et impatiente de partager avec lui cet instant précieux où ils prendraient le temps de manger et discuter à table, avec toujours cette même complicité. Elle aimait retrouver ces gestes simples, partagés, prendre le temps des choses vraies. Mais il revint à l'attaque sur le sujet qui le préoccupait.

- Ma chérie, avant tu aimais séduire et plaire, de façon discrète certes, mais c'était un jeu entre nous quand tu t'amusais à provoquer les hommes en discothèque pour me faire râler, ou par défi. Te sentir belle et désirable... Ça t'excitait, et c'est moi après qui en profitait...

Il n'arrivait pas à croire ce qu'il disait réellement à sa femme. Et encore moins en lui suggérant par la suite d'une manière ou d'une autre d'exposer son corps à un autre homme.

- Je pense que se serait intéressant si tu excitais quelqu'un d'autre. Pour s'amuser. Comme avant...

- C'était avant, justement, mon chéri. J'avais vingt deux ans. Fofolle et inconsciente, et prête à tout pour te plaire.

- Alors retrouvons cette folie de notre jeunesse. Tu étais coquine et espiègle, tellement curieuse. Refais-le au moins une fois, et cela va raviver la flamme et notre vie sexuelle, j'en suis certain !

Les yeux de sa femme s'ouvrirent démesurément, brillant d'une lueur étrange,  et il remarqua que sa peau se hérissait en chair de poule, comme animée d'une vie propre à l'idée du fruit défendu.
- Et si je faisais cela avec une femme plutôt, ce serait plus drôle non ?

Il en resta bouche bée, mâchoire pendante.

- Une femme ?

- Oui. Avec un homme ce serait trop facile, et vous êtes tellement prévisible, si faible. Séduire et exciter une femme est un défi bien plus difficile et intéressant, moins ordinaire...

- Tu préférerais allumer une femme ?

Il n'en croyait toujours pas ses oreilles, se demandant si elle ne se moquait pas de lui pour le prendre à son propre jeu. Elle se fit taquine et sensuelle en poursuivant d'une voix chaude et caressante.

- Oui, je me suis souvent demandée ce que deux femmes pouvaient faire ensemble, et si les lesbiennes étaient aussi douées et expertes qu'on le dit. Il parait que leur savoir est incomparable...

Maintenant,  le cœur de Yannis battait réellement la chamade, alors qu'il réalisait que la conversation avait tourné en une sorte de jeu beaucoup plus poussé qu'il ne le souhaitait, et les conséquences de ce jeu pouvaient être plus importantes que ce qu'il n'avait pensé au départ.

- Tu veux dire que cela te plairait d' aller plus loin que de simplement séduire ou provoquer ?

Il avait du mal à y croire. Il savait mieux que quiconque que sa femme était fondamentalement réservée et prude et probablement ne ferait pas plus que dégrafer un bouton de son chemisier et montrer un soutien-gorge en dentelle. Que ce soit devant un homme ou une femme. Pas de doute, elle jouait avec ses nerfs.

Elle le regardait avec amusement  et poursuivit :

- Oh ! Mon cœur, je ne sais pas... Peut-être que coucher avec une femme est un fantasme enfoui en moi depuis longtemps et que j'ose enfin t'en parler. Mais quoiqu' il arrive, rappelle toi que c'est ton idée et ne me blâme pas si je me prends au jeu de tenter l'aventure avec une femme. Au risque de m'y brûler...

Elle avait un regard étrange lorsqu'elle lui dit cela et cela lui fit penser qu'elle pouvait être vraiment sérieuse, prenant le ton de la plaisanterie pour aborder un sujet qui lui tenait vraiment à cœur. Comment cela était-il possible ? Lui qui pensait si bien la connaitre. Cela dépassait l'entendement et la situation le dépassait, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Lui qui aimait être surpris il était servi...

- Et tu mettrais quoi si tu voulais séduire une femme ?

Il s’allongea sur le lit et regarda sa femme se préparer pour l'occasion. Elle sortit du tiroir de la commode un string ficelle bleu turquoise très sexy. Elle le passa sur elle et il était très aisé de voir le doux triangle de sa toison pubienne à travers le tissus. Elle prit ensuite un soutien-gorge assorti au string qui couvrait à peine ses mamelons. Des mamelons tendus et grossis par l'excitation.

Yannis avait du mal à respirer. Il n'arrivait pas à croire dans quel état cela il se retrouvait à l'idée de la voir s'exhiber devant une autre femme.

Décidément, l'orage avait de drôles d'effets sur l'humeur de sa femme...

Elle se retourna et lui demanda :

- Qu'en pense tu ? Est-ce que j'arriverais à la troubler ainsi ?

Il pouvait à peine parler.

- Peut-être... croassa t-il.

Elle continua à fureter dans le tiroir jusqu'à ce qu'elle sorte une paire de bas blanc qu'elle s'appliqua à passer sur ces longues jambes fuselées. Quand elle fut prête, elle alla à la penderie et sortit une robe bleue émeraude en dentelle se fermant par une fine ceinture de tissus. Elle la passa et noua la fine ceinture autour de sa taille. Une taille fine et souple qui avait toujours été en parfaite harmonie avec ses petits seins d'adolescente. Elle était extrêmement sexy ainsi vêtue. Le haut de ses bas était en partie visible, parce que la robe était courte, s'arrêtant au sommet de ses cuisses.

Un instant, il pensa réellement qu'il n'y avait aucune chance qu'une femme la voit ainsi vêtue. Elle le charriait. C'était du bluff. Mais il devait la pousser jusqu'à ses derniers retranchements pour voir jusqu'où elle irait. La défier et piquer sa fierté.
- Et alors ? Tu es vraiment très sexy, mais sur quelle femme tu vas jeter ton dévolu, si tu oses vraiment aller jusqu'au bout ? Ce qui m'étonnerait beaucoup...

Elle lui jeta un petit coup d’œil en coin avec un sourire effronté.

- Ah bon, tu crois ça ? Présente-moi une femme qui aime les femmes et j'userai de mon charme sur elle.
Il n'en revenait pas. Un instant, il eut peur que son cœur explose tellement il battait vite sous l'effet de l'excitation.

Puis elle haussa les épaules avec un sourire taquin.

- Dommage, je n'en connais aucune... Une autre fois sans doute...

Bien sûr, elle avait joué avec lui, elle commençait à se défiler, mais il comptait bien forcer la chance en l'obligeant à tenir parole. Elle n'allait pas s'en tirer à si bon compte.

- Moi j'en connais une ! dit-il en criant presque, avec un peu trop de précipitation.

Elle se tourna vers lui, sourire figé.

- Ah ?

- Anne Klein. Une copine de terminale que j'ai revu par hasard il y 'a deux ans, à Nice. Je suis un peu son parcours par Facebook, elle est photographe professionnelle de mode, on s’envoie quelques messages, elle s'est installée du côté de Montpellier.

Elle fit semblant de s'y intéresser, mais sans grande conviction, comme regrettant de se retrouver au pied du mur. Amusé, il poursuivit avec un sadisme contenu.

- Au lycée, c'était une écorchée vive, impétueuse, irrévérencieuse et indépendante, fonctionnant à l'instinct sur des coups de cœur et ses passions. Une fille bizarre assez difficile à cerner, qui cumulait les aventures sans lendemain. Tout le monde la prenait pour une croqueuse de femmes, séductrice et indifférente, mais c'était faux. Quand j'ai appris à la connaitre, j'ai vu que sous son apparence détachée et sûre d’elle elle cachait en fait de nombreuses faiblesses. Beaucoup de failles. Encore une à qui la vie n'avait pas fait de cadeaux. Mais, à part ça, c'est une jolie femme. Brune, cheveux courts, yeux noisettes toujours pétillants de malice, très bien roulée, un sex-appeal redoutable, et surtout beaucoup de charme, un charisme fou. Je suis certain qu'elle te plairait...beaucoup.

Il appuya sur le dernier mot avec insistance, appuyant le sous-entendu d'un clin d’œil grivois. Elle se contenta de hausser les épaules d'un air indifférent, le visage impassible.

- Faut voir...


Cette nuit, émoustillés par leur petit scénario érotique, ils firent l'amour plus intensément.. Yannis fut très tendre, comme toujours. Pendant qu’il la cajolait, il lui demanda de lui parler, de lui raconter des choses excitantes. Encouragé par leur discussion du soir, où lui apparaissait d'autres facettes de sa femme, il osa lui avouer qu'il avait envie d’entendre ses fantasmes. Ce n’était pas gagné, elle était  plutôt du genre romantico-pudique, ascendant fleur bleue, sa chérie ! Elle fît d’abord comme s’il elle ne comprenait pas.  Comme il insistait, elle finit par lui confier entre deux baisers qu'elle s'était imaginée de temps en temps s'abandonner dans les bras d'une autre femme, être la proie docile et consentante d'une volcanique lesbienne, et puis...rien d'autre. Elle se ferma comme une huitre, affirmant que les fantasmes ne devaient jamais se réaliser, et que chacun avait son jardin secret. Cette femme était d’un conventionnel affligeant ! Alors, sans insister davantage, il lui demanda de fermer les yeux, de se laisser faire, et de laisser travailler son imagination, imaginer que c'était une femme qui la caressait pendant qu'il s'occupait d'elle. A contre- cœur, sans conviction, elle se prêta à son jeu, alors que sa langue était déjà bien occupée entre ses jambes. Et, à sa grande surprise, l'orgasme l'emporta très vite et très intensément, sans avoir le courage de retenir un cri libérateur.
D'habitude, quand il l'a faisait jouir, il lui demandait toujours si elle avait aimé. Et elle lui répondait toujours oui, même si parfois… Si parfois il lui manquait quelque chose, le grand frisson, la perte totale de contrôle, le déclic qui faisait la différence. Mais rien de grave ni d'alarmant, et puis il y' avait des choses plus importantes dans la vie, d'autres priorités, alors ce "oui" le rassurait. Et la rassurait tout autant. Elle ne voulait pas le contrarier ou le décevoir pour un sujet aussi puéril. Mais, là, chamboulée et en émoi, ce qu'elle ressentait dans son corps ne semblait ni anodin ou puéril. Important au contraire. Déstabilisant. Se disant qu’avec un orgasme comme celui-là, elle devait être autant clitoridienne que vaginale, alors qu'elle s'était toujours crue vaginale, comme si elle redécouvrait son corps.  C’était une sensation étrange, divine, bouleversante, un moment hors du temps. Troublant. Très excitant aussi, qui l'effrayait.

Serrés l'un contre l'autre dans le lit, ils apprécièrent chaque seconde après l'amour. En silence, comme pour ne pas briser le charme. Se languissant de gestes tendres, se perdant dans leur regard, se souriant, longuement.

Finalement, les premiers mots sortirent de la bouche de Jade. Son haleine était tiède, son corps nu encore frémissant, brûlant.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

- Quoi donc ?

- Ce jeu stupide, séduire une femme...

- Pourquoi ? Tu as peur ?

Pensivement, il caressait ses côtes saillantes, son ventre plat, ses seins insolents qui pointaient sous la couette. Puis sa main remonta avec amour vers la gorge, le menton, les joues.

Comme elle ne répondait pas, il reprit :

- Tu sais, j'ai bien senti la différence quand tu as joui. Et tu étais beaucoup plus réceptive. Comme si quelque chose en toi se réveillait. Ta carapace s'est fissurée, ta volupté s'est révélée, tes sens se sont enfiévrés, et je pense que c'est constructif. Un grand pas en avant.

- C'est si important que ça pour toi que je me lâche sexuellement ?

Elle soupira, puis posa son oreille sur la poitrine de son mari, au niveau de son cœur battant la chamade.

- Oui, ma chérie. On s'est éloigné tous les deux, sexuellement parlant. Je ne pense pas que ce soit de ta faute, ni la mienne. C'est la vie. La routine, le temps... Et je crois que ce petit jeu innocent et sans conséquence peut relancer notre sexualité et nous permettre de nous retrouver.

Elle a un petit rire cynique.

- Innocent ? Sans conséquence ? En es-tu certain ? Tu sais, mon chéri, quand j'ai joui tout à l'heure, en imaginant pour la première fois que c'était une autre personne qui me faisait l'amour, une femme, j'ai senti comme quelque chose de fort et de puissant me posséder, et cela m'a fait tellement peur que je me suis retenue, alors tu imagines si je ne l'avais pas fait ?...

Honteuse de s’être trop livrée, elle se referma. Pensant à ce qu'elle venait de dire. Persuadée que tout cela lui avait fait comprendre qu'elle avait au fond d'elle-même des restes d'une sorte d'instinct ancestral, primitif, animal, avec une nature secrète qui s'apprêtait à s'éveiller. 

A côté d'elle, Yannis serrait les mâchoires, maîtrisant l'émotion qui le submergeait. Il chercha à parler, mais ses lèvres restaient définitivement figées. Jade ressentit son malaise et lui demanda :

- Désolée... Je comprends que cela puisse te déranger... Je te fais peur ?

Un long silence. Yannis secoua finalement la tête.

- Tout cela va très vite. Sans le savoir, nous avons ouvert la boite de Pandore, et je pense qu'il est trop tard pour reculer. Allons jusqu'au bout et nous verrons bien. Il ne s'agit pas de coucher avec une autre femme. Juste de l'allumer et éveiller en toi ce petit grain de folie que tu as perdu. C'est tout.

Elle l'étreignit en riant comme une petite fille espiègle. Chassant toutes ses inquiétudes pour prendre toute cette histoire avec légèreté.

- Tu as raison. Et, quoi qu'il arrive, si cela m'excite prodigieusement, c'est toi seul qui en profitera de toute façon !

Ils basculèrent tous les deux sur le côté en se chamaillant un long moment. Ignorant les bruits de la tempête qui secouaient encore la maison.

 

Jade était vraisemblablement intriguée par Anne. Yannis s'en était vite rendue compte, d'autant plus qu'elle n'avait pas fait beaucoup d'effort pour dissimuler sa curiosité. Ils étaient là, assis sagement à regarder le spectacle, lorsqu'il remarqua que Jade tournait souvent la tête vers la droite. Il suivit son regard. Et alors aperçut Anne. Difficile de ne pas la remarquer, elle attirait l'attention, par sa façon impertinente et légère d'interpréter la mode, une désinvolture teintée d'insolence qui avait souvent le don d'agacer. Mais, malgré tout les moyens mis en œuvre pour éviter le bon goût et les tendances vestimentaires, la beauté d'Anne conservait son pouvoir magnétique, son charme ambigu, et rien ne semblait pouvoir l'enlaidir. Une rebelle au visage d'ange, à la fois femme-enfant  et garçon manqué. Vêtue d'un pantalon de treillis en Nylon ciré et d'un simple débardeur qui dessinait divinement ses petits seins bombés, elle était ultra-sexy. Anne regardait également dans leur direction, et paraissait fascinée par la présence de Jade. Yannis lui adressa un petit signe. Ils devaient se retrouver devant l'entrée, mais comme d'habitude le couple était arrivé en retard, la ponctualité n'étant pas leur fort. Il avait été facile pour lui de la convaincre de sortir avec eux, Anne étant une femme de la nuit, fêtarde, ne ratant jamais une occasion pour s'amuser. C'est donc elle qui leur avait proposé d'assister à un spectacle de cabaret d'un de ses amis, Julien à la salle des fêtes. Julien, méconnaissable en vamp distinguée, à la Marylin Monroe, effectuait son numéro de transformiste avec une perfection qui forçait le respect. Étourdissant, drôle et virtuose, il tenait un rôle de composition. Le spectacle était échevelé, moderne, fun, dans un décor grandiose. L'histoire était simple, une histoire d'amour destructrice et passionnelle, un mélodrame flamboyant, entre deux hommes que tout opposait. Julien jouait un chanteur déchu, ruiné, qui s'était enfermé dans la solitude et l'anonymat, marqué par la détresse, tout simplement parce qu'il devait assumer son choix d'être homo. Le scandale ne l'avait pas épargné, l'avait brisé, mais il préférait sa vie à celle de l'hypocrisie. Sa rencontre avec un jeune fugueur complètement paumé, en manque de repères mais à la voix sublime, allait bouleverser son existence. Il sortait de sa léthargie, l'amour allait ressusciter sa passion de chanter, sa force créatrice. Pour séduire le jeune homme, il allait composer des musiques rythmées et tourbillonnantes, avec des numéros dansés d'une incroyable beauté, et cette soudaine renaissance allait lui permettre d'arriver à ses fins. Le final s’achevait en apothéose, une comédie musicale grandiose,  qui renforçait majestueusement la puissance émotionnelle des principaux personnages qui trouvèrent ensemble dans l'amour un équilibre et une paix intérieure. Happy end. Yannis cria et battit des mains à tout rompre tandis que les applaudissements ne cessaient de s'amplifier.

Plus discrètement, Jade applaudissait doucement en se levant à son tour. Ils se laissèrent entraîner par la vague humaine qui les poussait vers l'extérieur.

-  Bonsoir, Yannis.

Anne était plantée au milieu de la foule, les fixant dans une attitude décontractée, un peu garçonne dans sa façon de tenir ses hanches et ses épaules. Mais ses seins qui pointaient sous le débardeur n'avaient rien de masculin.

Échange de bisous. Yannis les présenta.

Jade semblait mal à l'aise, et c'est nerveusement qu'elle s'empressa de dire :

- Enchantée. J'ai beaucoup aimé le spectacle.

Yannis intervint.

- Tu as beaucoup changé Anne, j'ai failli ne pas te reconnaitre.

- Changé ? En bien j'espère ? D'habitude, on me compare souvent au vilain petit canard qui attend d'être transformée en cygne, ce qui me laisse penser que seuls les contes pour enfants finissent toujours bien.

Jade esquissa un sourire timide.

- Cette fois-ci, je peux vous assurer que la morale de l'histoire est sauve.

- Génial ! Enfin une fin heureuse !

Yannis connaissait suffisamment Anne pour savoir que son assurance était forcée. Elle était aussi intimidée que troublée. Surtout troublée. Son regard brillant, ses lèvres qui frémissaient, sa soudaine fébrilité qui la rendait volubile et agitée, ce sont là des signes qui ne trompaient pas. Amusé, il les regarda tour à tour.

Anne dit brusquement :

- Bon, on va boire un coup au restaurant Le Paradisco. Julien doit nous y retrouver.

- Cela se trouve ou ? demanda Jade.

Anne, qui ne la quittait plus des yeux,  intervint vivement.

 - A Valras-Plage, en bord de mer. C'est pas loin... Le plus simple est que vous me suiviez, je roulerai doucement, et on se téléphone de toute façon si on se perds de vue.

- Bien sûr, aucun souci. De toute façon, je connais.

C'était Yannis qui venait de parler. Il faillit avoir la mâchoire pendante lorsque sa femme proposa naturellement.

- Si tu connais, mon chéri, tu ne vois pas d'inconvénient pour que je monte avec Anne. Cela nous permettra de faire plus ample connaissance.

Discrètement, sa femme lui adressa un petit sourire reconnaissant. Son audace le stupéfiait, jamais il ne l'avait vue si directe et résolue. Décidément, il allait de surprise en surprise ! Elle prenait son rôle un peu trop sérieusement, un jeu dangereux où elle se lançait un peu trop vite. Il y pensait encore alors qu'il roulait vers le centre ville, et se laissa suffisamment distraire pour se retrouver bloquer entre deux camions. La malchance le poursuivit, ce ne fut ensuite qu'une succession de feux rouges. Il lui fallut après quinze bonnes minutes pour trouver une place à proximité de l'hôtel. Il du s'y reprendre à deux fois en effectuant le plus mauvais créneau de sa vie. Difficile de se concentrer alors que plein de pensées se télescopaient dans sa tête. Sujet de préoccupation : Anne. Sans aucun doute, Jade lui avait tapé dans l'œil, mais il avait maintenant des remords à l'envoyer au casse-pipe, une histoire sans suite qui lui ferait certainement du mal. Et pour cause... Jamais rien ne se passerait entre elles. Sa femme, bien qu'il l'avait sentie déroutée, conformait toujours son existence à certains idéaux, et il restait persuadé qu'elle ne remettrait jamais en cause cet univers de certitudes auquel elle s'accrochait tant. L'idée de la voir avec une femme, même si c'était un vague fantasme,  lui paraissait si absurde que cela lui fit de la peine pour Anne. Jouer avec ses sentiments était cruel. Cette déception ne ferait que la fissurer davantage. Elle avait grandi sous le poids du malheur, frappée par une succession de coups durs dans sa chienne de vie, et une autre épreuve l'attendait prochainement : la visite de son père. C'est elle qui le lui avait dit quand il avait téléphoné. Son père était le principal responsable de ses angoisses permanentes, la source du problème, Anne avait appris à se haïr à cause de lui. Yannis se doutait bien qu'elle n'osera jamais lui avouer son homosexualité, elle continuera de garder en elle ce secret qu'elle estimait sale et honteux, au lieu de crever l'abcès et se débarrasser de ce lourd fardeau. Même si cela était le moyen le plus sûr de briser des liens déjà fragiles... Son père était un homme bourru et désabusé, veuf inconsolable, à l'esprit étroit et aux idées radicalement hermétiques, que Yannis avait eu le malheur de croiser lorsqu'il était en Terminale avec Anne. Il était du genre à croire que l'homosexualité était un vice génétique, une erreur de la nature, et il ne pardonnerait jamais à sa fille une telle abomination. Perdu pour perdu, autant lui balancer la vérité en pleine figure, c'est ce que Yannis aurait fait à la place de son amie. Mais Anne ne se jettera jamais à l'eau, inutile de revenir là-dessus. Décidément, elle avait peu changé... Yannis gagna la terrasse de l'hôtel. Une guirlande d'ampoules multicolores délimitait le périmètre de la salle à manger du coin bar. Des chandelles étaient fixées dans des bougeoirs sur chaque table. Anne et Jade étaient déjà installées, et Yannis eut du mal à reconnaître cette dernière tellement elle riait, pliée en deux, partant dans un fou rire incontrôlable. Anne faisait le clown, le visage plissé par une grimace enfantine qui la rendait terriblement drôle. Jade n'en pouvait plus, s'étouffant presque. Un serveur s'approcha de Yannis. Il le précéda pour l'accompagner jusqu'à leur table, tout contre la balustrade.

- Et bien, les filles, on s'amuse comme des folles. Racontez-moi…

Toutes les deux levèrent vers lui deux minois rieurs, les yeux imprégnés de larmes.  Le serveur, avec un large sourire indulgent, passa la commande. Anne attendit qu'elle se soit éloignée pour raconter d'une voix saccadée, ayant du mal à parler tellement elle avait envie de rire :

- Je lui racontais comment une de mes amies avait été obligé de se cacher sous le lit de son amante alors que le mari cocu était revenu à l'improviste ! Elle y 'est restée toute la nuit !

Yannis grimaça un sourire contraint, sans rien dire. Bientôt, ils parlèrent vite de choses et d'autres, mais Yannis avait  le vague sentiment d'être vraiment en trop. Persuadée encore que sa femme le faisait exprès pour l'agacer et le défier. Après tout, il le méritait bien c'est lui qui l'avait poussé à se lancer dans ce petit jeu... Vexée, il se plongea dans la contemplation de la baie, avec toutes ses lumières qui scintillaient dans la nuit et se reflétaient dans l'océan. De nombreux bateaux mouillaient au large, d'autres sillonnaient la baie, petits points lumineux qui progressaient lentement dans l'immensité sombre, là où l'horizon et la mer se confondaient. Un mouvement sur sa droite lui fit tourner la tête. Le serveur acheminait Julien vers leur table. Ses compagnes l'aperçurent également et se levèrent en même temps que lui. Tous trois ne purent s'empêcher d'applaudir, rendant hommage à sa prestation de tout à l'heure. Julien les gratifia d'un sourire qui fendait son beau visage d'une oreille à l'autre. Il s'était changé, démaquillé, vêtu avec goût et raffinement. Il s'assit à côté de Yannis, ce qui se révéla un choix judicieux car Anne et Jade eurent vite fait de ne plus les calculer, penchées l'une vers l'autre en abordant mille sujets différents, comme si le reste du monde n'existait pas. Yannis se sentit malgré lui un peu jaloux. Écoutant à peine ce que lui disait son voisin...

Jade s'éveilla à huit heures. Elle n'avait pas fermé les rideaux de sa fenêtre de chambre, pour que les premiers rayons du soleil passant au-dessus des maisons voisines la tirent doucement du sommeil. Cela ne dérangeait pas son mari, profiter ainsi du peu de soleil, car comme beaucoup de maisons de village, entassées les unes sur les autres, la lumière se faisait rare.

S'étirant, elle émergea avec l'odeur du lait chaud et des croissants. Elle s'étira de nouveau longuement, avec un petit soupir d'aise. Puis mit une robe de chambre pour se rendre dans la cuisine, où l'attendait Yannis, déjà prêt. Comme d'habitude, il était habillé avec élégance, et il sentait bon. Elle l'embrassa sur les lèvres avant de s'installer devant le petit déjeuner qui l'attendait.

- Mmm... Tu me gâtes ce matin. En quel honneur ?

- A notre folle nuit. C’était très constructif.

- Ah ? se contenta t-elle de répondre.

L'air faussement détaché, elle trempa la viennoiserie dans le lait auquel elle avait ajouté un peu de cacao. Ne pouvant s'empêcher de repenser à leur soirée avec Anne, à sa disposition d'esprit quand elle se trouvait avec cette femme, enjouée, insouciante, débordante de gaieté, et elle comprenait cette humeur; elle la reconnut pour l'avoir jadis goûtée, elle aussi, au tout début avec Yannis, quand elle était littéralement sous son charme. Où l'on avait l'impression que la vie était belle, fascinante, qu'il y avait mille choses merveilleuses à découvrir, que le monde était plein de couleurs, de passion, de surprises et de nouveautés. Et si, malgré elle, Jade avait joué au début la carte de la provocation, pour titiller son macho de mari, elle devait reconnaitre que le courant avec Anne était très bien passé. Trop bien passé...

Elle remarqua que Yannis, resté debout face à elle, guettait sa réaction. Puis, à une sonnerie, il sortit son portable de la poche de son pantalon et le manipula nerveusement.

- Qu'y a-t-il ?

- C' est Anne. Un sms où elle dit qu'elle a passé un excellent moment passé en notre compagnie et qu'elle veut remettre ça. Samedi prochain. Elle nous propose d'aller en Discothèque, à Montpellier. C'est... c'est une boite homo.

Elle s’efforça de garder un visage serein en levant les yeux sur lui.

- Je ne pense pas que cela soit une bonne idée. C'est malsain. Et malhonnête. On se joue d'elle et c'est cruel.

Elle écrasait un croissant entre ses doigts sans s'en rendre compte, refoulant une bouffée de colère contre lui. Et contre elle-même. Qu'est-ce qui leur avait pris de se lancer dans une telle histoire ?

- Moi je crois qu'elle a le béguin pour toi ! se contenta t-il de répondre d'un ton sarcastique.

La bouche de Jade s'ouvrit toute grande et le sang reflua de son visage.

- Peut-être... Peut-être pas... Mais c'est dégueulasse de lui donner des illusions, on n'a pas à jouer avec les sentiments des autres.

Yannis sourit et hocha la tête d'un air entendu.

- Ok. C'est la dernière fois. La dernière nuit. Et après on arrête les frais. Je lui réponds d'accord pour samedi prochain.

Elle détourna les yeux, pour qu'il ne puisse pas lire ses sombres pensées. Elle se sentait faible. Et honteuse de ne pas se montrer plus ferme et convaincante. Avec l'intime conviction qu'elle avait envie au fond d'elle-même de revoir Anne, et que tous les deux s'aventuraient sur un terrain vraiment dangereux.

 

Le serveur semblait branché sur du 220 volt. Cabotin, virevoltant, il effectuait sur le bar un numéro acrobatique qui provoquait cris et encouragements. La foule était déchaînée, applaudissant à tout rompre pendant que l'employé sautait comme une puce excitée, préparant un cocktail sur le rythme trépidant d'une musique techno. En voilà un qui avait sans doute fantasmé sur Tom Cruise dans son film " Cocktail" ! Après une dernière pirouette, il sauta du bar et atterrit sur la piste de danse. Quelques modestes révérences devant les félicitations du public, et enfin il se diriga vers ses clients qui l'attendaient patiemment, riant et applaudissant.

Le cœur léger, Yannis commença à battre le tempo de la musique. Il avait une pêche d'enfer ! Le monde de la nuit avait été auparavant son univers avant qu'il ne s'assagisse dans sa vie de couple. Ici, il y' avait une ambiance du tonnerre, le "Scorpion Rouge" n'etant pas une boite mythique pour rien, et restait le lieu rêvé d'une jeunesse dorée, branchée et extravagante qui se battait pour avoir le privilège d'y pénétrer. Ici, on pouvait donner libre cours à toutes ses pulsions inavouables, dévoiler ses péchés mignons, avouer ses différences sans tabou, sans complexe. Dans cette spirale infernale où tournoyaient tous les genres et toutes les libertés,  les libidos les plus rares se mêlaient aux licences les plus effrénées. C'était le lieu de tous les charmes, toutes les voluptés. Le décor était à l'image des folies qui s'y déroulaient. Décor futuriste en métal, plastiques multicolores, couleurs fluorescentes et irréelles, tables en verre avec appliques dorées, tout était très tape à l'œil. Comme le personnel extravagant. Deux des serveurs, déguisés en drag queens, se la coulaient douce derrière un pilier en marbre, plus occupés à se remplir mutuellement la bouche de baisers enflammés au lieu de remplir les verres des clients.

Yannis leur jeta un coup d’œil amusé lorsque son attention se dirigea sur deux superbes femmes qui venaient à sa rencontre, d'une beauté différente mais si troublante que plusieurs femmes se tournèrent sur leur passage sans s'en cacher : Anne et Jade. Cette dernière avait fait des efforts vestimentaires qu'il ne pouvait qu'apprécier. Pas dans le luxe mais dans l'audace, un peu masculine. Un short en jean qui moulait à la perfection ses fesses cambrées, et mettait surtout en valeur ses jambes jambes racées, fines et galbées, des jambes qu'il adorait et qui le rendait fou. En haut, un petit débardeur sans manche, couleur jaune imprimée de paillettes, près du corps mais pas très moulant. Ses cheveux d'or étaient libres, sauvages et ébouriffés dans un enchevêtrement de boucles rebelles, lui donnant un air farouche et indomptable. Anne le surprenait tout autant, habillée avec une distinction audacieuse. Préférant au contraire un look féminin et ultra-sexy. Une courte robe d'une blancheur virginale épousait étroitement son corps admirablement proportionné, avec sur sa gorge nue le voile d'une dentelle transparente qui laissait apercevoir les pointes brunes de ses beaux seins. Elles revenaient de la piste, essoufflées et toutes rouges de confusion. Jade faisait bonne figure mais Yannis la connaissait trop bien.  Il la sentait mal à l'aise, elle n'était pas dans son milieu, jetant des coups d'œil inquiets tout autour d'elle comme si elle se retrouvait seule sur une planète aussi étrange qu'hostile. Pour la détendre, il lui adressa encore un compliment sur sa beauté, qu'elle accueillit avec un sourire nerveux. A Anne, par contre, il  glissa à l'oreille une remarque perfide :

 - Surveille bien ma femme, je ne voudrai pas qu'elle se fasse enlever par une lesbienne en chaleur !

 Elle fronça les sourcils en prenant un air contrarié. L'affection qu'il mit en la serrant dans ses bras démentit aussitôt ses paroles, elle s'en rendit compte, se détendit et lui sourit avec malice.

 - Méfie-toi, c'est peut-être moi qui va te l'enlever !

 

Elle se retourna pour enlacer Jade dans une étreinte faussement possessive. Le choc le cloua sur place. Non pas son geste théâtral mais ce que lui offrit la vue de dos. Le décolleté vertigineux qui descendait très bas en V jusqu'aux fesses était un régal pour les yeux, accentuant sa cambrure exceptionnelle. Anne n'avait jamais été aussi féminine et désirable, et une petite jalousie lui pinça le cœur en sachant que tous ses effets de séduction étaient destinés à sa propre femme. Il avait oublié combien Anne était une femme d'une remarquable beauté, et le trouble qu'il croisa une brève seconde  dans le regard de Jade, alors qu'elle la contemplait, lui fit supposer qu'il n'était pas le seul de cet avis. Son expression désemparée en disait long sur les incertitudes qui l'assaillaient. Face à Anne, Jade perdait toute contenance. Et Anne ne la lâchait pas d'une semelle, décourageant d'un regard assassin toutes les femmes qui s'approchaient d'un peu trop prés de son amie, et réussissant encore à briser la glace en la faisant rire. Brusquement, à une musique langoureuse, Yannis leva les yeux avec étonnement sur Anne qui venait d'inviter Jade à danser. C'était la série des slows, deux ou trois morceaux qui allaient se succéder, pas plus. Jade sembla perdue, hésitant à accepter. Quêtant du regard l'accord de son mari, qu'il donna d'un léger acquiescement.  Alors, sans attendre davantage, Anne lui prît fermement la main, l'obligeant à se lever à son tour, et la dirigea d'un pas décidé vers la piste de danse. Docile, Jade se laissait faire. 

Elles disparurent dans la foule, comme avalées par cette fourmilière asexuée et impénétrable qui grouillait tout autour.

Inquiet, il se leva à son tour, bousculant les gens qui lui barraient la route vers la piste. Tordant le cou pour apercevoir enfin sa femme et Anne qui, tendrement enlacées, s'étaient apparemment divinement accordées, ondulant lentement au même rythme. C'était Anne qui serrait sa partenaire contre elle, le visage enfoui dans son cou pour lui murmurer des mots doux à l'oreille. Elle la collait comme une ventouse, se frottant avec une sensualité brûlante, tout en continuant à échanger avec elle de tendres paroles. Yannis vit sa femme s'écarter un moment, agitant énergiquement la tête avec négation, secouant les épaules pour exprimer son désaccord. Grâce aux spots qui éclairaient épisodiquement la piste, il réussit à lire sur son visage une expression suppliante, les traits tendus. Elle semblait désemparée.  Mais l'obstination d'Anne semblait cette nuit à son apogée, il lui en fallait plus pour la décourager. Constatant que sa partenaire ne réagissait toujours pas comme elle le souhaitait, elle passa à l'étape supérieure. Ses mains remontèrent lentement pour se nouer derrière le cou de Jade, et elle se pencha en arrière, offrant sa poitrine, ondulant du bassin avec une souplesse enivrante, plaquant son pubis contre celui de sa partenaire. " Non, mais quelle garce ! " pensa Yannis avec fureur. Elle était littéralement en train de la draguer, aguicheuse et torride, en sachant très bien qu'il était dans les environs ! Quel culot !  Et son numéro de séduction était tout ce qu'il y' avait de plus lascif et dangereux, d'une redoutable efficacité. Jade, pour l'instant, semblait résister, mais son regard fixe et trouble qu'il apercevait  brièvement lui signalait qu'elle n'était pas complètement insensible aux assauts voluptueux de sa partenaire. Brusquement, il ne vit plus rien. Un grand maigrichon efféminé se planta devant lui, obstruant la vue, en équilibre du haut de ses 1m. 80 au moins, sans compter les escarpins interminables sur lesquels il était maladroitement juché.

 -Tu danses ?

 Il posait sur Yannis un regard bovin et inexpressif, avançant les lèvres dans une mimique aussi ridicule que provocante.

 - Non, merci.

Malgré sa nervosité, il resta courtois.

 

Déçu, son soupirant d'un soir pivota sur lui-même avec brusquerie, et s'éloigna avec la grâce d'un flamand rose. Yannis faisait un terrible effort sur lui-même pour garder la tête froide. Il avait  perdu les deux femmes de vue, elles se confondaient dans la masse compacte des danseurs. La piste était bondée de monde, encombrée de couples en train de faire quasiment l'amour sur place, avec un profond irrespect de toute pudeur. Ici, l'outrage aux mœurs était une définition totalement inconnue. Il avança, jouant des coudes, les cherchant du regard. Enfin, il sembla les distinguer. Il plissa les yeux, essayant de se concentrer sur le couple qui l'intéressait, les isolant de la foule mouvante. Et ses jambes faillirent le trahir, cédant sous son poids. Pris de vertige, il se rattrapa de justesse à un client qui manifesta bruyamment son mécontentement par un cri, le repoussant brusquement. Yannis tituba, évitant la chute par miracle. Le regard toujours braqué sur la scène inimaginable qui se déroulait devant lui.  Soudées l'une à l'autre, les deux femmes ne dansaient plus, trop occupées à s'embrasser passionnément. Une brève seconde, il entrevit leur bouche entrouverte qui se pressait amoureusement, et le ballet subtil de leurs langues qui se nouaient et se dénouaient avec une lenteur exaspérante, comme un film au ralenti, d'une intense sensualité. Hors d'haleine, Jade rejeta un instant  la tête en arrière, les yeux fermés. Anne ne lui laissa pas une seconde de répit. Elle l'embrassa dans le cou, glissa vers l'oreille gauche qu'elle lécha délicatement. Jade ouvrit soudainement les yeux, vivement surprise, et baissa le visage pour relancer sa complice d'un baiser affamé. Comme s'avouant vaincue et se jetant tête baissée dans les abîmes d'un plaisir défendu. Elle lui enserra la taille plus étroitement, et la voracité de sa bouche  trahissait la fièvre érotique qui venait de s'emparer d'elle. Il repensa soudain avec amertume au couplet de sa femme sur la bêtise de ce jeu stupide, son inutilité, sa morale sur toute absence d'arrières pensées concernant Anne, et cela lui arracha un cri douloureux. Elle n'avait vraiment pas prévu ce qui venait de lui tomber soudainement dessus, elle qui avait toujours tout planifier dans sa vie ! Ses sens endormis s'enflammaient et reprenaient vie brutalement, exacerbés par de nouvelles passions, mais ce n'était pas lui qui avait le privilège de la réveiller. Et s'il n'y prenait pas garde cela pouvait aller beaucoup plus loin qu'un simple flirt. Malgré sa colère, un fantasme brutal émergea dans son esprit en plein chaos, où sa tendre et douce épouse se libérait violemment d'envies trop longtemps enfouies, se lâchant dans un tourbillon de sexe effréné, réveillant sa vraie nature.  Une pensée coupable qui l'empêcha d'intervenir. Avait-il le droit de l'empêcher d'assouvir un fantasme si elle en avait réellement envie, boostant sa libido et repartant tous les deux sur un chemin sexuel plus audacieux et épanoui ? Une simple parenthèse dont ils refermeraient vite la page ? Où cela n'était-ce pas trop dangereux si Jade s'avérait une lesbienne refoulée pouvant enfin laisser libre cours à ses vraies pulsions ? Cruel dilemme...  Devant lui, Elles restaient accrochées l'une à l'autre comme des noyées, ivres de désir, inconscientes d'être bousculées par d'autres couples de sexe identique. Elles ne pouvaient pas le voir, trop de monde, et persuadées que cette barrière humaine les protégeait de toute façon. L'arrêt brutal du slow rompit le charme, le changement de rythme qui vira à la techno saccadée sembla sortir Jade de sa torpeur. Elle recula en arrière, vacilla un instant, puis s'éloigna en titubant, la main sur le cœur, éperdue comme une biche aux abois. Anne, paniquée, la perdit de vue. Jade, au bord de l'évanouissement, s'appuya contre un pilier, la bouche grande ouverte, la poitrine se soulevant énergiquement au rythme de sa respiration oppressée. Sans intervenir, malgré lui soulagé de sa fuite, il devina son sentiment de solitude, de désarroi, qui vous laisse abandonnée, perdue, à la merci de passions si bouleversantes que l'on ne comprend plus ce qui nous arrive. Il eut pitié d'elle, il l'aimait trop pour lui en vouloir, et tout ceci n'était-ce pas de sa faute ? Ragaillardi par une situation qui redevenait gérable, alors qu'elle échappait à tout contrôle quelques minutes auparavant, il commença à se diriger dans sa direction. Pour lui dire de rentrer. Qu'il l'aimait. Qu'ils arrêtaient ce jeu stupide dans l'immédiat pour reprendre leur vie normale. Mais un couple de femmes se tenant la main et riant à gorge déployée lui barra le chemin. Paniqué, il vit Anne foncer sur Jade, établir définitivement sa propriété en la prenant par la main, d'un geste possessif, et l'emporter vers le fond de la salle. Jade ne manifestait aucune résistance, et se laissait docilement guider. Pourtant, une certaine nervosité la gagna quand Anne, soudainement, l'immobilisa en face d'elle, portant ses doigts dans sa bouche, et les suçant avec une gourmandise fébrile et sensuelle, sans la quitter des yeux, lui faisant comprendre dans ce simple geste d'une redoutable volupté que la suite serait beaucoup plus brûlante. Des promesses d'extase infinie... Un avant-goût des réjouissances qui l'attendaient... Jade ouvrit la bouche, comme estomaquée. Puis, de nouveau, elles semblèrent se volatiliser, comme si la foule les protégeait, complice d'un amour naissant. Là, Yannis frôlait la syncope, au bord de la panique totale. Si Anne arrivait à ses fins, coucher avec Jade, il risquait de perdre sa femme à jamais, car elle risquait de ne pas s'en remettre. Elle n'était pas de taille à lutter contre les assauts aussi experts que déchaînés d'une autre femme, surtout si c'était de sa part un désir inavoué.  Au lit, aucun doute que Anne devait être une gourmande déchaînée, difficile à rassasier. Pour plaire et s'attacher l'affection de sa partenaire, elle sortirait le grand jeu, le très grand jeu, celui qui marque et perturbe pour toujours.

Sans se retenir, pris d'affolement, il poussa un cri de bête désespéré. Puissant et déchirant. Qui se perdit dans le vacarme assourdissant...

Jade eut du mal à réaliser ce qui lui arrivait lorsque Anne se jeta dans ses bras, se lovant souplement contre elle, cherchant sa bouche pour en prendre possession avec une soudaine brusquerie. Elle se retrouva écrasée contre une banquette, et poussa un petit cri

 - Anne, je ne peux pas, tout va trop vite !

Cette fois-ci, elle refusa le baiser, détournant la tête. Vite, Anne lui attrapa le menton, lui ramenant le visage vers le sien. Leurs lèvres se touchaient presque, elle perçut son souffle sur son visage. Cette fois-ci, c'est avec douceur que Anne l'attira à elle, promenant une langue frétillante sur sa bouche close. Jade se laissa faire, sans répondre à ses provocations. Les yeux fixes, elle la regardait intensément avec une lueur trouble et insondable. Elle entrouvrit les lèvres pour haleter :

- Mon mari pourrait nous voir, c'est mal !

- On s'en fout ! Et c'est bien ce qu'il voulait de toute façon, j'ai vite compris, il a tout fait pour me jeter dans tes bras !

Abasourdie, Jade n'eut pas la force de répliquer ou protester. A quoi bon... S'enfoncer davantage dans le mensonge ? Elle était si peu fière de ses manigances avec son mari, et tout cela était un juste retour du bâton, le prix à payer pour se laisser prendre à son tour dans son propre piège.

Ses pupilles noires se dilatèrent alors que Anne en profitait pour agacer sa langue dans d'enivrantes spirales, l'enveloppant de baisers mouillés, l'affolant de glissades expertes. Subitement, elle mollit. Puis, avec une violence imprévue, répondit sauvagement à son baiser. D'un bond, elle se dressa pour changer de position,  s'installa sur ses genoux et se mit à se tortiller sur ses cuisses. Automatiquement, son bassin bascula, accentuant la pression de leur deux corps. Elles en étaient là, soudées l'une à l'autre, écrasant leur bouche et entremêlant leur langue, s'excitant jusqu'à la folie, une folie qui ne la quitta plus alors qu'elles se retrouvèrent dehors, haletantes et frémissantes dans la tiédeur de la nuit, comme éclairées en plein jour par une lune dominante.

Jade se laissa guider, comme dans un rêve. Aveuglée, détachée de la terre, comme si c'était quelqu'un d'autre qui marchait dans cette ruelle silencieuse, main dans la main avec une autre femme, avec le sentiment de vivre une expérience unique, une folie incomparable, qui bouleverserait à jamais sa vie sexuelle. Elle se mettait à trembler de façon incontrôlable, sans savoir comment ses jambes pouvaient encore la porter. Et cette voix qui parlait, une voix de femme, suave et douce, semblable à une caresse, qui lui faisait passer des frissons de désir dans tout son corps.

- J'avais tout prévu, au cas où... Une amie habite juste à côté, elle m'a laissé ses clefs, un grand appartement rien que pour nous...

Elle resserra la pression de ses mains. Se tournant vers elle, avec une expression de triomphe sauvage sur ses traits.

- Oh, Jade... Je vais t"aimer comme aucun homme ne t'a jamais aimé, tu vas vivre l'expérience la plus formidable de toute ta vie, tu me supplieras de ne jamais m'arrêter ! Tu ne peux même pas imaginer tout le plaisir que je vais te donner...

Les mots lui parvenaient comme une offrande de débauche incomparable, de couleur et de lumière inconnues. Qu'il lui tardait de découvrir malgré sa peur. Car, malgré ses appréhensions, elle éprouvait un frisson d'excitation sans nom, celui de céder à une tentation trop forte pour lui résister. Comme un désir logé au tréfonds d'elle-même, une envie dans une blessure à vif, qui ne pouvait cicatriser que si elle l'assouvissait. Une nature dominante qui avait un besoin primal d'être apaisée.

Ses yeux distinguèrent à peine un sombre passage voûté, une grande porte massive, une vaste entrée, des escaliers, une enfilade d'étroits couloirs. Ses yeux ne voyaient rien, refusant la connexion jusqu'à son cerveau. Incapable de reprendre ses esprits, en proie à un flot d'émotions bouillonnantes.

Une clef qui tournait, une porte qui s'ouvrait, un séjour et un intérieur raffiné aux couleurs grises, avec quelques éléments décoratifs en rouge et en vert pour un joli contraste... Puis la vaste chambre aménagée avec du mobilier en nuances différentes du gris et du rouge, avec une décoration florale qui rajoutait de la fraîcheur à cet intérieur d’élégance contemporaine. Et son lit, parure blanche et taupe... Son très grand lit...

Haletante, Jade se retrouva debout au milieu de la pièce, face à Anne. Seule et isolée du reste du monde, au pied du lit, au bord du gouffre...

Un gouffre plein de mystères et de secrets dont elle ignorait tout.

- Embrasse-moi, lui dit simplement Anne.

Malgré son envie d'y céder, Jade refusa. Elle ne pouvait pas. Pas ainsi, la première fois, la première nuit, alors qu'elle s'était donnée à Yannis le sixième soir de leur rencontre. Et elle ne pouvait pas trahir son mari, à quelques mètres de là, sans doute fou d'inquiétude à la chercher dans chaque recoin de la Discothèque. Et elle devrait céder à des pulsions dont elle ne comprenait rien, tumultueuses et effrayantes ? Elle en aurait pleuré. Le mot « lesbienne » résonnait dans sa tête. Elle avait honte et elle en tremblait comme une feuille..

 

A SUIVRE...

 

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Bonne lecture...

Extrait : Comme prises de folie, ses jambes se pliaient et se détendaient à un rythme désordonné, venant s'accrocher de temps en temps aux hanches de son amante, comme pour mieux l'emprisonner dans l'étau de ses cuisses. Anne sentit la montée de sa jouissance et entama une courte série de va et vient. Continuant impitoyablement son travail de pénétration, faisant alterner les temps longs et les temps courts, enfonçant le gode-ceinture sensiblement ou profondément, observant parfois une immobilité rigoureuse, lorsqu'elle sentait Jade au bord du spasme, haletante, ondulant du bassin telle une anguille hors de l'eau. Ce plaisir, qui restait en suspens au moment où elle allait le prendre, était un véritable supplice, la rendait folle. Un plaisir qu'elle pressentait exceptionnel, fou, inédit, au-delà de toute raison, comme elle n'en avait jamais connu.

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